📋 Le contexte 📋
Un lobby désigne un groupe de personnes créé afin de promouvoir et de défendre des intérêts. Ces “groupes de pression” agissent en cherchant à influencer des personnes ou des institutions publiques détentrices de pouvoir, comme des élus (députés, ministres, parlementaires européens…). Leur objectif est de faire du lobbying, c’est-à-dire d’inciter les pouvoirs publics à adopter une législation qui sert leurs produits, leurs services ou leurs idées, et de faire supprimer les normes qui les desservent. Les acteurs du lobbying peuvent avoir des intérêts d’ordre idéologique, culturel, religieux, professionnel, technologique, artistique, scientifique, commerciale ou encore politique.
Ils peuvent être des entreprises, des ONG, des associations ou encore des secteurs d’activités (agriculture ou chasse par exemple). Cependant, on distingue généralement les “professionnels du lobbying” (avocats, consultants spécialisés, entreprises multinationales, syndicats, fédérations…) travaillant pour les groupes industriels et financiers, des citoyens organisés et des organisations à but non lucratif (de manière bénévole ou dans le cadre de leur travail). La seconde catégorie revendique défendre un “intérêt général”, plutôt que des intérêts privés.
À noter également que des gouvernements, ainsi que des collectivités locales, peuvent se constituer en lobbys ou bien faire appel à des cabinets de lobbying afin de défendre leurs intérêts. Ils le font pour faire valoir leurs points de vue auprès d’autres autorités publiques, comme l’ONU ou encore le Fonds monétaire international. Par exemple, des Conseils régionaux peuvent entamer des démarches de lobbying auprès du Parlement européen.
Dans le but de d’éviter la corruption et de maintenir les lobbys dans leur rôle démocratique de co-construction de la loi, les gouvernements ainsi que des autorités publiques encadrent les activités des “représentants d’intérêts”. Il existe généralement des registres des groupes d’influence, ainsi qu’une autorité de contrôle et de régulation.
Par exemple, suite à l’adoption en France de la “loi Sapin II”, les “acteurs socio-économiques qui cherchent à influer sur le contenu d’une décision publique en entrant en communication avec un responsable public” doivent obligatoirement s’inscrire au “répertoire numérique des représentants d’intérêt”. Ils doivent y déclarer leur organisation, leurs activités de lobbying ainsi que les moyens qu’ils ont consacrés. Au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne, il existe également un registre de transparence commun afin de surveiller les activités des représentants d’intérêts et les députés doivent aussi publier les informations relatives à leurs contacts avec les lobbys.
Le “Qatargate”, qui renvoie au scandale de corruption par le Qatar au Parlement européen révélé en décembre 2022, a ravivé les débats autour des lobbys. Théoriquement, la méthode principale des lobbyistes devrait être l’argumentation logique, donc développer un discours pour prouver aux personnalités et institutions politiques qu’il est nécessaire pour le bien commun de changer la règlementation dans le sens voulu par le lobby. Cependant, dans les faits, les groupes de pression peuvent avoir recours à des méthodes peu éthiques, à la frontière avec les infractions pénales et le trafic d’influence. Par exemple, ils proposent souvent des “cadeaux”, prenant la forme de voyages ou de places VIP, de présidence de colloques politiques, de propositions de postes très bien payés à l’issue du mandat des élus ou encore de financement (de sociétés ou d’associations).
Plusieurs scandales d’espionnage ont également éclaté, lorsque des lobbys se sont procurés à l’avance le contenu de projets de loi afin de préparer au mieux leur riposte. L’amendement interdisant le glyphosate de la députée Delphine Batho a par exemple été récupéré par le principal lobby des pesticides (l’Union des industries de la protection des plantes), avant la publication officielle auprès des autres parlementaires. Une autre méthode, sujette à controverse, consiste à créer un déni ou une controverse, en influençant la littérature scientifique. Cette méthode a notamment été utilisée par l’industrie du tabac américaine, qui avait financé et manipulé des scientifiques de premier plan afin de donner une image positive de la nicotine.
Cependant, d’autres avancent que la présence des lobbys est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Ils seraient partis prenants du processus de décision politique, au même titre que d’autres corps intermédiaires entre la société civile et l’État, comme les syndicats. Les groupes d’influence permettraient de former des contrepoids à l’autorité dominante, formant ainsi un rééquilibrage du système. En outre, les défenseurs des lobbys avancent qu’ils sont des acteurs légitimes du débat démocratique, de la même manière que les avocats de la défense ou de la partie civile lors d’un procès. Le problème résiderait davantage dans la législation qui encadre les lobbys, que ces derniers en tant que tels.
🕵 Le débat des experts 🕵
Des enquêteurs témoignent que « des toxicologues aux compétences contestées et aux conflits d’intérêts voilés s’activent pour faire dérailler la mise en place en Europe d’une réglementation sur les substances artificielles toxiques à très faibles doses »(Le Monde, 24 juin 2020), ceci après avoir déjà obtenu 7 ans plus tôt le report d’une réglementation européenne sur ces perturbateurs endocriniens. Les « Monsanto papers » révèlent que cette multinationale a commandité depuis 2015 des attaques ignobles pour faire taire le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui estimait que son produit phare (le glyphosate de l’herbicide Roundup) est probablement cancérigène. On pourrait multiplier les exemples : pesticides tueurs d’abeille, Médiator, Chlordécone, tabac et bien d’autres substances toxiques pour lesquelles les lobbies ont réussi à maintenir longtemps la dissémination criminelle, pendant 80 ans pour l’amiante. C’est que les lobbies disposent de forts moyens de persuasion. Ils entretiennent une armée de 38000 agents à Bruxelles (davantage qu’il n’y a de fonctionnaires européens !). Ceux-ci sont surtout mobilisés sur les règlementations concernant l’économie (636 lobbyistes des énergies fossiles ont permis la faillite de la récente COP 27), l’environnement et la santé. Leur stratégie comprend des méthodes de gangsters comme de fabriquer une étude de toutes pièces et la faire signer par des scientifiques achetés.
