📋 Le contexte 📋
Dans le sport, le dopage est la pratique consistant à absorber des produits chimiques ou à utiliser des actes médicaux afin d’augmenter les performances physiques et mentales d’un sportif. Il existe plusieurs familles de produits dopants, pour répondre aux différents objectifs recherchés : modifier la morphologie ou le capital génétique, augmenter la masse musculaire, améliorer le passage de l’oxygène dans le sang ou encore augmenter la concentration.
Les statistiques restent difficiles, la pratique étant souvent cachée. Elles reposent le plus souvent sur des questionnaires anonymes. Selon une étude publiée par l’Université d’Utrecht, combinant des questionnaires et des modèles de paramètres biologiques, le dopage sportif toucherait entre 14% et 39% des athlètes élites.
Or pour les autorités, le dopage représente des risques importants, d’un point de vue sanitaire mais aussi sociétal. Le législateur a donc mis en œuvre des actions de lutte contre le dopage. La loi interdit aux sportifs de détenir ou d’utiliser des substances dopantes. En France, le code du sport français liste de ses substances et les méthodes interdites et c’est l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) qui définit et met en œuvre les actions de lutte contre le dopage.
Le contrôle du dopage repose sur plusieurs méthodes mais les deux plus communes sont d’une part le contrôle direct qui permet de faire les mesures de substances dans le corps. Tout sportif qui participe à une compétition ou à une manifestation agréée par une fédération sportive peut être contrôlé, qu’il soit professionnel ou amateur.
D’autre part, il y a un contrôle indirect avec les données du passeport biologique de l’athlète. Ce passeport biologique est un suivi temporel de variables biologiques qui concernent les effets du dopage. Les données de ce passeport permettent non plus de détecter les produits dopants, mais une modification anormale de la physiologie du sportif.
Les difficultés auxquelles se heurte aujourd’hui la lutte contre le dopage relèvent entre autre de la nature des produits dopants et des modalités mêmes de la lutte contre le dopage.
En effet, l’Académie nationale de médecine indique que certaines substances utilisées comme produits dopants correspondent en fait à des substances naturellement présentes dans l’organisme comme l’EPO et l’hormone de croissance. En conséquence, la distinction est particulièrement difficile à établir. La détection du dopage par auto-transfusion pose un problème identique non encore résolu.
A contrario, il existe des pistes importantes de progrès : les accords conclus entre l’agence mondiale antidopage (AMA) et la grande industrie pharmaceutique devraient leur permettre d’être informées précocement des molécules en phase d’étude clinique, dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir une influence positive sur la performance sportive.
Certaines voix se font entendre pour dénoncer l’inefficacité de la lutte anti-dopage. Selon ses détracteurs, les athlètes dopés auraient toujours un coup d’avance, et le système actuel serait vain et contribuerait même à empêcher tous les sportifs d’être sur un pied d’égalité.
Cela pousse certains à vouloir résoudre ce paradoxe en cessant tout simplement la lutte contre le dopage. Et vous, qu’en pensez-vous ? Faut-il cesser de lutter contre le dopage ? On en débat !
🕵 Le débat des experts 🕵
Le dopage sportif apparaît quotidiennement dans les médias à l’échelle mondiale. Alors que ce sujet bénéficie d’une large couverture médiatique, il reste toujours majoritairement incompris ou mal compris. Avant de se positionner sur le dopage, il convient de le définir clairement. Une fois défini ainsi, le lectorat pourra saisir (1) pourquoi la lutte contre le dopage est vaine et (2) pourquoi la lutte contre les fake perfs est prometteuse.
1. Lutter contre le dopage est impossible
Le dopage sportif englobe la tricherie d’ordre physiologique et technologique. Sur le plan physiologique, le dopage correspond au fait de détourner une substance ou une méthode de son usage premier, à savoir traiter une maladie, pour optimiser les capacités physiques et/ou mentales d’un sportif. Par exemple, l’érythropoïétine (EPO) de synthèse est prisée pour augmenter l’oxygénation du sang de certains athlètes alors qu’elle est destinée à traiter l’anémie de certains malades [1]. Sur le plan technologique, le dopage correspond au fait de détourner une technologie de son usage premier pour améliorer la performance sportive.
Par exemple, certains cyclistes ont été pris en flagrant délit de fraude mécanique en employant une assistance électrique pour motoriser leur vélo [1]. Le
détournement de moyens licites en moyens illicites rend le problème insoluble à la source [2]. Pour illustrer mon propos, prenons le cas des moyens physiologiques. Les médicaments servent normalement à soigner des maladies et non pas à booster artificiellement des performances sportives. Par conséquent, lutter contre le dopage revient à dire qu’on doit interdire à l’industrie pharmaceutique de fonctionner et cela n’a bien évidemment aucun sens [3].
2. Lutter contre les fake perfs est possible
Soutenir que la lutte contre le dopage est vaine ne signifie pas pour autant que le combat pour l’intégrité sportive est perdu d’avance mais il faut penser et agir différemment. Depuis toujours, on raisonne uniquement selon le mot dopage alors qu’il n’est qu’un moyen et on passe sous silence l’essentiel, c’est-à-dire le résultat qu’il génère.
