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Vers une thérapie génique germinale sûre
Bernard Baertschi
Professeur et chercheur à l’Institut d’éthique biomédicale et au Département de philosophie de l’Université de Genève.Jusqu’il y a peu, lorsqu’on détectait une anomalie sérieuse sur un embryon lors d’un diagnostic préimplantatoire, la seule action qu’il était possible d’entreprendre était d’écarter cet embryon, en ne l’implantant pas. Or cette situation est en train de changer: dans certais cas bien précis, on peut maintenant soigner un embryon plutôt que de l’éliminer et l’espoir existe de pouvoir intervenir de manière plus large dans un futur pas trop lointain en traitant des maladies génétiques. Deux techniques sont déjà disponibles et ont été utilisées avec succès: le don de mitochondries (qui a permis la naissance de deux enfants récemment) et la restauration de la diploïdie (une naissance en 2002 déjà).
Ces deux techniques n’impliquent pas d’intervention dans les gènes de l’embryon pour les corriger, contrairement à la thérapie génique germinale, qui reste interdite un peu partout. Toutefois, les progrès récents de l’édition du génome (grâce à la technique Crispr-Cas9) posent la question de savoir s’il ne faudrait pas revenir sur cette interdiction, vu le potentiel thérapeutique de cette approche. Certes, actuellement, les risques pour le futur enfant sont encore trop importants et, pour la plupart des parents, l’option la plus sûre reste et restera de pratiquer un diagnostic préimplantatoire sur leurs embryons afin d’en implanter un qui ne soit pas porteur de la maladie qu’ils veulent épargner à leur enfant.
La thérapie germinale permettrait toutefois de guérir définitivement, chez le futur enfant et dans toute sa descendance, une maladie souvent délétère. Quand la technique sera devenue sûre, quelles bonnes raisons y aurait-il de s’y opposer ? Aucune à mon sens, et surtout pas les deux suivantes.
Certains craignent le passage de la thérapie à l’augmentation et voient poindre, à l’horizon, le transhumanisme. Certes, le génie génétique permettrait, en théorie, de s’y diriger, mais dans les faits, il n’y a pas de raison de le craindre si on place des barrières juridiques judicieuses. Tout ce qui est techniquement possible ne se réalise pas, preuve en est le clonage humain.
On redoute aussi l’eugénisme. Il faudrait mettre des guillemets, car la thérapie génique n’a rien à voir avec l’eugénisme politique, qui était coercitif et voulait empêcher les personnes dites dégénérées de procréer dans le but de préserver la santé de l’espèce humaine. Avec la thérapie génique, il s’agit simplement pour les parents d’avoir un enfant en bonne santé. Cette thérapie pourrait avoir des effets « eugéniques », en diminuant l’incidence de certaines maladies; mais faut-il s’en plaindre ? Le diagnostic préimplantatoire, et même le diagnostic prénatal, ont d’ailleurs déjà ce genre d’effet.
La thérapie embryonnaire en général, et la génétique germinale en particulier, sont en définitive des moyens de faire entrer un peu plus l’embryon dans son humanité, puisqu’il va devenir par là un patient possible, comme tout un chacun.
Vers une nouvelle humanité saine et heureuse ?
Petra De Sutter
Responsable du Département de médecine reproductive à l’Hôpital Universitaire de Gand, Sénatrice belge pour le parti Groen et Membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE)http://www.petradesutter.eu/
Dans un avenir proche, la modification génétique d’ADN dans les embryons humains, par la méthode CRISPR-Cas9, sera possible. Bien que la technique ne soit pas encore sûre, à cause d’effets potentiels hors cible, l’on peut s’attendre à ce que l’efficacité et la sûreté augmenteront, et que l’on ne soit pas loin du jour de la naissance du premier enfant génétiquement modifié.
L’idée serait bien sûr de corriger des gènes défectueux dans les embryons atteints de maladies génétiques, comme la mucoviscidose, et de ne plus devoir les éliminer lors de procédures de diagnostic préimplantatoire (DPI).
Pourquoi donc suis-je réticente à cette idée? Pour commencer, une modification du génome signifie une modification du patrimoine commun de l’humanité. Cela me gêne sur le plan philosophique. Mais aussi sur le plan scientifique, car une modification dans un gène peut mener à des effets secondaires non désirables à cause du phénomène de la pléiotropie (un gène peut déterminer plusieurs caractères phénotypiques, souvent encore inconnus). Le génome humain peut bien être découvert, mais non pas toutes les interactions génétiques, ni les régulations épigénétiques. L’homme risque ainsi de devenir l’apprenti sorcier, jouant avec ces propres gènes…
La deuxième raison de ma réticence est la question que pose cette méthode : quelles maladies génétiques doivent être éradiquées ? S’agira-t-il de maladies extrêmement invalidantes, avec une très basse qualité de vie pour les personnes affectées ? Ou des maladies qui apparaissent plus tard dans la vie? Ou encore des risques de maladie? Et si un jour on passait à la modification de gènes qui codent pour donner des traits physiques désirables? Aujourd’hui on pourrait déjà sélectionner des embryons sur la base de leur variante du gène de la myostatine, un régulateur du développement musculaire. Le dopage génétique est arrivé…
Bien sûr, aujourd’hui cela n’est pas encore possible, mais un jour on déchiffrera la régulation génétique d’autres traits, comme l’intelligence, la personnalité, la beauté, et à ce moment l’eugénisme sera de retour.
Certains, comme le philosophe Julian Savulescu, considèrent que ce sera notre devoir moral d’améliorer nos enfants par la modification génétique, si un jour cela devient possible. La question fondamentale pour moi est où cela mènera. Nous arriverons à éliminer les maladies génétiques, soit, mais beaucoup rêveront aussi de l’augmentation et de l’amélioration de la race humaine, désirant des enfants parfaits. Tout d’abord, cela nourrira l’illusion que tout est génétique, mais ensuite nous confrontera au paradoxe que dans la vie, ce sont les imperfections qui nous enrichissent. Pour moi, il ne faut donc pas autoriser ni interdire, mais réguler, après un débat profond et publique.