📋 Le contexte 📋
Le 24 février, dans une allocution télévisée, Vladimir Poutine annonçait le début d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine. Pour justifier son action, le président russe invoquait sa volonté de dénazifier le pays et de le démilitariser. Seulement, l’offensive de Moscou ressemble davantage à une invasion pure et simple. Cette attaque est le résultat d’un conflit larvé entre l’Ukraine et la Russie qui dure depuis huit ans. Depuis 2014, Kyiv combat les forces séparatistes pro-russes, discrètement appuyées par Moscou, du Donbass et de la Crimée.
Depuis février, le conflit oppose désormais deux États, dont l’un est doté de l’arme nucléaire. Pour cette raison, et pour l’ampleur de l’offensive, le conflit est considéré comme le plus important qu’ait connu l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Réclamé par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, la question d’une action militaire en Ukraine a rapidement été évacuée par les Occidentaux, préférant s’en tenir à des sanctions économiques ou à l’envoi de matériel militaire. Pour certains, ces sanctions paraissent insuffisantes et ne dissuadent pas (encore) la Russie de mettre fin au conflit. Alors que le conflit s’enlise, l’hypothèse d’une intervention armée se fait de plus en plus entendre. Par ailleurs, les récits d’horreur de Marioupol ou encore la découverte de cadavres de civils à Bucha laisse à penser que Moscou s’est rendu coupable de crimes de guerre et relancent le débat sur une potentielle intervention militaire.
Toutefois, les pays alliés de Volodymyr Zelensky pourraient se contenter d’intensifier leurs sanctions économiques, d’augmenter l’envoi de matériel militaire et, surtout, de dépêcher des armes offensives en Ukraine plutôt que de l’équipement défensif comme c’est le cas actuellement.
Malgré la volonté de l’Ukraine de rejoindre l’Otan, le pays ne fait pas partie de l’organisation du Traité de l’Atlantique-Nord. De ce fait, Kyiv n’a pas pu bénéficier de l’article 5 qui stipule que l’Otan a « l’obligation d’intervenir lorsque l’un de ses membres est agressé ». Pour intervenir dans un pays non-membre de l’organisation, il faudrait que les 30 pays membres donnent leurs accords, ce qui est loin d’être le cas. L’ONU pourrait également voter une mission de maintien de la paix mais Moscou y opposerait certainement son droit de véto.
Enfin, des pays pourraient unilatéralement décider d’intervenir militairement en Ukraine mais la crainte d’un conflit nucléaire rend cette décision impossible, pour l’instant. Toutefois, Joe Biden et les États-Unis ont fixé une ligne rouge : celle de l’utilisation d’armes chimiques ou bactériologiques. En cas d’utilisation d’une de ces armes, le président américain a promis une « réponse » de l’Otan sans préciser la forme que prendrait cette réponse.
🕵 Le débat des experts 🕵
Plus les jours se succèdent et plus l’Occident s’entête à ne pas intervenir militairement, tout en décriant les crimes de guerre et la destruction inhumaine qui ne cessent de s’intensifier, que seul le peuple ukrainien subit.
Que recherche donc l’Occident ? Éviter une guerre mondiale, peu importe les conséquences pour le peuple ukrainien. Tout laisse croire que l’Occident a fait sien le vieil adage « la fin justifie les moyens » et, se faisant, il perd graduellement son humanité au profit d’une rationalité boiteuse. Est-ce bien ce à quoi nous assistons ? Si c’est bien son approche, force est de constater qu’elle n’est pas réellement différente de celle de la Russie de Poutine :
-L’Occident évite la confrontation directe, prévenant ainsi une guerre mondiale, tout en armant l’Ukraine et en affaiblissant économiquement la Russie de Poutine, ce qui apparait comme son véritable objectif, peu importe les coûts pour l’Ukraine.
-Quant à la Russie de Poutine, elle veut déposséder l’Ukraine de sa souveraineté avec tous les moyens militaires à sa disposition, peu importe les coûts sur le peuple ukrainien.
Que dire de l’humanité occidentale, quel message envoie-t-il au reste du monde ?
Selon cette logique, l’Ukraine sera graduellement anéantie, ainsi qu’une bonne partie de sa population, et finira, plutôt tard, sous le joug de Poutine. Sans intervention militaire directe de l’Occident, rien n’arrêtera Poutine dans sa quête pour asservir l’Ukraine. Il lui faut une reddition totale, rien d’autre ne le satisfera comme le démontrent bien les négociations qui ne vont nulle part. La résistance inattendue et prolongée de l’Ukraine laisse de nouveau planer le recours à l’arme nucléaire, possiblement tactique. Comment réagira l’Occident à ce type d’attaque ? Car, suivant son utilisation, il y aura des répercussions radioactives, lesquelles, comme lors de l’accident de Tchernobyl, mettront en danger les États limitrophes à l’Ukraine et devront sans doute être considérées comme une atteinte à la souveraineté des pays membres de l’OTAN ? Et reconnaissons-le, si Poutine a recours à de telles armes de destruction massive, l’Occident aura été instrumental dans leur recours, en permettant à l’Ukraine de résister militairement.
Et, que dire de l’humanité occidentale, quel message envoie-t-il au reste du monde ? L’occident ne fut-il pas l’instigateur, sous le leadership du Canada, de l’adoption par les Nations Unies de la responsabilité de protéger les populations civiles, entre autres, lors de génocide et de crimes de guerre ? Où sont les grands défenseurs de cette responsabilité de protéger et pourquoi nos gouvernements demeurent-ils silencieux à son sujet ? Aujourd’hui, ce besoin de protéger n’a jamais été aussi criant à nos portes, mais une rationalité inhumaine entraîne l’Ukraine vers une fin inexorable.
