Habiter la France de demain : densification VS étalement urbain

HFD

Cette controverse est publiée dans le cadre de la démarche Habiter la France de demainlancée au mois de février par le ministère en charge du Logement. Le but est de croiser des avis d’experts et des consultations citoyennes afin d’identifier de nouvelles solutions en réponse aux défis de la ville et des territoires de demain.

L’aménagement urbain en question

La densité des nouveaux projets d’aménagement et de construction est un moyen de répondre aux enjeux de demain : préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, besoins en logements, optimisation du foncier et incitation à l’utilisation des transports en commun pour réduire la part du trafic automobile.

Le mouvement de densification urbaine fait pourtant l’objet de débats et soulève un certain nombre d’inquiétudes relayées autant par les élus que par les citoyens. La crise sanitaire actuelle met d’ailleurs en exergue la demande sociale de plus de nature et de critique de la ville dense.

De quoi parle-t-on ?

L’étalement urbain et la densification urbaine sont deux phénomènes opposés.

L’étalement urbain, c’est la progression des surfaces urbanisées, généralement à la périphérie des villes. 

A l’inverse, la densification urbaine consiste à faire vivre une population plus nombreuse dans un même espace urbain.

Historiquement, la tendance depuis la fin de la seconde guerre mondiale a plutôt été à l’étalement urbain. En France comme dans beaucoup de pays occidentaux, le rêve de la maison individuelle avec jardin et l’accession à la voiture individuelle a favorisé le développement des banlieues pavillonnaires, favorisant largement l’étalement urbain.

L’indicateur le plus révélateur est de comparer l’accroissement de la population à l’accroissement de la surface des villes. Or, depuis les années 1960, les villes grandissent plus vite que la population, jusqu’à 3 fois plus vite en 2010 (Sylvain Grisot, 2020).

Cet étalement se fait généralement au détriment d’espaces agricoles ou naturels, qui sont artificialisés, c’est-à-dire construits et souvent bétonnés et rendus imperméables. Depuis les années 1980, c’est l’équivalent en surface d’un département français qui est artificialisé tous les 10 ans

Exemple de banlieue pavillonnaire en France

Pourquoi ça pose problème ?

Plusieurs problèmes sont régulièrement évoqués lorsqu’on parle d’étalement urbain :

  • Des transports plus difficiles à organiser. Lorsque les zones résidentielles sont étendues, il est difficile d’organiser des réseaux de transports en commun, du fait d’une densité de population plus faible. Cela entraîne un recours massif à la voiture individuelle, notamment dans le cadre des trajets domicile – travail. Cela crée des problèmes d’embouteillages, d’allongement de temps de trajet, et entraîne parfois des phénomènes dits de « migration pendulaire », à l’origine des « villes dortoirs ».
  • Les émissions de gaz à effet de serre. Des temps de trajets longs, associés à l’usage de la voiture individuelle, entraînent d’importantes émissions de gaz à effet de serre. De plus, la maison individuelle est assez peu efficace d’un point de vue énergétique. En effet, pour l’eau, les matériaux utilisés pour la construction, ainsi que pour le chauffage en hiver, les immeubles de quelques étages sont beaucoup plus efficaces.
  • Enfin, l’artificialisation des sols, et notamment son imperméabilisation, entraîne généralement une réduction de la vie présente dans le sol. Ces mécanismes sont assez peu connus, mais les sols rendent un grand nombre de services systémiques : stockage des eaux pluviales, dépollution, stockage du carbone, etc.

Densification, solution miracle ?

Avec l’augmentation des préoccupations environnementales, et le début des politiques de développement durable et de villes durables, de nombreuses politiques de la ville visent à inverser la tendance de l’étalement urbain pour obtenir une densification. Cela peut passer par des immeubles de grande hauteur dans certaines villes déjà très denses, ou par la construction d’habitats intermédiaires ; structures semi-collectives ou mitoyennes, écovillages etc.

