Religion : L’antisionisme est-il un antisémitisme ?

📋  Le contexte  📋

L’antisémitisme est le nom donné aux discrimination et à l’hostilité manifestée aux personnes de confession juive.

L’antisémitisme est parfois érigé en doctrine ou en mouvement réclamant des mesures discriminatoires contre les Juifs. Il prend sa source dans l’imagination d’un « complot juif » qui prête aux Juifs une volonté de dominer le monde. Mythe incarné par Les Protocoles des Sages de Sion (en réalité créé par le faussaire antisémite russe Matveï Golovinski pour le compte de la police politique tsariste. Sources : CNRTL), texte paru au début du XXe siècle se présentant comme un programme juif de conquête du pouvoir à l’échelle mondiale. 

L’antisémitisme a donné lieu à de nombreux crimes et massacres contre les Juifs au cours de l’histoire.

Le “sionisme” est un mouvement politique et religieux théorisé dès le XIXème siècle par Théodor Herzl, un penseur juif autrichien. Il vise à l’instauration d’un foyer national juif sur la terre ancestrale de Sion (ville de Jérusalem selon la Bible) car ce territoire est resté ancré dans les consciences juives depuis l’exil et la dispersion, provoqué au XIXème par l’antisémitisme russe et polonais. Après la Shoah, le sionisme aboutit en 1948 avec la création de l’État d’Israël. L’antisionisme signifie donc être contre l’idéologie sioniste.

Cela peut se matérialiser sous plusieurs formes, allant de la critique de la politique d’Israël jusqu’à la négation de l’existence même de cet Etat.

Sources : CNTRL et Ouest France

En février 2019, le philosophe Alain Finkielkraut est insulté de « sale sioniste », en marge d’une manifestation de Gilets jaunes à Paris. En France, l’antisionisme est depuis longtemps accusé d’être un prétexte à une critique générale des juifs et de dissimuler un ressentiment antisémite.

En conséquence, le 3 décembre 2019, une résolution déposée par le député LREM Stéphane Maillard a été adoptée par le Parlement. Elle vise à inclure l’antisionisme dans la définition de l’antisémitisme telle qu’elle a été formulé par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) en 2016 et ainsi pénaliser tous propos antisionistes. Pour certains élus et universitaires, cette mesure est problématique pour la liberté d’expression car elle immuniserait Israël de toute critique à l’encontre de sa politique. Mais alors, l’antisionisme doit-il être considéré comme une opinion politique ou un délit ?

Sources : Ouest France, Le Monde et Libération

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Le « Pour »
Oudy Bloch
Avocat au Barreau de Paris et au Barreau de New York
Pourquoi l’antisionisme est par nature antisémite

Après qu’Hitler eut déshonoré l’antisémitisme, selon Bernanos, il devenait difficile d’assumer pleinement sa judéophobie. Qu’à cela ne tienne, dans les années 50, Staline allait trouver la parade. Pour faire exécuter les membres du Comité Antifasciste Juif ou faire arrêter 37 médecins juifs, acteurs involontaires du complot inventé des « blouses blanches », un mot magique : sionistes. Depuis, et sous les efforts convergents des antisémites de droite et de gauche, l’idée a fait florès. La haine antijuive a trouvé son prétexte idéal, Israël, accusé de tous les maux, et fait des Juifs ses complices ontologiques.

Tenter de justifier l’antisionisme aujourd’hui au motif que nombre de Juifs n’adhéraient pas au projet de Herzl en 1896 est inopérant. Ne pas souhaiter s’installer en Israël ne signifie pas vouloir sa disparition.

L’antisionisme, c’est autre chose. L’antisioniste ne s’oppose pas à la politique israélienne, il s’oppose à l’existence même d’Israël. Raisons invoquées : un prétendu apartheid et la défense des palestiniens. Polémique injustifiée et solidarité de façade.

Tous les citoyens israéliens, de toute culture, couleur, religion, idées politiques, orientation sexuelle disposent des mêmes droits. Musulmans, druzes, chrétiens ont le droit de vote, sont députés, juges, militaires, acteurs, chanteurs, travaillent en Israël, peuvent s’exprimer librement. Il n’existe aucune autre démocratie où la minorité est à ce point représentée au parlement, 17 députés arabes sur 120. En France, cela équivaudrait à 81 députés sur 577… Il n’existe pas d’apartheid en Israël.