Et pour ceux qui croient encore qu’un Poutine, humilié et affaibli sur la scène internationale, s’arrêtera avant la soumission totale de l’Ukraine, je dois me ranger du côté de l’opinion du président Zelensky, lequel répète régulièrement aux parlementaires occidentaux que l’Ukraine ne se soumettre pas aux exigences russes et que ce n’est qu’une question de temps avant le début d’une guerre mondiale.
La rencontre des chefs d’État de l’OTAN du 24 mars n’a pas réellement pris acte de l’ampleur des conséquences du rôle de l’OTAN dans cette guerre et que ses actions ne font que retarder l’inévitable. Un retard d’ailleurs que seule l’Ukraine paie avec son sang aujourd’hui. Que dire de Boutcha, quelle solidarité ! Que prévoient faire l’Occident et l’OTAN collectivement ? Augmentez la protection de ses membres, de nouvelles sanctions contre la Russie et la mise sur pied d’enquêtes internationales sur les crimes commis, le tout en s’engageant à intensifier la livraison d’armes de plus en plus offensives.
Humainement, que faudra-t-il pour qu’elle intervienne dans cette tragédie humaine ? Quand va-t-elle imposer un ultimatum à la Russie de Poutine ?
Dans cette guerre européenne dont la raison nucléaire les exclut, les alliés de l’OTAN et de l’UE* sont au défi d’aider militairement l’Ukraine, bien plus qu’ils ne l’ont fait depuis 2014, et ceci suivant deux objectifs : obtenir une paix en des termes acceptables pour Kiev ; prévenir une fuite en avant de Moscou, qui marquerait une aggravation de la situation humanitaire et un blanc-seing aux stratégies de « sanctuarisation agressive » que la Russie et d’autres Etats pourraient reproduire demain.
Deux objectifs qui, de complémentaires, apparaissent chaque jour plus contradictoires à l’aune des dernières évolutions diplomatiques et militaires. Malgré l’évocation éphémère de mécanismes de garantie de souveraineté et neutralité ukrainienne, Moscou poursuit une stratégie du fait accompli suivant trois axes :
- Le maintien d’une menace escalatoire : malgré l’enlisement initial de l’armée russe, ses difficultés structurelles (de commandement, formation, moral etc.) et la résistance asymétrique ukrainienne que nous avons d’emblée soutenue (par le partage de moyens de renseignement, les armements portatifs antichars et anti-aériens, drones, armes légères, kits médicaux, etc.), Moscou domine en volume et puissance de feu et pourrait même escalader par un renforcement conventionnel (chasseurs et missiles), sans employer d’armes de destruction massive ni étendre le conflit à d’autres Etats.
- En corollaire, le dépassement des seuils de violence dans une stratégie d’effroi, dont témoignent les crimes de Boutcha, à la suite des nombreux bombardements de civils et le refus de tout corridor humanitaire et cessez-le-feu, sauf à Marioupol autour du 30/03, brèche fugace dans laquelle se sont glissés CICR et HCR avant d’être pris pour cible par les forces russes, ramenant la perspective d’une opération de maintien de la paix à celle du piège ex-yougoslave de 1992 ;
- Enfin, un repositionnement des forces russes sur l’Est et le Sud, qui offre un momentum à la contre-offensive de Kiev et galvanise ses demandes en armements lourds, mais qui permettra demain à Moscou de concentrer ses efforts. Après avoir repoussé début mars les projets de zone d’exclusion aérienne et la livraison de Mig-29 polonais, jugés trop escalatoire, les alliés semblent s’engager en faveur du transfert de moyes lourds, notamment des blindés (annonces de Berlin le 01/04, livraison de Prague le 05/04), des défenses anti-aériennes et anti-navires (annonces de Londres le 9/04). Des initiatives pour lesquelles, à rebours des effets d’annonce désordonnés et des craintes de pénuries pour nos propres forces, la discrétion et surtout la coordination multinationale sont cruciales pour tempérer les velléités d’escalade de Moscou.
Continuons à mobiliser les vertus du modèle que nous défendons
Car dans l’équation qui nous lie à la guerre en cours, notre crédibilité repose avant tout sur notre union dans la détermination, la proportionnalité, la réactivité et la communication. Continuons à mobiliser les vertus du modèle que nous défendons : les interdépendances entre le politique – même les plus symboliques, contribuant au moral de l’Ukraine, qui décidera en dernier recours des termes acceptables d’une négociation – l’économique – via les sanctions et la recherche d’alternatives énergétiques notamment – et le militaire, tant sur les plans supra-conventionnel (nucléaire et chimique notamment) que conventionnel (réassurance des alliés orientaux notamment) et sub-conventionnel (guerre irrégulière, informationnelle, etc.).
Agrégés et complétés par une aide militaire proportionnée et réactive, tous ces éléments contribuent à crédibiliser notre soutien à l’Ukraine dans la recherche d’une sortie de crise à la fois acceptable pour cette dernière, et minimisant tout risque de fuite en avant du Kremlin.
* Nonobstant les coopérations initiées en 2014 excluant la Hongrie d’un Viktor Orban fraîchement réélu, et n’intégrant pas ici les contributions d’Etats partenaires comme l’Australie, et celles d’initiatives privées : engagés volontaires, OSINT, SpaceX, etc.