📋 Le contexte 📋
La piétonnisation est une politique d’aménagement urbain consistant à rendre des zones exclusivement accessibles aux piétons et y bannir la circulation des véhicules motorisés. En France, l’apparition des aires piétonnes commence dans les années 1980 dans le cadre des Plans de circulation. Aujourd’hui, des métropoles piétonnisent leurs centres-villes comme Paris et ses voies sur berges, Lyon et sa presqu’île ou encore Bordeaux dont la rue Sainte-Catherine est la rue piétonne la plus longue d’Europe (1,25 kilomètre).
En Belgique, Bruxelles dispose de la plus grande zone piétonne d’Europe et de la deuxième plus grande aire sans voiture derrière Copenhague.
Depuis 1999, la ville de Pontevedra en Espagne a quasiment banni la voiture en imposant à une amende de 200€ pour les stationnements excédant 15 minutes (sauf pour les résidents).
Elle a ainsi fait bondir les déplacements à pieds de 70% en son centre.
Alors que de nombreux candidats aux dernières élections municipales s’appliquaient à faciliter l’accès des centres-villes aux automobilistes, les candidats 2020 changent de stratégie en chassant la voiture hors des centres-villes. La pollution de l’air et la pollution sonore sont activement combattues par les élus qui souhaitent remettre le bien-être des piétons et l’écologie au premier plan. Pourtant, si certains avancent que les bienfaits de la piétonnisation des centres-villes, ses adversaires y voient une menace pour l’économie locale mais surtout une entrave à la liberté de circuler.
🕵 Le débat des experts 🕵
L’automobiliste est schizophrène ! Nous voulons nous garer au pied de chez nous mais ne voulons pas de la voiture en ville. Les commerçants le sont aussi ! Ils souhaitent que l’on offre des places de stationnement dans les centres-villes – sans quoi leurs clients ne viendraient pas – mais plaident pour plus de mobilités douces dans les centres urbains.
Dans un contexte où (i) les villes cherchent à devenir plus durables, (ii) les citoyens sont de plus en plus engagés pour préserver l’environnement, (iii) certains commerces d’hypercentre connaissent des difficultés, il est devenu indispensable de rendre aux piétons le centre-ville.
Aujourd’hui, les habitants ont un besoin de déambulation, d’espaces publics sécurisés et agrémentés. Un exemple concret est celui de Strasbourg qui, en piétonnisant l’hypercentre et en favorisant les modes de déplacements doux, a permis de maintenir une vitalité commerciale. Au-delà de la piétonnisation, la généralisation de zones 30 km/h constitue une autre solution. L’expérience menée à Arras comme dans d’autres villes semble concluante. De tels dispositifs ont entraîné un passage progressif vers les mobilités douces.
Les boutiques à vendre, la vacance commerciale et la fermeture des services de proximité n’est pas une conséquence de la volonté de sortir la voiture du centre-ville mais bien celle du commerce en ligne. En conséquence, lorsqu’ils se rendent en centre-ville, les chalands recherchent une expérience qu’ils ne retrouveraient pas sur internet et dans les centres commerciaux localisés en périphérie. Il faut donc apaiser les hypercentres. Une mixité commerciale et de services et un environnement de qualité font partie des facteurs les plus importants pour attirer les visiteurs dans les centres-villes.
Non, le développement des mobilités douces ne tuera pas le petit commerce. Comme l’a plusieurs fois expliqué Laurent Davezies, pour qu’une ville soit riche, ses habitants doivent consommer sur place. C’est ce que l’on appelle l’économie présentielle. En reprenant l’argument de cet économiste, il est donc essentiel de proposer un centre-ville attractif commercialement et agréable à pratiquer pour donner l’envie aux populations de s’y rendre et d’y rester le plus longtemps possible.
La piétonnisation des centres-villes est vécue par certains comme un espace de liberté et de tranquillité mais s’apparente pour d’autres à une mesure restrictive de circulation sinon d’exclusion.
C’est bien le caractère souvent irrévocable et non adaptable de la mesure qui la rend contestable. Fermer l’accès au centre-ville ou en rendre l’accès plus difficile n’est finalement rien d’autre qu’une forme d’expression de repli sur soi-même. La piétonnisation des centres-villes constitue assurément, et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, un facteur contemporain de paupérisation de la vie en centre-ville.
L’inaccessibilité du centre névralgique de la ville concourt au développement de nouvelles formes de consommation par le recours parfois excessif au commerce à distance qui s’apparente à une forme de consommation sans contrainte. Confrontées à la désertification de leurs commerces, de plus en plus de villes revoient leurs politiques de mobilité afin de permettre aux chalands de réinvestir les commerces de centres-villes pour lutter plus ou moins efficacement contre les centres commerciaux en périphérie des villes. Le commerce local ne peut évidemment survivre que des seuls riverains et se passer d’une clientèle plus large.
Il n’est pas question pour autant de promouvoir le recours systématique aux véhicules motorisés mais davantage d’adapter et de diversifier les modalités de déplacement.
Sans nul doute des zones urbaines ne méritent pas de se voir infliger une circulation continue de véhicules polluants mais bien plus de bénéficier d’un partage effectif de la route laissant place à toutes les formes de déplacement.
Une politique locale qui se veut être pertinente et intelligible nécessite de l’adaptabilité et de la modération et ne pas se résumer à l’expression de mesures dogmatiques par l’exclusion opposant les uns aux autres selon leur mode de déplacement.
Le partage de la route, encensé et encouragé par nos décideurs publics, s’exprime aujourd’hui non par une volonté de cohabitation apaisée des usagers de la voie publique mais par des choix d’exclusion contrainte de certains d’entre eux au profit des autres.
Le citoyen a besoin de flexibilité. Il ressent, à tort ou à raison, les mesures de fermeture, d’interdiction, ou restrictive de circulation comme des mesures autoritaires, souvent sans concertation, subies comme une forme de discrimination nouvelle.
En d’autres termes, le décideur local doit pouvoir adapter et alterner les choix de déplacements urbains et s’écarter de toute forme de décision qui s’apparenterait à un choix définitif et exclusif.