Des universitaires ont démontré que les études aidées par les industriels sont significativement plus favorables à ces « mécènes » que les études financées par l’argent public. Les lobbies se permettent aussi d’écrire les règlements que devraient adopter les institutions, comme des rapports « rédigés » par l’Agence européenne pour la santé et l’alimentation (EFSA) mais qui consistent en un copier-coller de documents fournis par les industriels.
Les lobbies savent aussi semer le doute sur les travaux scientifiques contraires à leurs intérêts, en multipliant des dénonciations absurdes ou en finançant des travaux contraires par des scientifiques mercenaires, voire en poussant les autorités à lancer des recherches dont le résultat sera ininterprétable : pour gagner du temps sur la réglementation une expérimentation officielle sur l’effet du glyphosate dans l’alimentation des rats, a été menée pendant 6 mois alors que l’auteur du travail à charge (GE Seralini), ne rapportait des effets délétères qu’après 2 ans…. Certains lobbies puissants parviennent même à faire barrage à des publications scientifiques. Surtout les conflits d’intérêts des experts sont nombreux malgré une obligation de déclaration, ce qui fait que l’expertise publique est souvent manipulée.
La collusion avec divers lobbies de plusieurs responsables d’institutions européennes et françaises, élus, ministères, ou agences d’évaluation, est régulièrement dénoncée mais les lobbies sont toujours partout où se prennent les décisions. Prétendre que le lobbyisme est source d’information pour les décideurs c’est se moquer des citoyens car la plupart des informations sérieuses sont camouflées par les lobbies.
De nombreuses ONG veulent jouer dans la cour des grands en tentant de rivaliser de lobbying avec les multinationales. C’est peine perdue pour des raisons financières. Mais c’est aussi faillir éthiquement à la vocation associative de servir l’intérêt commun, comme le permet le plaidoyer. Le lobbyisme défend des intérêts particuliers et s’oppose par définition à la transparence des décisions et des actions. Croire que le lobbyisme pourrait être d’intérêt public c’est comme imaginer qu’une campagne publicitaire réussie serait le gage de la qualité d’un produit.
En France, le lobbying a mauvaise presse. Il est synonyme dans l’inconscient collectif d’un passe-droit de quelques puissants (« les lobbies »), d’un accès facilité aux décideurs publics dans un entre-soi élitiste mêlant sphère politique et grandes entreprises. Il est décrié par les ONG (qui le pratiquent pourtant activement, sous couvert de « plaidoyer »), voire régulièrement confondu par les médias avec des pratiques illégales. Preuve en est, les nombreux articles de presse révélant les soupçons de corruption au Parlement européen dans ce qui est désormais appelé le « Qatargate » et qui associent quasiment systématiquement le mot lobbying à cette affaire.
Or, si la corruption est un délit, le Lobbying est un droit fondamental, constitutionnel, qu’il nous faut au contraire protéger et développer. Il est une des pierres angulaires de notre démocratie : c’est l’interaction entre les acteurs de la vie économique et sociale (entreprises, fédérations, syndicats, associations, ONG, citoyens) et les décideurs publics, tout au long d’une mandature, sans attendre le seul point névralgique de la sanction des urnes.
Tous ces acteurs de la société civile sont fondés à faire valoir leur point de vue et leurs intérêts. Leur « lobbying » éclaire et améliore la qualité de la décision publique dans le sens où il permet de porter à la connaissance des décideurs tous les enjeux, souvent très techniques, liés à une problématique. Charge à ces derniers de s’assurer de consulter largement les parties prenantes, de faire la synthèse des positions exprimées et de définir le point d’équilibre dans l’intérêt général.
A l’heure où notre démocratie donne des signes de fragilité, il est essentiel de ne pas se tromper de combat. Lutter contre le lobbying reviendra à tarir le dialogue, réservant celui-ci à des cercles relationnels privés et opaques. Alors qu’il nous faut au contraire le démocratiser, le faciliter. Ouvrir l’accès aux institutions, faire vivre le débat démocratique. Et offrir au citoyen une réelle transparence sur ces interactions, ce que la France fait de plus en plus et en particulier depuis l’adoption de la loi Sapin II le 9 décembre 2016. Cette loi crée la notion de « représentant d’intérêt » et, aujourd’hui, tout un chacun peut consulter le répertoire de la Haute Autorité de Transparence de la Vie Publique et prendre connaissance des objectifs poursuivis par tel ou tel lobby dans ses interactions avec les décideurs publics, ou encore les moyens alloués à ses actions.
Il reste bien sûr encore des marges d’amélioration de cette transparence, qu’il nous faut poursuivre. Par exemple, en ne créant aucune exception à la définition du représentant d’intérêt (une association cultuelle ou une association d’élus est un lobby, représentant un intérêt particulier, ne nous y trompons pas), en supprimant tout éventuel passe-droit (l’accès immuable au Parlement européen pour les anciens Députés est un droit illégitime qu’il nous faut questionner) ou encore en favorisant la transparence des activités du décideur public lui-même (publication des agendas). Mais le chemin parcouru ces 10 dernières années est réel : constatons-le, réjouissons-nous et enseignons à nos enfants l’envie et la fierté d’exprimer leurs opinions et de participer à la vie de la cité, tout au long de leur vie de citoyen, de bénévoles, de salariés, de parents, d’entrepreneurs, d’aidants, etc.