fin de vie

Faut-il faire évoluer la législation sur la fin de vie ?

📋  Le contexte  📋

Depuis 1999, le débat sur la fin de vie s’est invité dans la législation française en garantissant l’accès aux soins palliatifs. En 2005, la loi Leonetti est votée et instaure le principe du refus de l’obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique) et confirme le droit de refus à tout traitement.

En 2016, cette loi est modifiée et devient la loi Claeys-Leonetti, du nom de ses rédacteurs. Avec elle, le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès est accordé. Par ailleurs, les directives anticipées rédigées par le patient, qui étaient auparavant consultatives, sont désormais imposées. A défaut de directives prises par le patient, les professionnels peuvent se tourner vers sa personne de confiance (désignée au préalable) ou vers ses proches. Pour avoir recours à cette sédation, le pronostic vital du patient doit être engagé à très court terme (quelques jours maximum) et la décision doit faire suite à une procédure collégiale de la part des professionnels de santé. 

En avril 2021, le député Olivier Falorni avait tenté de faire voter une loi visant à créer le droit à une « assistance médicalisée active à mourir ». Mais l’examen de la proposition de loi n’avait pas pu aller à son terme car 5 députés « Les Républicains » avaient déposé à eux-seuls 2500 amendements, empêchant l’Assemblée nationale d’achever la discussion du texte et son éventuelle adoption.

Le 12 septembre, Emmanuel Macron réouvre le débat en annonçant la création d’une Convention citoyenne sur la fin de vie afin d’aboutir sur une nouvelle loi en 2023. Le tirage au sort des 150 participants a débuté le 25 Octobre et doit s’achever début décembre. Cette convention citoyenne, prévue pour se tenir de décembre à mars, débattra de la nécessité de changer la législation actuelle sur la fin de vie. La décision finale sera prise soit par un référendum, soit par la voie parlementaire. 

Pour les partisans d’une aide à mourir active, la loi Claeys-Leonetti est jugée trop restrictive, notamment pour les personnes souffrant d’une maladie incurable (maladie de Charcot, Alzheimer…) mais dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. En revanche, certains pensent que la législation actuelle est suffisante mais qu’un renforcement des soins palliatifs est nécessaire et permettrait d’entériner les demandes d’euthanasie. En effet, 26 départements n’ont pas accès à ces unités spécialisées et trois disposent seulement d’un lit pour 100 000 habitants.

En Europe, plusieurs pays l’ont légalisé comme la Suisse, la Belgique, le Pays-Bas, l’Espagne, les Portugal et le Luxembourg.

Suite à l’annonce du Président, le Comité consultatif national d’éthique a publié son avis sur la question, ainsi que plusieurs propositions pour les législateurs. Ses membres, à l’exception de huit d’entre eux qui ont exprimé leur réserve, considèrent que “le cadre actuel est satisfaisant pour un pronostic vital engagé à court terme mais pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables […] il n’y a pas de solutions adaptées”.

Suite à ce constat, le Comité conseille de renforcer les soins palliatifs et de respecter plusieurs critères éthiques. Parmi eux, la demande de l’aide active à mourir doit être faite par une personne disposant d’une « autonomie de décision libre, éclairée et réitérée”. Cette dernière doit ensuite faire l’objet d’une retranscription écrite et argumentée pour être validée par le médecin en charge du patient à l’issue d’une procédure collégiale. Les professionnels de santé voudraient par ailleurs pouvoir disposer d’une clause de conscience, avec dans ce cas l’obligation de rediriger le patient vers un autre praticien.

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Anne Vivien
Médecin Anesthésiste Réanimateur retraitée. Vice présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité ADMD
La législation sur la fin de vie doit évoluer

Car 90% des Français le demandent. Depuis plus de 20 ans, tous les sondages donnent plus de 80% de réponses favorables à une aide active à mourir. Ce pourcentage atteint 94% dans le sondage IFOP pour l’ADMD de Février 2022. 83% des députés ont voté le premier article de la proposition de loi d’Olivier Falorni autorisant l’aide active à mourir dans des conditions encadrées en Avril 2021. Ces prises de position dépassent largement les clivages politiques, religieux ou professionnels. 70% des catholiques étaient favorables en Janvier 2018 (sondage IFOP pour La Croix), ainsi que 70% des médecins en Juin 2020 (enquête Medscape).

On meurt mal en France

Cette constatation est le point de départ du Comité Consultatif National d’Éthique qui vient de rendre un avis favorable à une aide active à mourir strictement encadrée. Quand on est atteint d’une maladie incurable, si les traitements sont inefficaces, ils deviennent de l’obstination déraisonnable et doivent être arrêtés.

Les soins palliatifs dans la grande majorité des cas, vont pouvoir accompagner ces malades en soulageant efficacement leurs douleurs et en préservant au mieux leur qualité de vie ainsi que celle de leurs proches. Il est donc indispensable que l’accès aux soins palliatifs soit vraiment universel et qu’ils aient les moyens d’exercer dans de bonnes conditions .

