Tout comprendre sur la crise au Soudan

Qu'est-ce qui se passe au Soudan ?
Qu'est-ce qui se passe au Soudan ?

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Le 2 janvier 2022, le premier ministre Soudanais Abdallah Hamdok annonce sa démission, dans un contexte géopolitique tendu depuis le coup d’Etat du 25 octobre. Retour sur la situation au Soudan, de son indépendance à aujourd’hui. Comment en est-on arrivé là ?

Le coup d’État : par qui, quand, comment ?

Le 25 octobre 2021 a lieu un coup d’Etat mené par le général et chef de l’armée Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, qui met fin à la transition en cours vers un pouvoir entièrement civil au Soudan. Techniquement, le général Al-Bourhane dirigeait déjà le pays aux côtés du premier ministre Abdallah Hamdok, dans une situation de partage obligé du pouvoir. Le 25 octobre, Abdallah Hamdok est arrêté et placé en résidence surveillée, ce qui donne lieu à des manifestations.

Abdallah Hamdok lors d'un discours à Khartoum, 22 décembre 2019
Abdallah Hamdok lors d’un discours à Khartoum, 22 décembre 2019

Après la prise du pouvoir, généraux et civils se sont accordés sur un calendrier de transition prévoyant une remise du pouvoir aux civils, avec des élections libres en 2023. Mais le 25 octobre, le général a prolongé de deux ans son mandat, avec ce qu’il appelle sa « correction du cours de la révolution ».

Un mois après le coup d’Etat, Abdallah Hamdok reprend ses fonctions, conformément à un accord politique avec la junte qui s’était engagée à libérer tous les prisonniers politiques.

Deux mois après le coup d’Etat, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane met en place un « décret d’urgence » qui permet aux forces de sécurité d’entrer dans tout bâtiment et le fouiller ainsi que les personnes qui s’y trouvent, et de procéder à des surveillances et des saisies.

Soudan : retour en 4 actes sur le coup d’Etat militaire, L’Obs

La situation politique au Soudan, de son indépendance à aujourd’hui

Le Soudan est une colonie anglo-égyptienne depuis la fin du XIXe siècle. Le 1er janvier 1956, l’indépendance du Soudan est proclamée, mais le gouvernement ne tient pas ses promesses faites aux provinces du Sud de créer un État fédéral, ce qui conduit à une guerre civile de dix-sept ans (1955-1972). Le 25 mai 1969, le colonel Gaafar Muhammad Nimeiri devient Premier Ministre, supprime le Parlement et interdit tous les partis politiques.

En 1972, l’accord d’Addis-Abeba met fin à la guerre civile. En 1983, le colonel Nimeiri étend au droit pénal le droit musulman. Cette décision est l’élément déclencheur d’une guerre civile opposant le Gouvernement à des groupes armés du Soudan du Sud. Le conflit s’apparente à une guerre de religion entre le Nord du Soudan (islamique) et le Sud (chrétien), mais c’est aussi un conflit de culture, avec d’un côté les traditionalistes au Sud et la communauté arabo-musulmane au Nord.

En mars 1985, l’annonce de l’augmentation des prix des produits de première nécessité provoque des manifestations et des grèves, qui paralysent les institutions et l’économie. Le 2 avril, 8 syndicats appellent à la mobilisation et à une « grève politique générale jusqu’à la suppression du régime actuel ». Un coup d’État mené par le général Souwar ad-Dahab instaure un gouvernement civil. Mais la situation économique continue de se dégrader.

En 1989, après un coup d’État, le général Omar El-Bechir devient chef de l’État, Premier ministre et chef des forces armées. Une loi pénale de 1991 instaure des peines sévères dans tout le pays, comme l’amputation et la lapidation. Les États du Sud (non musulmans) sont à priori exemptés de ces mesures, mais une possible application de la charia dans le Sud est envisagée. Le 9 janvier 2005, un accord est signé à Nairobi entre John Garang de l’APLS (Armée Populaire de Libération du Soudan) et le vice-président Ali Osmane Taha. Il met fin à des années de guerre civile dans le pays. Cet accord prévoit un régime d’autonomie de six ans au Soudan du Sud, à l’issue de laquelle un référendum d’autodétermination est organisé. Le référendum a lieu le 9 janvier 2011. Les votants s’expriment en faveur de l’indépendance du Soudan du Sud à 98,83 %. Le 8 février 2011, Omar El-Bechir reconnaît officiellement ce résultat.

Le régime d’Omar El-Bechir applique en 2018 un plan d’austérité du Fonds monétaire international (FMI), transférant certains secteurs des importations au secteur privé. Le prix du pain est doublé, celui de l’essence augmente de 30 % et l’inflation atteint les 40 %. Des mouvements étudiants et le Parti communiste soudanais organisent des manifestations pour contester cette politique. Omar El-Bechir est destitué par l’armée et remplacé par un conseil militaire de transition, composé aussi de civils, le 11 avril 2019.

