📋 Le contexte 📋
Le terme « féminicide » est un mot-valise issu du latin ; il vient de la contraction des mots femina signifiant « femme » et caedere qui veut dire « tuer ». Il est théorisé dans les années 90 par les chercheuses Jill Radford et Diana Russell dans « Femicide, The Politics of Woman Killing » (1992). Selon elles, un féminicide désigne un « meurtre de femmes commis par des hommes parce ce que sont des femmes ». Reconnu dans de nombreux pays, il est introduit dans le Petit Robert en 2015. Pour autant, le terme n’est pas entré dans le Larousse puisqu’il n’est pas reconnu par l’Académie Française.
Source : Le Monde
À cette question épineuse se heurtent journalistes, policiers et militants qui peinent à s’accorder sur une seule réponse. Le décompte tient essentiellement à la méthodologie employée, elle-même conditionnée par la définition donnée au terme « féminicide ».
En 2019, le nombre de victimes en France varie entre 122 et 152 femmes selon les sources.
À l’échelle mondiale, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC) a dédié un rapport (2019) aux homicides liés au genre. Sur les 87 000 femmes tuées en 2017, 58% d’entre elles (50 000) ont été assassinées par un partenaire intime ou un membre de la famille. Parmi ces femmes, 20 000 ont été tuées en Asie, 19 000 en Afrique, 8 000 sur le continent américain, 3 000 en Europe et 300 en Océanie.
Source : Le Monde, UNODC
Le 16 juillet dernier, un projet de loi contre les violences conjugales a été adopté à l’Assemblée Nationale, sans que le terme « féminicide » n’y figure. Cette décision a ravivé les revendications des associations féministes qui réclament une reconnaissance juridique du terme afin de mieux lutter contre ce phénomène, qu’elles jugent systémique. Usité par de nombreux médias, les féminicides sont également souvent désignés sous les termes de « crimes passionnels » ou « drames familiaux ». Cette terminologie et les conséquences de son emploi partagent les opinions. Alors… faut-il inscrire le terme « féminicide » dans le Code Pénal ?
Source : La Croix
🕵 Le débat des experts 🕵
En 2019, 130 femmes sont mortes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. C’est davantage qu’en 2018. La crise sanitaire liée au Covid-19 a également montré la triste réalité de certains foyers, entre le début et la fin du confinement nous avons constaté une hausse des violences conjugales et le collectif français, Féminicides par Compagnon ou ex, a enregistré 14 féminicides.
Il est urgent d’agir contre ce phénomène alors que les politiques et les lois actuelles n’y sont pas parvenues. Nous croyons que pour lutter efficacement contre un phénomène, il est nécessaire de le nommer, et ce, en particulier, dans notre droit.
ONU Femmes France[1] définit le féminicide comme : “le meurtre d’une femme et/ou d’une fille du fait d’être une femme ou une fille, ou d’être perçue comme telle”. Nous adoptons une acception large de ce phénomène criminel et non limité aux meurtres intimes, c’est-à-dire lorsque la victime a eu une relation d’intimité avec l’agresseur, mais aussi à ceux non intimes, lorsqu’une femme est ciblée de manière aléatoire dans l’espace public que ce soit de façon individuelle ou collective.
Inscrire le féminicide dans la loi permettrait au droit pénal d’avoir une fonction expressive et pragmatique afin de nommer et reconnaître la spécificité de ce crime, expression d’une domination patriarcale et sexiste.
Nous proposons de créer une infraction autonome, afin de distinguer un comportement spécifique et d’adopter une réponse adaptée. Toutefois, d’autres possibilités sont également envisagées, notamment l’ajout des nouvelles circonstances aggravantes à l’infraction de meurtre[2] qui intégreraient les spécificités des féminicides et qui n’existent pas aujourd’hui, telles que le refus des relations sexuelles, la rupture d’une relation ou l’état de grossesse.
Le féminicide est inscrit dans la loi de dix-huit pays en Amérique du sud. En Italie, une loi contre les féminicides et en Espagne, une loi et un plan dédié.e.s aux violences de genre ont permis d’augmenter le nombre de plaintes déposées et de diminuer les féminicides.
En France, nous ne pouvons pas accepter qu’une femme meurt tous les deux jours parce qu’elle est femme. Il est possible et nécessaire d’inscrire le féminicide dans le Code pénal pour mieux identifier le phénomène et offrir une réponse appropriée. Cela enverra un message aux victimes, aux assassins, aux citoyen.ne.s français.es et aux autres pays : celui que la France ne tolère pas les féminicides et met tout en œuvre pour les éradiquer et protéger les femmes.
Il n’existe pas en droit français d’incrimination de féminicide mais des homicides, éventuellement aggravés dans certaines situations pouvant concerner les femmes : lorsque la victime était enceinte et que sa grossesse était connue ou apparente de l’auteur, lorsque l’infraction a été commise par un conjoint, un concubin ou un partenaire ou par un « ex » en raison des relations ayant existé entre la victime et l’auteur, ou lorsque l’infraction a été commise à raison du sexe.
Le Syndicat de la magistrature est favorable à ce que le recours aux circonstances aggravantes soit maintenu, quitte à supprimer l’interdiction de la double aggravation sexe/couple et ainsi permettre de poursuivre des homicides conjugaux à caractère sexiste, la réclusion criminelle à perpétuité étant en tout état de cause encourue avec l’une ou l’autre de ces circonstances aggravantes.
Devoir caractériser une infraction autonome, un « féminicide », est fortement risqué juridiquement. En effet, dans l’hypothèse où il serait impossible d’établir le caractère sexiste – en tant qu’élément constitutif – de l’infraction, ce serait l’ensemble de l’infraction qui ne serait pas caractérisé (avec pour conséquence, un non-lieu ou un acquittement).
Il serait par ailleurs extrêmement difficile de prouver que tel homicide a visé une femme parce qu’elle est une femme. Comment parvenir à démontrer avec certitude qu’un homme a tué son épouse en raison de sa qualité de femme et non pas en sa qualité de conjointe ? Et plus généralement comment caractériser la haine des femmes, le sexisme, la misogynie ?
Le risque, surtout, ne serait-il pas de voir essentialiser l’homme comme violent en soi et sexiste en soi ?
De surcroît, il est important de rappeler que le mobile est indifférent en droit pénal. Or, la prise en compte du mobile s’avère plutôt essentiel sur le plan de l’individualisation de la peine.
Le terme féminicide ne recouvre enfin pas toutes les formes de violences en cause. Que dire notamment des personnes transgenres ou des homosexuelles : pourraient-elles être victimes/auteurs de féminicides ?
Il est certain que d’abord invisible, puis privée, la question des violences sexistes doit désormais devenir sociale et politique. Cependant, la création d’une nouvelle catégorie pénale est-elle à même d’imposer une évolution sociale de fond quant à la place des femmes dans la société ? Le droit est-il l’instrument idoine pour renverser une certaine conception de la disponibilité du corps des femmes ? La question de la création d’une incrimination spécifique de féminicide masque en réalité les véritables enjeux, à savoir que de véritables politiques publiques, pluridisciplinaires, de lutte contre les violences sexistes doivent être menées et financées.