MAIS les soins palliatifs ne sont pas la réponse à toutes les situations. Certaines douleurs ne peuvent pas être soulagées, certaines maladies chroniques invalidantes ne peuvent pas être prises en charge par les soins palliatifs tels qu’ils existent en France. C’est le cas des maladies neuro dégénératives: maladie de Charcot, Parkinson, Alzheimer entre autres, ainsi que des séquelles neurologiques d’AVC, de traumatismes crâniens ou d’accidents de la voie publique 

La législation actuelle est très imparfaite

Depuis 2005, les lois Leonetti essaient de définir un droit à mourir, sans aide active. Contrairement à la plupart de nos voisins européens, qui ont légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté.

En 2016, les conditions de la sédation profonde continue jusqu’au décès – SPCJD- ont été reprécisées. Elle est soumise à des conditions très restrictives, complexes, discutables, source d’anxiété pour les malades et d’insécurité pour les soignants. 

Cette procédure est une exception française qu’aucun pays au monde n’a adoptée. Il s’agit de mettre un malade définitivement dans le coma.

La SPCJD peut être demandée en phase terminale, lorsque la mort est prévisible dans les heures ou jours qui suivent, ce qui ne peut jamais être affirmé, sauf en phase agonique, ET en cas de souffrances intolérables réfractaires. Le caractère intolérable est sujet à discussion. Le seuil de tolérance à la douleur est différent d’une personne à une autre, et nul ne peut prédire le sien à une souffrance physique ou morale en cas de dépendance.

En conclusion, pour tous les citoyens Français porteurs de maladies ou handicaps graves et incurables entraînant des souffrances qu’ils jugent intolérables non soulagées par les traitements, il faut que la loi évolue.

  • pour qu’ils puissent choisir une aide active à mourir sans devoir forcément vivre leur agonie
  • pour que les soignants qui le souhaitent puissent entendre ce choix et les accompagner sans craindre des sanctions juridiques 
Le « Contre »
Claire Fourcade
Médecin de soins palliatifs, présidente de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs)
L’euthanasie est une option ultra-libérale

Depuis plus de 20 ans je suis médecin dans une équipe de soins palliatifs qui a accompagné plus de 10 000 patients dans un département rural et pauvre. 

Nous avons fait avec chacun d’eux un bout de chemin, le bout de leur chemin. C’est assez pour pouvoir dire que les soins palliatifs et la loi actuelle, quand elle est connue et appliquée, donne à chacun la liberté de choisir l’intensité des soins souhaitée, de les limiter ou de les arrêter et d’avoir une fin de vie apaisée. Assez aussi pour pouvoir dire qu’ils sont bien peu nombreux à souhaiter regarder la mort en face et en fixer l’heure. 3 au cours de ces 20 années dont je me rappelle les noms, les histoires et les visages.

Alors pourquoi tant de français sont-ils favorables à l’euthanasie quand si peu de patients nous la demandent ?

Deux conceptions de la société s’affrontent

Dans le débat récurrent sur la fin de vie, deux conceptions de la société s’affrontent, parfois durement.

Les uns invoquent la Liberté. « Je décide ce qui est bon pour moi et cela ne regarde personne d’autre.» Dans une société ultra-libérale et individualiste, c’est un choix qui a sa logique. C’est une société de gens forts, capables de regarder la mort venir sans ciller. Ils sont rares, très rares. 

Les autres font le choix de la Fraternité. C’est le cas de la France.  « Vous n’êtes pas seul. Quoiqu’il arrive et quoi qu’il en coûte, nous serons avec vous et nous ferons ce qu’il faut pour vous soulager car demander la mort parce qu’on souffre n’est pas un choix libre. » C’est le choix d’une société solidaire et fraternelle qui a le souci des plus fragiles qui sont les plus nombreux.

Ouvrir l’option de l’euthanasie, c’est obliger chaque patient, non pas à la choisir, mais à l’envisager, à se dire qu’il devrait y penser, que ce serait peut-être mieux pour lui ou pour ses proches. Or les personnes gravement malades sont pour la plupart fragilisées par la maladie dans ces moments de détresse. Elles évoquent la mort, la souhaitent parfois puis nous parlent d’autre chose, de projets et d’espoir. Elles sont ambivalentes, comme nous le sommes tous souvent. Une loi autorisant l’euthanasie est une loi pour les forts qui ne protège pas les faibles.

La loi actuelle garantit à tous l’accès aux soins palliatifs

La loi envoie à tous un message collectif : vous êtes libres et nous consentons à organiser votre mort en demandant aux soignants d’en être responsables ou : vous comptez pour nous tous et nous mettrons tout en œuvre pour vous soulager parce que vous le valez bien. 

Le Covid est venu nous rappeler combien nous, humains, sommes vulnérables, combien nous tenons à ceux que nous aimons même âgés ou malades, combien la vie est précieuse et combien il est important d’en prendre soin jusqu’à son terme.

La loi actuelle garantit à tous l’accès aux soins palliatifs. Elle n’est pas suffisamment appliquée contraignant trop de nos concitoyens à penser qu’il est préférable de choisir la mort car la possibilité d’une mort digne ne leur semble pas offerte.

Appliquons la loi, toute la loi, rien que la loi et les conditions de la fin de vie en France garantiront enfin l’égalité à tous et ne nous contraindront pas à choisir de demander aux soignants de donner la mort, faute de mieux.

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