Doit-on généraliser la chloroquine (ou plutôt l’hydroxychloroquine) ?

📋  Le contexte  📋

La chloroquine est une molécule ancienne, utilisée comme antipaludique (en France sous le nom de Nivaquine®).

Il existe un dérivé de la chloroquine, l’hydroxychloroquine (dont le nom commercial est Plaquenil®), utilisé depuis longtemps dans certaines maladies auto-immunes telles que le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde.

Ces deux médicaments sont dits « à marge thérapeutique étroite », ce qui signifie que la dose efficace et la dose toxique sont relativement proches. Il est donc essentiel de bien respecter les modalités d’utilisation de ces médicaments pour éviter l’apparition d’effets indésirables graves, notamment cardiovasculaires, et de ne jamais prendre ces médicaments sans prescription médicale.

Source : https://sfpt-fr.org/

La chloroquine et son dérivé l’hydroxychloroquine ont montré une activité sur des cellules infectées par le coronavirus SARS-CoV-2 in vitro (donc en laboratoire). Cela signifie que ces tests ouvrent des perspectives encourageantes, mais qu’elles ne prouvent pas que la chloroquine ou l’hydroxychloroquine sont efficaces pour la prise en charge des patients infectés.

De nombreuses études sont actuellement en cours pour évaluer l’efficacité de l’hydroxychloroquine (plus intéressante, car plus active que la chloroquine in vitro) en essais cliniques. La plupart de ces travaux sont actuellement publiés à l’état de résultats préliminaires, donc non validés par des pairs, étape essentielle du processus scientifique

En France, le microbiologiste Didier Raoult, directeur de l’Institut Méditerranée Infection à Marseille, a alors été le premier défenseur de la chloroquine puis de l’hydroxychloroquine (associée à un antibiotique) pour soigner les patients atteints du Covid-19. Cette affirmation a séduit les Etats-Unis et le Maroc qui ont immédiatement commandé le médicament aux laboratoires Sanofi.

 

La position du professeur Raoult lui a valu de nombreuses de critiques de la part du monde scientifique en raison de ses conclusions hâtives et de méthode jugée défectueuse en raison de l’absence de groupe de comparaison valide. De plus, des effets indésirables, et notamment cardiaques seraient liés à l’administration de l’hydroxychloroquine dans le contexte de l’infection à Covid-19 augmentant les risques de syncopes ou de morts subites.

Pourtant, le groupe pharmaceutique allemand Bayer a récemment annoncé reprendre la production de chloroquine en relançant la fabrication du Resochin, un de ses vieux médicaments utilisé en prévention de la malaria.

Alors, faut-il généraliser l’hydroxychloroquine ?

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Dr Martine Wonner
Députée LREM du Bas-Rhin et psychiatre
Intérêt potentiel de l’association hydroxychloroquine/azithromycine dans la prise en charge des patientes souffrant de COVID-19

Rationnel de l’utilisation de l’hydroxychloroquine

Plusieurs études réalisées in vitro indiquent que la chloroquine exerce des effets antiviraux directs sur plusieurs virus, y compris les coronavirus, et notamment le SARS-CoV-2 responsable de la pandémie actuelle de COVID-19 1-3. Elle agit en inhibant l’entrée du virus dans les cellules par augmentation du pH endosomal requis pour la fusion du virus avec les cellules, mais aussi en inhibant la réplication (c’est-à-dire la multiplication intracellulaire du virus) en interférant avec la glycosylation des récepteurs cellulaires pour le virus. Il s’agit de données obtenues sur des cultures cellulaires en tube, mais les concentrations inhibitrices sont du même ordre que celles obtenues dans le plasma des patients traités pour paludisme ou polyarthrite rhumatoïde3-4.

Outre son activité antivirale, la chloroquine et son dérivé hydroxylé, l’hydroxychloroquine, possèdent une activité immunomodulatrice et anti-inflammatoire, mise à profit dans le traitement des maladies auto-immunes. Le mode d’action est complexe, différent de celui des glucocorticoïdes et des immunosuppresseurs5.