Le 21 août 2019, le Conseil militaire de transition devient le Conseil de souveraineté (composé de 5 militaires, 5 civils, et d’un dernier membre choisis par les deux groupes). Le général Bourhane prend les rênes du pays. Abdallah Hamdok, ancien économiste à l’ONU, est nommé Premier ministre à la tête du gouvernement de transition.

Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, 23 octobre 2019
Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, 23 octobre 2019

On en est où, actuellement ?

Les violences continuent de s’accroître dans le pays, avec un regain au mois de décembre, où cinq manifestants qui réclamaient un pouvoir civil sont tués par balle à Khartoum. Internet et les téléphones portables ne fonctionnent plus, des membres des forces de sécurité surveillent les passants et bloquent les ambulances.

Le premier ministre Abdallah Hamdok, figure civile et espoir vers la transition démocratique, finit par démissionner le 2 janvier à l’issue d’une nouvelle journée de manifestations ayant fait trois morts.

Soudan : le Premier ministre civil Abdallah Hamdok annonce sa démission, FRANCE 24

« J’ai tenté de mon mieux d’empêcher le pays de glisser vers la catastrophe, alors qu’aujourd’hui il traverse un tournant dangereux qui menace sa survie […] au vu de la fragmentation des forces politiques et des conflits entre les composantes de la transition […] Malgré tout ce qui a été fait pour parvenir à un consensus […], cela ne s’est pas produit. »

Abdallah Hamdok, ex premier ministre Soudanais

Depuis sa démission, les militaires sont seuls aux commandes, et cet abandon fait redouter un retour à la dictature au Soudan.

« La démission de Hamdok prive les généraux de leur façade et montre clairement que le coup d’État n’est rien d’autre qu’un retour à la politique militaro-islamiste de Bechir. »

Kholood Khair, spécialiste du Soudan pour Insight Strategy partners.

Pour la population, la révolte populaire est le seul levier pour espérer un retour à la démocratie. Avec les manifestations de 2019, le peuple était parvenu à obtenir la démission du dictateur El-Bechir.

Des milliers de Soudanais ont répondu le 2 janvier à l’appel des militants à manifester « en mémoire des martyrs ». Bilan depuis le coup d’État du 25 octobre : 60 manifestants tués selon un syndicat de médecins prodémocratie, des manifestantes ont été violées d’après l’ONU, de nombreux journalistes sont passés à tabac et arrêtés

Les Européens ont exprimé leur indignation, tout comme le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, et l’ONU. Ils plaident pour un retour au dialogue comme préalable à la reprise de l’aide internationale, qui a été interrompue suite au coup d’Etat.

Quelles sont les issues ?

L’émissaire de l’ONU au Soudan, Volker Perthes, a annoncé samedi 8 janvier l’organisation de pourparlers entre civils et militaires pour espérer résoudre la crise que traverse le pays.

Au Soudan, les Forces de la liberté et du changement (FLC) maintiennent leur « mobilisation de masse pacifique contre le coup d’Etat et pour l’établissement d’une autorité civile ». Ces derniers ont indiqué n’avoir reçu aucun détail de la part de l’ONU sur les pourparlers.

« Nous sommes prêts à participer aux pourparlers à condition que le but soit de reprendre la transition démocratique et de supprimer le régime du coup d’Etat, mais nous sommes contre si ces pourparlers cherchent à légitimer ce régime. »

Gaafar Hassan, porte-parole des FLC. 

Les discussions ont été lancées lundi 10 janvier par une conférence de presse. Toutes les parties prenantes, civiles et militaires, « dont les mouvements armés, les partis politiques, les civils, les groupes de femmes et les comités de résistance », étaient présents.

La Ligue arabe a salué l’initiative des pourparlers, tout comme l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ils ont appelé dans un communiqué conjoint « tous les acteurs politiques soudanais à saisir cette occasion pour restaurer la transition du pays » vers la démocratie.

Sources :

L’armée s’empare du pouvoir au Soudan, Le Figaro, 25 octobre 2021

Depuis 2019, l’Afrique plombée par une succession de coups d’Etat militaires, Libération, 25 octobre 2021

Au Soudan, l’armée recourt au viol pour intimider les manifestantes, France 24, 24 décembre 2021, 

Au Soudan, la police tue des manifestants, Le Monde avec AFP, 30 décembre 2021

Soudan : le premier ministre Abdallah Hamdok annonce sa démission après de nouvelles manifestations, Le Monde, 2 janvier 2022

Soudan : un dimanche noir à tous égards, Le Point, 3 janvier 2022

Au Soudan, trois manifestants tués lors d’une nouvelle mobilisation contre le pouvoir militaire, Le Monde avec AFP, 6 janvier 2022

Soudan : nouvelles manifestations contre le coup d’État, un mort, France 24, 9 janvier 2022Soudan : l’ONU lance des discussions pour résoudre la crise politique, 10 janvier 2022

 

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