Et si les antisionistes étaient réellement motivés par la défense des palestiniens, ils condamneraient, boycotteraient, manifesteraient contre le traitement véritablement discriminatoire qui leur est infligé au Liban, en Jordanie, Syrie, Égypte. Ce qui n’arrive jamais. Idem pour l’Autorité Palestinienne et le Hamas qui torturent les athées et les opposants et défenestrent les homosexuels. Silence total. Pourquoi ? Parce que «No Jews, No News».

L’antisioniste a mieux à faire. Il modernise nombre de clichés antisémites. Le complot juif vulgarisé par le faux antisémite Les Protocoles des Sages de Sion est ainsi devenu le complot sioniste. La Shoah serait une invention des sionistes dans le seul objectif de créer l’Etat d’Israël. Enfin, les Juifs tueurs d’enfants chrétiens pour mêler leur sang au pain azyme se seraient mués en soldats israéliens volant les organes des palestiniens pour alimenter un trafic international.

Résultat : à l’été 2014 en France, pour soutenir Gaza, des manifestants assurément antisionistes criaient « Morts aux Juifs », brûlaient et saccageaient des magasins tenus par des Juifs et tentaient de prendre d’assaut des synagogues.

Dernière illustration, Houria Bouteldja, membre du PIR, soutien du Hamas et du Hezbollah, pro-BDS, affirmait récemment que la source de l’antisémitisme est le «philosémitisme d’État» : «L’idée ici n’est pas de combattre l’islamophobie et l’antisémitisme… [Mais] de combattre l’islamophobie et le philosémitisme… [Cela permettra] d’être plus forts contre le racisme et… le sionisme». La boucle est bouclée.

Le « Contre »
Dominique Vidal
Journaliste et historien, auteur de Antisionisme = antisémitisme ?
Non, l’antisionisme n’a rien d’un antisémitisme

Le 16 juillet 2017, à la fin de son discours à la commémoration du 75 e anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv, Emmanuel Macron déclare : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car c’est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) s’engouffre dans la brèche et exige l’adoption d’une loi pour l’interdire. Finalement, le 19 février 2019, le président de la République écarte cette hypothèse.

Il ne pouvait en aller autrement, pour deux raisons essentielles.

La première, c’est que cette affirmation flirtait avec l’analphabétisme historique. Depuis que Theodor Herzl a écrit son État des juifs (1896), la majorité des Juifs du monde n’a jamais fait sien le projet sioniste. Et pour cause : les trois courants les plus influents du judaïsme le rejetaient – communistes, bundistes et religieux.

Jusqu’en 1939, 3,5 millions de Juifs quittent l’Europe pour se rendre presque tous… aux États-Unis. Ne se trouvent en Palestine que 480 000 Juifs, soit 2,5 % de la population juive mondiale. Le génocide nazi, puis la création d’Israël modifient la donne, avec trois grandes vagues d’immigration. Mais seule une minorité d’arrivants est sioniste. La plupart n’ont pas eu le choix : les survivants de la Shoah, qui n’obtiennent pas de visa américain ; les Juifs arabes, chassés de leurs pays ou « importés » par Israël ; les Soviétiques, qui profitent ainsi du seul moyen légal de quitter l’URSS.

71 ans après la naissance d’Israël, 6,5 millions de Juifs en sont citoyen, mais 10 millions vivent ailleurs. Sans compter qu’un million de citoyens d’Israël l’ont quitté. Tous ces juifs qui ne se trouvent pas dans « leur « État » seraient-ils antisémites ?

Erreur historique, faute politique. Une loi criminalisant l’antisionisme aurait introduit un délit d’opinion dans le droit français. Imagine-t-on, dans la foulée, les communistes interdire l’anticommunisme, les gaullistes l’antigaullisme ou les libéraux l’altermondialisme ? Le Conseil constitutionnel aurait évidemment retoqué une telle législation. C’est pourquoi le président a reculé. Et parce que 69% des Français disent avoir une « mauvaise image du sionisme ».

En guise de consolation, le CRIF s’est rabattu sur une résolution de l’Assemblée nationale, qui reprend la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Non elle n’a aucun caractère contraignant, mais, pour la faire voter par 154 députés (sur 577), Sylvain Maillard a dû en retirer toute référence… à l’antisionisme !

Bref, la montagne a accouché d’une souris.

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