photo de la BCE

Faut-il annuler la dette COVID ?

📋  Le contexte  📋

Pour faire face à la crise sanitaire, les dépenses de l’État ont explosé en 2020 : chômage partiel, aides aux entreprises, fonds de solidarité, plans de soutien aux secteurs les plus touchés, achat de masques et de vaccins, prise en charge des tests, plan de relance, etc. La dette publique française est ainsi passée de 98,1 % à 116,4 % du PIB entre 2019 et la fin du troisième trimestre 2020. Elle atteignait alors 2 674 300 000 000 € selon l’Insee, soit une hausse d’environ 300 milliards d’euros. Cette hausse va probablement se poursuivre en 2021 et la dette publique pourrait dépasser les 120%.

En 2020 comme auparavant, l’État a emprunté sur les marchés financiers en émettant des obligations ou des bons du trésor. Les investisseurs sont répartis entre résidents (48,7 %) et non-résidents (51,3 %). La majorité de la dette (environ 75%) est détenue par des investisseurs institutionnels de type fonds de pension et assureurs, des banques ou des épargnants. Le quart restant est détenu par la Banque Centrale Européenne. En effet, depuis 2015, la BCE s’est engagée à mener d’importants rachats de dettes publiques sur les marchés financiers secondaires afin de maintenir les taux longs à un bas niveau. C’est ce qu’on appelle le Quantitative Easing ou le rachat d’actifs – à ne pas confondre avec la “Monétisation” qui consiste à créer de la monnaie. La BCE a été particulièrement active pendant la crise du COVID puisqu’elle a racheté 59,2% des émissions de dette publique européenne entre mars et août 2020. 

Beaucoup craignent que le fardeau de la dette n’étouffe la reprise tant attendue. Certains économistes sont convaincus que seule l’annulation d’une partie de la dette – celle détenue par la BCE – permettrait aux États européens de récupérer des marges de manœuvre nécessaires pour amorcer une reprise.  D’autres à l’inverse jugent la proposition dangereuse. Ils soulignent que le coût de la dette est en forte diminution depuis plusieurs années, bénéficiant d’achats massifs à des taux négatifs et craignent entre autre que cela fasse flamber les taux d’intérêt. La présidente de la BCE Christine Lagarde a quant à elle jugé cette annulation « inenvisageable car ce serait une violation du traité européen ». 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Faut-il annuler la dette COVID ?
Le « Pour »
Jézabel Couppey-Soubeyran
Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne & Conseillère scientifique à l’Institut Veblen
Annuler la dette pour obliger l'investissement public

Comment approfondir les plans de relance et réaliser les investissements publics massifs nécessaires à la transition écologique sans rendre la dette publique insoutenable ?

C’est à cette question que répond la proposition d’annulation conditionnelle des quelques 3000 milliards d’euros de créances que la BCE détient sur les Etats de la zone euros et qu’elle a accumulées du fait des programmes de rachats d’actifs qu’elle mène depuis 2015 et en accéléré depuis la crise sanitaire. Ce serait une annulation conditionnelle à de l’investissement public pour un même montant, là où on en a besoin, dans la santé, l’éducation, et bien sûr dans la transition écologique. Cette annulation servirait à réaliser les investissements publics qui sinon risquent fort de passer à la trappe alors qu’ils sont vitaux.

Ce n’est bien entendu pas seulement la France, mais l’ensemble des pays de la zone euro qui bénéficieraient de cet abandon de créances, selon une clé de répartition qui ne serait pas nécessairement celle du capital de la BCE. La décision nécessiterait un accord politique de haut niveau, qui réunirait les membres de l’Eurosystème (BCE et banques centrales nationales), des Etats membres, de la Commission, des Parlements, … dont il ne s’agit pas de dire qu’il serait facile à obtenir.

La perte serait pour l’Eurosystème et ne se reporterait pas sur les États dès lors qu’on accepterait soit que l’Eurosystème fonctionne avec des fonds propres négatifs, car ce n’est pas un problème pour des banques centrales, soit de trouver une solution comptable (et il en existe) pour ne pas avoir à enregistrer cette perte. Nul doute que si la volonté politique était là, la solution comptable suivrait.

Serait-ce contraire à l’esprit du traité ? Oui, un peu plus que les rachats d’actifs qui touchent déjà aux limites de l’article 123 interdisant aux banques centrales de l’Eurosystème d’apporter une assistance financière aux Etats, mais beaucoup moins que la monétisation qui mettrait la BCE au service du financement des Etats. Ce serait une assistance financière à mi-chemin entre les actuels rachats d’actifs et la monétisation, permettant au détour d’interroger les conséquences des rachats d’actifs et l’éventuel bien-fondé du rétablissement d’un lien financier direct entre banques centrales et États ! C’est toute la force de cette proposition d’interroger bien au-delà d’elle-même, sans exclure de nombreuses autres actions nécessaires comme la refonte des règles budgétaires, la réforme fiscale, ou encore l’approfondissement de la régulation financière. 

Le « Contre »
Eric Berr
Maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre des Economistes atterrés
Annuler la dette Covid n’est pas nécessaire

Disons-le d’entrée : la dette publique n’est pas un problème. Elle est à la fois utile et soutenable.

En finançant les infrastructures et les services publics sur le long terme, elle participe à l’amélioration du bien-être collectif. En soutenant la demande à court terme, elle permet de limiter les effets récessifs de la crise et peut plus rapidement favoriser la reprise de l’activité économique. En réalité, ce n’est donc pas tant le niveau de la dette publique qui pose problème que son coût et son utilisation. Avec un coût quasi-nul, une situation qui devrait durer encore quelques années, la dette publique est un outil au service d’une politique d’investissement public ambitieuse, indispensable à la transition écologique que nous devons mener.

Certes, annuler la dette peut se justifier quand on a de graves difficultés à la rembourser et que cela se fait au détriment de la satisfaction des besoins essentiels des populations. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui en Europe. Dans ces conditions, annuler une partie de la dette publique française n’a pas d’intérêt car cela accréditerait l’idée qu’elle est un problème en soi ou qu’elle serait insoutenable, arguments maintes fois répétés par les gouvernements néo-libéraux, quel que soit le niveau de la dette publique, et qui leur sert à légitimer les politiques d’austérité et la destruction de l’État social.

Les débats enflammés autour de la question de l’annulation me semblent passer à côté de l’essentiel : il faut remettre la politique monétaire au service d’une politique budgétaire ambitieuse, donc restreindre le pouvoir de la Banque centrale européenne (BCE) – ce qui suppose de revenir sur son indépendance – dans le but de redonner des marges de manœuvre aux États. Afin de neutraliser le chantage à la dette publique qui nous est fait, il est impératif de sortir de la dépendance aux marchés financiers. Or, la proposition d’annulation de la dette détenue par l’Eurosystème (c’est-à-dire la BCE et les banques centrales nationales) consiste à supprimer la dette détenue hors marché, pour la remplacer ensuite par une nouvelle dette, certes « verdie », mais contractée à nouveau sur les marchés financiers, ce qui semble un peu contradictoire avec l’objectif recherché. Sortir de la dépendance aux marchés financiers suppose de revoir les règles budgétaires européennes, de recréer un pôle bancaire public et de faire en sorte que la BCE garantisse les dettes publiques.

Faut-il annuler la dette COVID ?

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