Exemple d’habitat intermédiaire à Sainte-Geneviève des Bois dans l’Essonne

Sur le papier, la densification présente tous les avantages d’un point de vue écologique : rationalisation des transports des personnes et des marchandises, développement des transports en commun et abandon de la voiture individuelle, meilleure efficacité énergétique des bâtiments, optimisation de la surface utilisée…

Mais de récentes études pointent également un revers à tous ces avantages : des villes très denses peuvent créer des bulles de chaleur lors des périodes caniculaires, mais les inconvénients sont également sociaux. Des villes denses créent également l’envie d’escapades pour ses habitants, ainsi que les envies de maisons secondaires, ou de week-end au vert, entraînant à leur tour artificialisation des sols, trajets en voiture, etc. On parle alors de « l’effet barbecue ».

Parole d’expertes et d’experts

Alors, faut-il densifier pour limiter l’étalement urbain et la dévitalisation des terres naturelles et agricoles ? Ou au contraire, faut-il désengorger les villes déjà compactes et embouteillées ? Nous avons posé la question à plusieurs experts. Chercheurs, urbanistes, élus, ils répondent à ces questions :

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Claire Fonticelli
Docteure en sciences du paysage

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Claire Fonticelli, Docteure en sciences du paysage, chercheuse associée LAREP – École Nationale Supérieure de Paysage, Université de Cergy-Pontoise. Elle est notamment l’auteure de plusieurs article sur la densification.

Redéfinissons les grands principes

La densification, qu’est-ce que c’est ? Le site géoconfluence définit la densification comme une augmentation de la densité de population sur un espace donné. Cette densité est généralement donnée en nombre d’habitants au km². Le plus souvent, quand on parle de densification, on parle d’habitat, alors qu’il pourrait y avoir d’autres choses prises en compte. Les bureaux et les commerces par exemple, quand ils sont construits, contribuent à l’augmentation des surfaces bâties et peuvent participer à l’artificialisation des sols et à l’étalement urbain.
L’étalement urbain est l’augmentation de la superficie d’une ville et la diminution de sa densité de population. Une de ses manifestations spatiales est la péri-urbanisation. L’étalement urbain peut prendre différentes formes : un étalement concentrique, le mitage – une forme éparpillée de l’étalement – ou encore l’étalement en doigts de gants c’est-à-dire un étalement qui suit les axes de transport.

La densification : la panacée ?

Le sujet de l’aménagement est lié à des enjeux importants : la préservation des sols et des espaces naturels, l’adaptation aux conséquences du changement climatique, ou encore la nécessité de dépasser le “tout-voiture”. La densification apparait souvent comme une bonne solution à ces problématiques. En réalité, concernant la préservation des sols, la densification peut se traduire par une artificialisation des sols. Quand on refait la ville sur la ville, on va parfois la faire dans des fonds de jardins qui n’étaient pas imperméables ou dans des espaces en friche où la nature avait repris ses droits. Si la reconversion de zones d’activité désaffectées semble effectivement une bonne solution pour lutter contre l’étalement urbain, il faut donc être prudent sur ces concepts et ne pas imaginer que la densification urbaine est une solution miracle en termes de préservation des sols. On constate que les projets de densification se réalisent souvent sur des espaces non artificialisés, sur des espaces ouverts, dont on a vu à quel point ils pouvaient être nécessaires dans des villes particulièrement denses. Réussir à densifier les villes tout en les végétalisant nécessite beaucoup d’argent car cela implique des modes de densification plus complexes et plus coûteux ! En effet, les modes de densification ne se valent pas tous : le coût du foncier “renouvelable” – c’est-à-dire dans des secteurs déjà bâtis – est nettement supérieur à celui des espaces ouverts.

Il existe également un risque social à artificialiser les espaces ouverts en ville. Quand on artificialise ces espaces, on les retire à des personnes qui les fréquentent ou qui y habitent, y compris de manière illégale et informelle. On voit bien tous les campements de gens du voyage ou les bidonvilles qui sont des espaces “ressources” pour les personnes les plus précaires. Ils vont y trouver un abri à proximité immédiate de la ville et de ses services. La densification se fait à leur dépend et se traduit par un contrôle extrêmement fort de ces populations. Dans ces cas-là, la densification n’est pas pensée pour ces ménages les plus précaires qui sont obligés de se reporter beaucoup plus loin. Cela pose des questions importantes en termes de justice spatiale.

Alors densification ou étalement urbain ?