En se référant exclusivement à ce moyen, on adoucit, minimise, néglige, et perd de vue la réalité jusqu’ici indicible qu’il permet : les fake perfs [4]. Ce concept signifie des performances sportives apparemment valides mais en réalité acquises en trichant par le biais de moyens physiologiques et/ou technologiques interdits [3]. Cette perspective est d’autant plus essentielle que très peu de fake performeurs sont identifiés et sanctionnés par rapport à ceux qui sévissent dans le milieu sportif [5]. En effet, nombre de fake performeurs contournent la lutte antidopage pour ne pas se faire démasquer donc la lutte indirecte contre les fake perfs est vitale pour les confondre [1].
[1] Gargam, F. (2020). « Quelle est la formule gagnante pour produire des ‘fake performances’ en sport ? », The Conversation France
[2] Gargam, F. (2020). « Dopé : un qualificatif trouble véhiculant le bien et le mal », The Conversation France
[3] Gargam, F. (2022). « Le dopage et les fake perfs : un sujet épineux en Russie et partout ailleurs », SPE15
[4] Gargam, F. (2019). « Dopage : pourquoi plutôt raisonner à partir du concept de ‘fake perfs’ ? », The Conversation France
[5] Gargam, F. (2019). « Sportifs dopés et jamais détectés : comment améliorer l’efficacité des tests », Science & Vie
Autoriser le dopage serait institutionnaliser la triche pour s’en remettre à la loi du plus riche et du mieux dopé. La beauté de la performance sportive réside dans le dépassement d’une limite individuelle ou collective à partir d’un horizon humain. Quelle serait sa valeur si elle ne connaissait aucune limite autre que celle du protocole de dopage qui l’a rendue possible ? Elle ne serait plus liée au prix de l’effort mais aux moyens financiers investis pour « surperformer » artificiellement. Le sport n’a donc de sens que s’il est « propre ». Si tous les artifices pour améliorer la performance étaient autorisés, le sport ne serait plus la confrontation équitable de potentiels qui progressent par l’entraînement mais une lutte incontrôlée et dangereuse où la fin autoriserait tous les moyens, y compris au mépris de la santé.
Il faudrait lever toutes les limitations de vitesse sur la route au prétexte qu’une minorité ne les respecte pas ?
La pratique sportive prépare aux compétitions qui, seul ou en équipe, permettent d’affronter des adversaires selon des règles du jeu bien codifiées. Parmi ces règles communes à tous figurent les règles antidopage. S’en affranchir ce serait donc sortir du cadre sportif. Défendre les règles antidopage, en assurer le respect par la prévention ou la dissuasion, c’est au contraire maintenir le cadre qui permet la pratique sportive. L’une des missions des organisations antidopage comme l’AFLD est de garantir à l’ensemble des sportifs de pouvoir concourir partout en toute équité, quelle que soit leur nationalité ou leur discipline. Nous leur devons un cadre robuste pour pouvoir « certifier » leurs performances réalisées sur le terrain. Cette authentification des résultats sportifs est également une assurance pour le public et pour les acteurs économiques qui soutiennent le monde du sport.
Le fait de ne pouvoir garantir que tous les sportifs dopés soient un jour démasqués et sanctionnés ne peut être le prétexte à abandonner tout effort pour les débusquer. Ce serait un renoncement fondé sur l’idée fausse que faute d’être parfaite, la lutte antidopage doit être supprimée. Qui oserait soutenir que si la délinquance existe encore, c’est bien la preuve qu’il faut cesser de la combattre ? Ou qu’il faudrait lever toutes les limitations de vitesse sur la route au prétexte qu’une minorité ne les respecte pas ?
La persistance du dopage ne doit pas nous faire douter
Abandonner la lutte ne serait pas rendre justice au progrès continu de la recherche scientifique. Conservés pendant 10 ans, les échantillons prélevés peuvent être réanalysés avec les méthodes de détection qui seront améliorées ou mises au point demain. Une pratique qui a déjà porté ses fruits en permettant le déclassement a posteriori de plusieurs médaillés des Jeux olympiques 2008 et 2012. De quoi tordre le cou à l’idée que les tricheurs auront toujours une longueur d’avance sur les chercheurs de l’antidopage.
La persistance du dopage ne doit pas nous faire douter de la pertinence de la cause du sport propre mais constituer un puissant moteur pour développer ses moyens. En parallèle des contrôles, les organisations antidopage disposent de nouveaux leviers pour traquer les violations qui ne découlent pas d’une analyse d’échantillon comme la possession, le trafic de produits dopants ou encore la falsification d’un contrôle. En France, l’AFLD dispose de pouvoirs d’enquête inédits pour rassembler des preuves et remonter les réseaux d’approvisionnement. Au niveau international, la lutte antidopage n’a cessé de se renforcer et de se structurer pour permettre aux sportifs propres de participer à des compétitions équitables auxquelles le public a le droit de croire. C’est pour eux et au nom de l’esprit sportif que nous n’abandonnerons jamais la défense du sport propre.