Dans le débat qui oppose les experts à propos de l’utilisation de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine, certains craignent que ces médicaments puissent inhiber la réponse immunitaire du patient et favoriser les complications pulmonaires. Les données d’une étude effectuée chez l’animal semblent éloigner cette crainte. En effet, chez des souris infectées par le virus de la grippe aviaire A H5N1, il a été montré que la chloroquine donnée à titre thérapeutique augmentait le taux de survie des animaux et que l’analyse histologique de leur poumon mettait en évidence une diminution de l’inflammation et de l’œdème6.  La même équipe a montré que la chloroquine augmentait in vitro la vitalité de cellules pulmonaires humaines mises en culture et infectées par le virus de la grippe aviaire A H5N1.

Premiers résultats cliniques

La chloroquine, substitut synthétique de la quinine, est un vieux médicament commercialisé en France depuis 1949 pour prévenir et traiter le paludisme. Elle est à nouveau d’actualité depuis que des médecins chinois ont écrit l’avoir utilisée avec une certaine efficacité chez les patients infectés par le SARS-CoV-2.

En France c’est son dérivé hydroxylé, l’hydroxychloroquine, qui a été utilisé dans un essai ouvert et non randomisé par le Professeur Didier Raoult (IHU Méditerrannée) dans une étude préliminaire7 suivie de la communication d’une seconde étude sur un plus grand nombre de patients et enfin de l’annonce de la publication à venir sur une cohorte de 1 061 patients8.

Le schéma thérapeutique utilisé est le suivant : traitement en phase PRECOCE de la maladie avec l’association

Hydroxychloroquine (PLAQUENIL®) 600 mg/j pendant 7 ou 10 jours / Azithromycine 500 mg/j à J1 et 250 mg de J2 à J5.

 

L’analyse des données est à réaliser sous deux angles fondamentaux :

1/ l’efficacité

La négativation du test PCR détectant le virus sur un écouvillon pharyngé est clairement démontrée dès le 7e jour de traitement chez l’immense majorité des patients, ce qui montre clairement une diminution de la charge virale ; ce qui est fondamental en matière de contagiosité potentielle.

En matière d’évolution des symptômes, il semblerait que les patients sous traitement voient une réduction rapide de leur symptomatologie. Cet aspect de l’efficacité est à conforter par des études complémentaires pour prendre en compte l’évolutivité naturelle de la maladie chez des patients non traités.

Ce protocole avec prescription à un stade précoce de la maladie fait l’objet de plusieurs études dans le monde.

C’est également l’objectif du collectif « Laissons les médecins prescrire » qui conduit une étude sur le sujet avec les médecins qui se sont auto-traités ou se traitent par cette association (https://stopcovid19.today/). Néanmoins le recrutement dans cette étude est actuellement bloqué par les directives successives de la Direction Générale de la Santé qui restreignent l’usage de l’hydroxychloroquine notamment aux patients hospitalisés et sous oxygénothérapie.

2/ la tolérance

L’hydroxychloroquine, commercialisée sous le nom de PLAQUENIL® en France, était en vente sans prescription jusqu’au 15/01/2020.

Sa pharmacovigilance est connue, c’est une molécule bien tolérée9 quand elle est prescrite dans le bon respect de ses contre-indications et sous surveillance médicale stricte, en particulier cardio-vasculaire, dans le cadre d’une association avec l’azithromycine.

Ces données de tolérance semblent confirmées par celles du Pr Raoult dont 500 patients ont fait l’objet d’un suivi cardiologique rapproché.

Il convient de rappeler que l’analyse des données de pharmacovigilance sur le sujet, doit prendre en compte l’existence d’atteintes cardiaques par le virus (myocardites et péricardites) et le terrain sur lequel elles surviennent (existence ou non de comorbidité).

