Comprendre qui sont les Harkis en 3 minutes

Les enjeux de la réception à l'Élysée consacrée à la mémoire des harkis

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Lundi 20 septembre 2021, Emmanuel Macron rencontre des harkis, leurs descendants et des responsables d’associations à l’Elysée pour une réception consacrée à leur mémoire. Cet évènement se tient 5 jours avant le 25 septembre, journée d’hommage national aux harkis et aux membres des formations supplétives. Quels sont les enjeux ? On essaie de comprendre.

C’est quoi la guerre d’Algérie ?

La guerre d’Algérie a lieu entre 1954 et 1962. Elle oppose l’État Français au Front de Libération nationale (FLN) en Algérie. Elle débute le 1er novembre 1954 pendant la “Toussaint Rouge”, une série d’attentats commis par le FLN. L’Algérie est alors une colonie française depuis 1830. Après la Seconde Guerre mondiale, un mouvement considérable de décolonisation a lieu, qui concerne les pays du Proche et Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique Noire. L’Algérie revendique elle aussi son indépendance et les affrontements entre les indépendantistes et l’armée française débutent.

Les historiens français s’accordent sur un consensus de 60 000 à 80 000 victimes chez les harkis

François Meyer, Pour l’honneur, avec les harkis : de 1958 à nos jours

En 1955, l’état d’urgence est déclaré et l’armée française se rend en Algérie pour maîtriser les conflits. C’est le début d’une guerre qui durera 8 ans et causera la mort de 350 000 à 400 000 algériens, soit 3% de la population et 23 196 soldats français selon les chiffres du ministère des armées dans l’ouvrage de Benjamin Stora, Les mots de la guerre d’Algérie [1]. Enfin, les historiens français s’accordent sur un consensus de 60 000 à 80 000 victimes chez les harkis (supplétifs algériens ayant combattu pour la France) d’après l’ouvrage de François Meyer, Pour l’honneur, avec les harkis : de 1958 à nos jours [2].

Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962, entraînant un cessez-le-feu en Algérie dès le lendemain. Le 1er juillet 1962 a lieu le référendum sur l’indépendance de l’Algérie, où la majorité vote“oui” (à 99,72%). Les accords ordonnent le retrait des forces militaires françaises. Néanmoins, ils ne prennent pas en compte le sort des harkis. Seuls 42 500 d’entre eux sont rapatriés en France, le restant est abandonné en Algérie.

Bulletin “oui” du référendum du 1er juillet 1962.

Qui sont les harkis ?

Le terme harki apparaît en 1830, lorsque des populations de pays colonisés prêtent allégeance à la France. En 1831, des bataillons de soldats sont constitués et participent à la conquête de l’Algérie aux côtés de la France. Ils sont employés à nouveau vers fin 1954 pour contrer l’implantation des indépendantistes. Les harkis n’ont pas le statut militaire, ils proviennent des “harkas” : unités supplétives participant à la sécurité territoriale. Entre 1958 et 1959, l’effectif des harkis passe de 10 000 à plus de 60 000 soldats. 

La condition principale de recrutement est de ne pas appartenir au FLN. Le choix politique de l’”Algérie française” aurait souvent été inexistant dans les motivations des harkis, selon Fatima Besnaci-Lancou dans son ouvrage Les Harkis : dans la colonisation et ses suites [3]. Lorsque les harkis s’engagent de leur plein gré, cela fait souvent suite à l’assassinat d’un membre de leur famille par les indépendantistes. Les supplétifs se seraient alors engagés contre le FLN plutôt que pour la France, explique Mohand Hamoumou dans son ouvrage Les Français-musulmans rapatriés : archéologie d’un silence [4].

L’armée française à également forcé l’engagement de beaucoup de harkis en usant de la torture et en leur offrant le choix entre l’engagement ou l’exécution

Article de Pierre Vidal-Naquet, La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis, paru dans Le Monde en 1962

Durant la guerre, l’armée française a également forcé l’engagement de beaucoup de harkis, notamment d’anciens soldats de l’ALN (Armée de Libération Nationale, branche armée du FLN) en usant de la torture et en leur offrant le choix entre l’engagement ou l’exécution, comme évoqué dans un article de Pierre Vidal-Naquet, La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis, paru dans Le Monde en 1962 [5]. Les harkis ne sont pas logés et ne reçoivent ni allocations familiales, ni sécurité sociale, contrairement aux autres supplétifs. En France aussi sont employés des harkis, nommés les “harkis de Paris”. C’est une “force de police auxiliaire” créée par le préfet Maurice Papon. La plupart sont d’origine algérienne et s’engagent pour six mois au sein de la police. 

Photographie d’un harki.

Le 15 avril 1962, le ministère des Armées ordonne le désarmement des harkis et la dissolution des harkas. Par ailleurs, les accords d’Évian interdisent à l’armée française d’intervenir, mais quelques militaires organisent le rapatriement de harkis. Le 16 mai 1962, le ministre d’État chargé des affaires algériennes ordonne de sanctionner les personnes participant au rapatriement. Les harkis sont considérés comme inadaptables à la société française et le gouvernement craint qu’ils ne soient des charges. Une méfiance se crée. Ils deviennent une catégorie sociale de Français n’ayant pas les mêmes droits que les autres et des traîtres pour l’Algérie.