Selon moi, il ne doit pas y avoir de position dogmatique sur le sujet. Il faut surtout faire attention au contexte de chaque opération. Les gros lotissements 500 ou 1000 logements en pavillons isolés avec des parcelles de 500m2 doivent bien sûr être abandonnés. Mais il est possible de faire de très belles opérations en étalement urbain qui peuvent être intelligentes, bien intégrées et qui favorisent les mobilités douces. Ces projets peuvent apporter beaucoup aux communes, par exemple en redynamisant les villages.
Il y a donc la question du contexte qui doit être prise en compte, mais aussi celle des moyens. Quelle ingénierie dont on dispose dans les différents territoires pour conseiller les élus ? Ces derniers sont parfois complètement démunis face aux enjeux auxquels ils sont confrontés. Ils peuvent alors concevoir des projets (de densification ou d’étalement) inappropriés.

Cela fait 20 ans que l’État tente de limiter l’étalement urbain. Or, nous sommes toujours en train d’en parler. Cela montre bien que cela ne fonctionne pas. Ce qui manque avant d’avoir des objectifs aussi ambitieux que le “Zero Artificalisation Net”, ce sont des moyens pour les communes péri-urbaines de faire autre chose que du pavillon individuel isolé. Dans la plupart des projets que j’ai analysé dans le péri-urbain francilien, l’équilibre économique des opérations était tel que sans argent public, la seule chose qui aurait pu se réaliser aurait été du pavillonnaire classique. Ce qui manque c’est donc de l’argent et de l’ingénierie pour réaliser des projets pertinents. Les objectifs quantitatifs seuls n’aident pas les communes à trouver des alternatives – qu’elles cherchent désespérément.

L’étalement urbain est donc possible si il est dense et de qualité

Ce qui est important c’est de travailler sur des densités importantes pour les opérations réalisées en étalement urbain. Il faut également travailler sur la forme de l’étalement qui permet d’assurer une bonne intégration et une bonne transition entre l’urbanisé et le non-urbanisé. Et pour cela il faut une bonne ingénierie qui assure la qualité des projets. Dans beaucoup de communes, il manque ces ressources pour élaborer des alternatives aux projets de lotisseurs ou des promoteurs immobiliers qui ont essentiellement des objectifs économiques.
Il faut avant tout une analyse qualitative des projets et ne pas avoir une approche normative. Plutôt que de définir des réglementations uniformes, il faut se donner les moyens d’avoir cette approche qualitative et permettre aux services de l’État de rechercher des solutions efficaces d’étalement ou de densification.

Mais les français peuvent-ils abandonner l’idée du pavillon isolé ?

Si on travaille sur des typologies d’habitat intermédiaire, si on offre de grandes terrasses ou des jardins – des espaces extérieurs privés, ces logements peuvent répondre aux aspirations des différentes catégories de population. Si on favorise ce genre de projets dans des communes plutôt bien situées, proches des transports en commun, des pôles d’emplois, on peut satisfaire un grand nombre de ménages qui y trouveront un bon équilibre.

Une opportunité pour la mixité sociale

Quand on aborde la question de la nature de l’urbanisation (densification ou étalement), il faut penser à quel type d’habitat on construit. Souvent les opérations de densification sont aussi le moyen de faire de l’habitat social dans les communes qui en sont dépourvues. C’est intéressant car on introduit ainsi une certaine mixité et on participe à une évolution du parcours résidentiel. Il y a de plus en plus de familles mono-parentales, des jeunes isolés ou des personnes âgées avec des moyens réduits qui ont besoin d’accéder à du logement social. Beaucoup d’élus de communes péri-urbaines sont conscients de cette nécessité et se battent pour mener des projets de cette nature. Mais malheureusement les bailleurs sociaux ne sont pas toujours intéressés pour aller dans ces communes péri-urbaines car il y a une concurrence qui se joue avec les grandes agglomérations.

Donc sur cette question d’étalement urbain et de densification, il ne faut surtout pas oublier de s’intéresser aux types de logements produits.

Enfin, ne pas diaboliser le péri-urbain !