En guise de conclusion…

Nous sommes en temps de guerre, selon les mots du Président de la République. Le temps de la recherche se compte en années, celui du curatif en jours. Ne laissons pas passer la chance que nous avons d’utiliser des médicaments connus depuis de nombreuses années, et qui peuvent épargner la vie de tant de françaises et de français. Faisons confiance aux médecins , qui en France ont toujours été libres de prescrire en leur âme et conscience

Références:

Le « Contre »
Pr Mathieu Molimard
Chef du Service de Pharmacologie Médicale du CHU de Bordeaux, au nom de la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
Il ne faut pas généraliser l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19

L’effet antiviral de la chloroquine et de l’hydrochloroquine n’a jamais été démontré

Plusieurs dizaines de molécules déjà connues sont susceptibles de lutter contre le Covid-19 par une action antivirale directe (1) ou sur la tempête cytokinique secondaire qui contribue aux issues fatales (2).  Un tri rapide entre ces molécules, doit permettre d’arrêter précocement leur développement si elles sont inefficaces, pour rediriger les investissements de recherche vers des molécules au plus fort potentiel qui auront un impact significatif sur la maladie.

L’activité antivirale de chloroquine et de l’hydroxychloroquine est connue depuis les années 60. Malgré une activité antivirale in vitro contre la grippe, le chikungunya, le SARS CoV 1, la dengue et le VIH, ces molécules n’ont jamais montré un effet antiviral chez l’homme (3). Pire, leur effet immunologique a pu être à l’origine d’une aggravation des patients dans le VIH et le Chikungunya (4).  Un effet in vitro est donc insuffisant pour prédire de l’efficacité du traitement chez l’homme. Le bénéfice et le risque de l’hydroxychloroquine doivent être précisément évalués en clinique avec rigueur et méthode avant une utilisation large.

Voyons ce que donnerait le développement de l’hydroxychloroquine dans un modèle scientifique sans emballement médiatique ou politique lié à la crise sanitaire.

Le développement de l’hydroxychloroquine : un échec avant le commencement

Les cultures de cellules animales infectées montrent que, comme pour les autres virus, il faut une concentration extracellulaire d’hydroxychloroquine très élevée (EC50 5 μM (2)) pour obtenir un effet in vitro. Une telle concentration est difficilement atteignable chez l’homme du fait d’une toxicité à partir de 2 μM dans le plasma. Ces données sont issues d’études de première administration à l’homme dites de phase I, où sont évaluées les doses maximales tolérées. La phase I conclurait qu’il est peu probable que l’on atteigne les concentrations antivirales chez l’homme et arrêterait le développement à ce stade.

La phase II, a pour objectif de vérifier chez les patients le bénéfice sur un critère facilement mesurable, ici la sécrétion virale.  Nous disposons de deux études réalisées avec tirage au sort (randomisation) du traitement par rapport à un groupe contrôle, l’une avec 30 patients à la posologie de 400 mg (5), l’autre avec une forte posologie de 800 mg/j chez 150 patients (6). Aucune des deux ne trouve un quelconque effet de l’hydroxychloroquine sur la sécrétion virale chez l’homme. Ces études relativement bien conduites étant négatives, le développement devrait s’arrêter là.

Si malgré tout on persistait à poursuivre le développement on passerait à la phase III. Cette phase consiste à comparer l’efficacité du traitement sur la maladie, avec des critères pertinents (hospitalisation, passage en réanimation, décès), en tirant au sort les patients entre un groupe recevant de l’hydroxychloroquine et un groupe n’en recevant pas (mais bénéficiant des meilleurs soins actuellement disponibles et idéalement avec un placebo). Cette phase III n’a pas encore été réalisée et donc nous n’avons pas à ce jour la preuve que l’hydroxychloroquine est cliniquement efficace. Des études de bonne qualité sont en cours, initiées dans des conditions réglementaires accélérées. Elles permettront d’étudier si l’hydroxychloroquine n’aggrave pas les malades Covid-19, ou si elle expose à un risque trop élevé d’effets indésirable s chez ce type de patients. Le rapport bénéfice risque de l’hydroxychloroquine dans le contexte Covid-19 n’est actuellement pas connu ce qui normalement interdirait son utilisation à plus large échelle.