42500 harkis et leur familles parviendront à s’établir en France sur un total de supplétifs évalué entre 200 000 et 250 000

42 500 harkis et leurs familles parviendront à s’établir en France sur un total de supplétifs évalué entre 200 000 et 250 000. Le FLN respecte d’abord son engagement des accords d’Évian visant à ne pas sanctionner physiquement les harkis, mais l’état-major de l’ALN les inscrit sur des listes noires et procède à un recensement des soldats. Entre 55 000 à 75 000 harkis sont massacrés. Entre juillet et septembre, ils sont arrêtés, regroupés dans des centres d’interrogatoires, torturés puis exécutés. La population participe aux massacres, en humiliant et en lynchant ceux qu’elle considère comme des traîtres.

Les massacres reprennent en octobre avec l’arrivée de l’ANP (Armée nationale populaire, le nom que prend l’armée algérienne après l’indépendance) dans les villes. Mais cette fois la population ne participe pas aux massacres et s’y oppose. Les massacres concernent cette fois des familles entières et non plus seulement les anciens combattants comme relaté dans l’ouvrage de Fatima Besnaci-Lancou, Les Harkis : dans la colonisation et ses suites. [3]

Les harkis rapatriés en France sont isolés dans des camps de transit, dans lesquels ils vivent exclus de la population, dans des conditions déplorables. Les réfugiés sont hébergés temporairement avant d’être redistribués vers d’autres lieux. L’intention de l’armée française est de disperser les familles d’un même village afin d’éviter la reconstruction d’une communauté en France.

C’est en 1974 seulement que les harkis réfugiés en France obtiennent le statut d’anciens combattants. Ils reçoivent aussi une allocation de 4 195 € par an. Entre les années 1980 et 2000, ils bénéficient d’une indemnité de 55 000 à 75 000 euros et de mesures d’accompagnement pour la seconde génération. En 2001, une plainte pour “crimes contre l’humanité” est déposée par huit harkis à Paris, recensant 150 000 harkis abandonnées par l’État français, mais elle n’aboutit pas. Les harkis habitant en Algérie n’obtiennent le statut d’anciens combattants que le 23 juillet 2010.

Les harkis : ils sont algériens et ont combattu pour la France, Brut, 5 octobre 2018.

Quelle place ont-ils aujourd’hui en Algérie ?

La rancœur et les conflits subsistent concernant la question des harkis. Le conflit entre harkis et Algériens se transmet aux générations suivantes. Le 16 juin 2000, durant une visite officielle en France, l’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika affirme que le peuple n’est “pas encore prêt” à accepter le retour des harkis. Il les compare [6] aux collaborateurs français sous l’occupation nazie.

« La majorité du peuple algérien est contre la venue des harkis en Algérie car ce sont des traitres à leur pays et à leur nation »

Le ministre de l’agriculture algérienne, Saïd Barkat

Il revient officiellement sur la question des harkis en 2005, au cours de la campagne pour le référendum sur la Charte sur la paix et la réconciliation nationale. Il reconnaît que “les enfants des harkis ne sont pas responsables des actes de leurs parents”. Le ministre de l’agriculture algérienne, Saïd Barkat, affirme que [7] “la majorité du peuple algérien est contre la venue des harkis en Algérie car ce sont des traîtres à leur pays et à leur nation. Quant à leurs enfants, ils seront les bienvenus à condition qu’ils reconnaissent les crimes de leurs parents”. Des lois empêchent en effet aux descendants des harkis l’accès à certaines fonctions, notamment politiques.

En 2012, le quotidien Algérien El Watan publie un sondage [8] selon lequel plus de 84 % des Algériens affirment qu’il « ne faut pas pardonner aux harkis ».

Pourquoi le sort des harkis reste-t-il parfois méconnu ?

Les harkis sont un sujet peu connu de l’enseignement à l’école.  L’historien Benoît Falaize, spécialiste de l’enseignement de l’histoire, souligne [9] que c’est seulement dans les années 2000 que les harkis font une apparition dans les programmes. Pourtant, les « pieds-noirs » (français d’Algérie) apparaissent dès 1971 dans les manuels scolaires au collège, et en 1983 au lycée. Les enseignants se sont plaints de manquer de ressources pour enseigner ce chapitre de l’histoire. Une enquête de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) a lieu entre 2000 et 2002 dans l’Académie de Lyon, qui confirme que les professeurs d’histoire au lycée sont plus à l’aise pour aborder le chapitre de la Shoah, qu’ils connaissent mieux et dont ils estiment pouvoir transmettre la mémoire plus facilement.