Les espaces péri-urbains créés depuis 50 ou 60 ans sont aujourd’hui dans une phase de maturité. Ce sont des lieux d’accueil des populations qui ne peuvent ou ne veulent pas aller ailleurs. Des ouvrages comme “Les métropoles barbares” montrent combien les espaces denses sont devenus difficilement vivables, et notamment pour les ménages qui n’ont pas beaucoup d’argent. Du coup ces espaces péri-urbains peuvent être des refuges, des espaces où on peut vivre autrement, porteurs d’alternatives. Il faut aller au-delà des clichés : péri-urbain = artificialisation des sols et utilisation uniquement de grosses voitures. Le péri-urbain peut également être un lieu où on recompose autrement notre rapport à la nature, où on fait nos courses avec des circuits courts, où on invente des espaces communs.

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Thomas Chevandier
Adjoint au maire du 20ème arrondissement de Paris en charge de l’habitat

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Thomas Chevandier, avocat et conseiller de Paris, adjoint au maire du 20ème arrondissement en charge de l’habitat et des relations avec les bailleurs sociaux

Densification, étalement urbain, aménagement du territoire, qu’est-ce que cela vous évoque ?

Ce sont aujourd’hui des concepts qui font l’objet de controverses. Si on veut vraiment en saisir la réalité, il faut revenir aux racines du problème. La question de la densification ou de l’étalement urbain n’est que la conséquence d’un double mouvement dans notre pays. Mouvement démographique d’une part : la France est un pays qui a une démographie dynamique, sa population augmente. Mouvement sociologique d’autre part : nous allons vers des foyers plus petits qu’avant. Divorces, recompositions, familles mono-parentales, la taille des foyers diminue. Or à population constante, il faut plus de logements avec des ménages plus petits.
Ce double mouvement fait qu’il y a un besoin important de logements en France. C’est un point essentiel à avoir en tête. Quand on parle étalement contre densification, il ne s’agit pas d’une controverse abstraite mais d’une réalité tangible pour beaucoup de français.

Ensuite il faut quantifier le besoin de logement. Pour le faire, il faut bien sûr tenir compte de cette augmentation de population mais pas uniquement. Il faut également tenir compte d’une donnée supplémentaire : le mal logement. Le mal logement est notamment étudié par la Fondation Abbé Pierre, qui publie une fois par an un rapport sur l’état à ce sujet. Ces rapports montrent qu’il s’agit d’un phénomène social très important en France. Il y a aujourd’hui environ 900 000 personnes qui n’ont pas de logement. Il y a également près de 3 millions de personnes qui sont dans une situation de logement très difficile : ils vivent soit dans des logements insalubres, soit ils sont hébergés temporairement par des gens qui ne sont pas de leur famille proche, soit ils sont dans des situations de sur-occupation grave (par exemple vivre à plus de 4 personnes dans un 2 pièces). A cela s’ajoutent 12 millions de personnes qui sont dans une situation précaire vis à vis du logement : sur-occupation limitée, problèmes de salubrité, etc…
Cela fait une part très importante de la population française qui a des problèmes vis-à-vis de son logement.

Il est donc nécessaire de construire des logements. L’estimation du nombre de constructions nécessaires fait l’objet de controverses mais on estime que pour répondre aux 3 facteurs évoqués (démographique, sociologique et de mal logement), il faudrait produire en France entre 350 000 et 500 000 logements par an. C’est un effort très important.

Maintenant que nous avons fait ce constat, la question est donc : où trouve-t-on tous ces logements ?

Faut-il construire ces 350 à 500 milles logements chaque année ? La réponse est non, pas en totalité. Il existe un vivier de logements disponibles..
Ces viviers sont : les logements vacants, les bureaux vacants et enfin les logements enlevés du marché locatif pour aller sur celui des locations touristiques de courte durée.

Selon l’Insee, entre 2006 et 2019, ces logements vacants sont passés de 1,9 millions à 3 millions. Toutefois, ce chiffre est à relativiser. Sur ces 3 millions de logements vacants, beaucoup sont en vacance de courte durée ou sont trop dégradés pour être habités. Une étude de l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de
l’environnement et du développement durable réalisée en 2016 montre que sur ces 3 millions de logements, seuls 140 000 sont situés dans des zones tendues et sont en vacance de longue durée (plus de 2 ans). Enfin, sur ces 140 000, la moitié nécessite des travaux de remise en état trop lourds pour être économiquement possibles. On voit bien que ce vivier n’est pas la réponse absolue à la crise du logement.