La « phase IV » consiste à suivre le médicament une fois son rapport bénéfice risque connu lors d’une utilisation large. Plusieurs séries de cas ont été publiées avec des comparaisons indirectes qui ne permettent pas de conclure à une efficacité dans une maladie. Une étude, également critiquable sur sa méthode, suggérerait même une augmentation du risque de mortalité avec l’hydroxychloroquine (7). En l’absence de tirage au sort aucune étude ne permet à ce jour d’affirmer un bénéfice et l’absence de risque.

Risques cardiaques augmentés par la prescription de l’hydroxychloroquine à des patients Covid-19

Au contraire, un risque cardiaque bien supérieur à ce qui était connu dans les autres utilisations de l’hydroxychloroquine a été observé. Une sensibilité particulière aux effets indésirables de l’hydroxychloroquine chez les patients Covid-19 s’explique par la baisse du potassium sanguin (hypokaliémie) et une inflammation cardiaque (myocardite) induite par le virus. Jusqu’à 10% des patients présentent des anomalies de l’électrocardiogramme avec l’hydroxychloroquine qui imposent son arrêt sous peine de trouble du rythme grave (torsades de pointe…) avec arrêt cardiaque (8). En quelques jours, avant la restriction de prescription aux seuls patients hospitalisés, plusieurs morts ont pu être attribuées à l’utilisation de l’hydroxychloroquine, selon le réseau des centres de Pharmacovigilance (9). Cela a abouti à une mise en garde par l’ANSM (10) et la FDA (11). L’utilisation large de l’hydroxychloroquine sur des centaines de milliers de patients pourrait conduire à des centaines de morts supplémentaires par trouble du rythme cardiaque sans que le bénéfice ne soit encore démontré. Cela ne remet pas en cause le rapport bénéfice d’hydroxychloroquine favorable dans le lupus.

La pression médiatique et politique a fait utiliser largement l’hydroxychloroquine, à risque cardiaque dans le Covid-19, sans que son efficacité soit établie. Elle a fait mobiliser de nombreuses ressources de recherche en imposant un groupe traité par hydroxychloroquine dans plus de 150 études (12) et probablement retardé l’inclusion dans les autres études, les patients refusant de participer à un essai où ils n’étaient pas certains d’avoir de l’hydroxychloroquine, traitement perçu comme miraculeux.

Pour une maladie qui guérit dans plus de 98% des cas, l’utilisation large de l’hydroxychloroquine à ce stade de nos connaissances ferait prendre un risque cardiaque mortel avéré à tous les patients pour un bénéfice chez 2% d’entre eux très incertain.

Le souhait de répondre aux questions et angoisses légitimes de la population ne peut justifier de donner de faux espoirs, de faire prendre des risques certains pour la santé et de retarder la recherche de traitements efficaces.

Références :

1) https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.03.25.008482v3

2) https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2764727

3) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0166354220301145?via%3Dihub

4) https://www.em-consulte.com/em/covid-19/Chloroquine-hydroxychloroquine-et-COVID19.pdf

5) http://subject.med.wanfangdata.com.cn/UpLoad/Files/202003/43f8625d4dc74e42bbcf24795de1c77c.pdf

6) https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.10.20060558v1

7) https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.16.20065920v2.full.pdf

8) https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.10.20060699v1

9) https://www.rfcrpv.fr/contacter-votre-crpv/

10) https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Medicaments-utilises-chez-les-patients-atteints-du-COVID-19-une-surveillance-renforcee-des-effets-indesirables-Point-d-information

11) https://www.fda.gov/drugs/drug-safety-and-availability/fda-cautions-against-use-hydroxychloroquine-or-chloroquine-covid-19-outside- hospital-setting-or

12) https://clinicaltrials.gov/ct2/results?cond=COVID&term=hydroxychloroquine&cntry=&state=&city=&dist=

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