Jusqu’en 1983, la guerre d’Algérie n’est pas au programme au lycée. Dans les collèges en revanche, elle apparaît en 1970. On peut retrouver dans certains manuels quelques pages qui évoquent la guerre d’Algérie avec des récits complets, mais au fur et à mesure du temps, le récit diminue et est remplacé par des documents. En 1983,  la guerre d’Algérie est dans les programmes scolaires de tous les lycées. Puis, de 1985 à 2005, le conflit reste évoqué mais le chapitre n’est pas considéré comme un enjeu de mémoire. En section technique, le thème de la décolonisation est revenu dans le programme en 2007 pour les élèves. La question des harkis est récente, bien qu’elle ait toujours été évoquée brièvement dans les manuels.

Ce manque de ressources peut aussi venir de la difficulté d’aborder la question coloniale en classe, puisqu’il faut évoquer des évènements où la France a été en contradiction totale avec ses principes fondamentaux. L’équilibre à trouver est donc difficile pour les professeurs. L’histoire étant encore sujette à des débats et des blessures très vives, les visions de chacun à ce propos sont très revendiquées et peuvent d’ailleurs concerner des élèves au sein d’une classe. 

Les prises de parole des Présidents français sur les harkis

L’abandon des harkis est un épisode honteux pour la France. Les différentes initiatives gouvernementales pour leur rendre justice ont souvent été perçues comme insuffisantes pour ces derniers. Le comité national de liaison de harkis (CNLH), ainsi que l’AJIR (Association Justice Information Réparation) ont réclamé qu’une “loi de reconnaissance de l’abandon des harkis” soit votée avant la fin de l’année 2021. Ils demandent une reconnaissance de la responsabilité de la France concernant leur abandon et les massacres, mais aussi des conditions indignes dans lesquelles ils ont vécu une fois arrivés en France. 

Jacques Chirac est le premier président français à affirmer que l’État n’a pas réussi à empêcher le massacre des harkis restés en Algérie. Il reconnaît en 2005 une « dette d’honneur » [10] de la France vis-à-vis des harkis. À la suite de cela, les présidents ont toujours évoqué ce devoir de mémoire, en proposant des procédures d’indemnisation.

Le 31 mars 2007, Nicolas Sarkozy s’engage pendant la campagne présidentielle à reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre des harkis. En juillet 2015, le secrétariat d’État aux anciens combattants instaure l’installation de plaques dans les anciens hameaux de forestage (structures mises en place en France, pour loger et employer des familles d’anciens harkis après la fin de la guerre, afin de reboiser et aménager des forêts domaniales) sous François Hollande.

En octobre 2018, le Conseil d’État condamne l’État français pour les conditions de vie des harkis dans les camps de transit, après une plainte déposée par un fils de harki ayant obtenu 15 000 €, « en réparation des préjudices matériels et moraux ». Cette condamnation a lieu 56 ans après la création du camp de Bias, dans lequel Kader Tamazount, le plaignant, a passé 22 ans de sa vie, aux côtés d’une centaine d’autres familles.

Le président Emmanuel Macron a souhaité annoncer des mesures dès le mois de septembre. Le 20 septembre 2021 [11], il demande pardon au nom de la France et annonce une loi de “reconnaissance et de réparation”. Dès la campagne présidentielle, il avait fait du sort des harkis l’un de ses engagements. La présidence avait d’ailleurs entrepris en 2018 une négociation de six mois avec l’appui de la secrétaire d’État aux Armées, Geneviève Darrieussecq, pour décider du déploiement de 40 millions d’euros consacrés aux anciens harkis et à leurs enfants au cours des quatre prochaines années. À cette occasion ont été instaurées des mesures comme l’augmentation de 400 euros des allocations et la mise en place d’un dispositif dès 2019 pour les enfants de harkis en difficulté, avec examen individualisé de leur situation.

https://www.youtube.com/watch?v=Y0EMy9IGG4k
Emmanuel Macron «demande PARDON» aux Harkis au nom de la France, Figaro Live.

Quelles réactions cette annonce a-t-elle suscité ?

Le FLN, majoritaire au parlement algérien, a réagi [12] à l’annonce d’Emmanuel Macron en ces termes : “Les Algériens considèrent ceux qui ont vendu leur pays […] comme de simples traîtres, peu importe comment la France a essayé, par les lois de la honte, de blanchir leurs pages noires. Cela confirme également qu’ honorer les traîtres n’effacera pas de l’histoire la lutte du peuple algérien pour arracher son indépendance, grâce aux sacrifices des martyrs […] Le FLN condamne fermement la tentative des autorités françaises d’honorer les harkis, et considère ces pratiques, qui se renouvellent chaque année, comme une provocation publique envers les Algériens”.

En revanche, ce projet de loi a été salué par l’association de Harkis Ajir France. Sur Europe 1, Mohand Hamoumou, président de l’association, a annoncé [13] être satisfait de l’annonce. Il retient de sa rencontre avec le président de la République « son courage et sa volonté de reconnaître par une loi la responsabilité des gouvernements de l’époque ». Il a notamment confié [14] qu’il espérait que cette loi « permette de sortir de la compassion et d’aller vers la vérité et la justice attendues depuis si longtemps […] Jusque-là il y avait des discours de reconnaissance, mais de compassion, il y a eu des mesures de solidarité. Là, on passe d’actions sociales à une logique de vérité et de justice.”

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