Même chose pour le vivier des bureaux vacants. En Ile de France par exemple, en mobilisant tous les bureaux vacants, on pourrait en reconvertir entre 1000 et 2000 par an en logement. Il faut bien sûr le faire, mais cela représente trop peu à l’échelle de la crise du logement.
Enfin, sur les meublés touristiques, une étude de l’atelier parisien d’urbanisme montre que 65 000 logements sont mis à disposition sur le site AirBnB en septembre 2020 sur Paris. Sur ce total, une majorité de propriétaires suit les règles du jeu et proposent leur logement sur ce site pour avoir un complément de revenu quand ils partent en vacances. Mais près de 14 000 sont mis à disposition par des multi-loueurs qui cherchent avant tout à rentabiliser leur bien immobilier. A Lyon, il y a 12 000 annonces dont 15% qui font l’objet d’une location plus de 120 jours par an. Il s’agit de logements disponibles rapidement dans des zones tendues. Je plaide donc pour un renforcement de la régulation de ces meublés touristiques, comme limiter le nombre de jours de location possible à 35 jours (qui correspond au 5 semaines de congés payés), pour favoriser leur retour sur le marché locatif.

En résumé, il existe bien un vivier de logements existants à exploiter mais qui est insuffisant pour répondre aux besoins. Ce constat est essentiel car il permet de se rendre compte qu’il y a besoin de construire des logements pour répondre à une crise sociale et aux enjeux démographiques, et que les viviers présents seront insuffisants pour y parvenir. La controverse entre étalement et densification doit être abordée en ayant connaissance de ce contexte.

L’étalement urbain : une réalité ?

Le problème de l’aménagement urbain est bien sûr différent selon qu’on se situe dans une grande métropole comme Paris, dans une ville moyenne ou en zone péri-urbaine Les modèles économiques, la densité ou encore les aspirations sont bien sûr différents. Mais il faut quand même faire un constat global : la situation de la France est problématique en termes d’étalement. Des études de démographes montrent que l’espace urbain a augmenté de 20% entre 1999 et 2010 alors que la population urbaine n’a augmenté que de 8% dans le même temps. La densité en zone urbaine est passée de 442 habitants/km² à 402 habitants/km ². On a donc globalement des zones urbaines moins denses aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Cela signifie qu’il y a eu un étalement plus important que nécessaire.

En parallèle, France Stratégie a publié une étude importante en juillet 2019 sur l’artificialisation des sols et l’étalement urbain, qui montre que la France est le pays d’Europe occidentale qui a le plus artificialisé ses sols. Cette étude montre également que cette artificialisation répond avant tout à des questions de logement, notamment par la multiplication des zones pavillonnaires en proximité de villes. 60% des constructions nouvelles de logement autour des années 2010 se sont faites sur des terres qu’il a fallu artificialiser à cette occasion, ce qui est énorme. L’Insee considère que si rien n’est fait à ce sujet, d’ici 2030 ce sont 20 000 hectares d’espace naturels, agricoles et forestiers qu’il faudra artificialiser. Cela correspond à 2 fois la superficie de Paris! Et l’impact de cette artificialisation peut être énorme. En premier lieu par ses rejets de CO2. Ensuite parce que cela conduit à moins d’écoulement et d’absorption naturelle des eaux et donc à plus d’inondations. Et on a vu, même récemment, que ce serait un des gros sujets du réchauffement climatique. Par ailleurs, l’étalement urbain est un mode de vie qui privilégie les déplacements en voiture ou encore la création de grands centres commerciaux. Donc un mode de vie qui repose beaucoup sur la production de carbone et qui a un impact écologique important.

Les français ont fait le choix de l’étalement urbain pour de nombreuses raisons : souhait d’acquérir un logement indépendant avec un lopin de terre, désertification des centres des petites villes, prix du foncier important dans les grandes métropoles, etc… Je ne juge pas ces choix mais constate qu’il est désormais nécessaire d’opter pour un autre modèle.

Alors comment densifier ? Mais aussi comment convaincre les français de vivre dans ces villes densifiées ?

Question compliquée qu’il faut aborder avec précaution. L’idée n’est pas d’imposer un certain mode de vie à tous. Il faut tout de même réussir à convaincre la majorité des français que la densité dans l’absolue est à la fois bien meilleure pour la planète que l’étalement mais peut aussi être une bonne chose en termes de qualité de vie et d’intégration.

Pour cela il faut densifier intelligemment. Le premier risque concernant la densité est d’augmenter la chaleur. Il faut donc proposer une densité qui va préserver les espaces qui sont encore en pleine terre. Pour ne pas utiliser ces espaces, il faut donc jouer sur la hauteur. Une solution efficace est de surélever les constructions d’un ou deux étages. Cela permet de ne pas avoir de conséquence importante sur la physionomie du quartier ou sur les ombrages tout en construisant du logement sans artificialiser les sols. Ensuite, on peut densifier en faisant des réhabilitations de qualité qui augmentent significativement les qualités énergétiques des bâtiments. La densification peut donc répondre aux enjeux climatique et offrir une bonne qualité de vie aux habitants.
Par ailleurs, la densité est une opportunité de faire de la mixité sociale. L’essentiel de la densité que nous faisons en cœur de métropole est faite avec des logements sociaux. L’exemple archétypal est bien sûr Paris mais cela vaut également pour les autres grandes villes. Enfin la densité permet le maintien des commerces de proximité ou encore le maintien des équipements publics.
Sous la condition qu’on maintienne les espaces verts, qu’on mette les moyens nécessaires pour construire des logements de qualité et qu’on maintienne des services publics et des équipements urbains, la densité peut donc conduire à une amélioration de la qualité de vie.

La nécessaire reconquête de l’espace urbain

Mais ce n’est pas tout. Il faut également modifier profondément notre approche de l’espace urbain. Il ne s’agit pas de la même densité quand 80% de l’espace public est destiné à la circulation de la voiture. Quand les places de parking sont utilisées pour faire des terrasses ou quand la voirie est utilisée pour faire des lieux de vie, ou encore pour végétaliser l’espace public, ce n’est plus la même impression de saturation de l’espace urbain. La condition préalable à la densité est donc la reconquête de l’espace public destiné à la voiture au profit des commerces, de la mobilité douce et pour en faire des lieux de vie ou de nouveaux espaces verts. C’est à cette condition qu’on arrivera à proposer des modèles de vie attirants qui concurrenceront celui du pavillon avec son petit lopin de terre.

Un dernier mot ?

Ce qu’il faut vraiment retenir c’est que la question de la densité et de l’étalement urbain est essentielle d’un point de vue de préservation de l’environnement. Et opter pour la densité est le seul choix possible en la matière. Il faut donc mettre en œuvre des politiques publiques pour rendre cette densité acceptable. C’est évidemment très compliqué à mettre en œuvre car cela passe entre autres par la reconquête de l’espace public dédié à la voiture. Et attention, il ne s’agit pas de promouvoir la bétonisation à outrance mais bien de réussir à concilier le besoin de loger les citoyens dans des conditions dignes avec l’impératif environnemental du moment.

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Hélène Nessi
Architecte et urbaniste

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Hélène Nessi, maître de conférence à l’université de Paris Nanterre, architecte de formation et urbaniste et responsable du master d’urbanisme à Paris-Nanterre.

Pour parler densification, parlons d’abord densité

Quand on parle de densification, il faut parler de densité. Or, une des difficultés réside dans le fait que les acteurs de la production urbaine ne parlent pas tous de la même densité, ils n’utilisent pas tous les mêmes indicateurs. On peut évaluer la densification à partir de la densité de population (en habitants/ha), de la densité de logement (en logements/ha) ou encore de la densité bâti (prenant en considération la hauteur du bâti et son emprise). Pourtant cela veut dire des choses très différentes en termes de forme urbaine, de paysage et de cadre de vie. Il faut donc être précautionneux car ce terme peut conduire à une forme d’incompréhension entre les parties prenantes. Pour s’y retrouver, je vous invite à consulter les très bons travaux produits par l’institut d’aménagement et d’urbanisme de Paris (anciennement l’IAURIF) qui définit ces différents termes et notions.

Il est important de tenir compte de tous ces indicateurs. En fonction de ce à quoi on va s’intéresser, il y aura des indicateurs plus pertinents que d’autres. Par exemple, la densité de population va être intéressante pour évaluer le niveau de saturation des équipements urbains ou des infrastructures de transport. Si on s’intéresse à la superficialisation des sols et ses potentiels impacts négatifs (comme les inondations), il faut plutôt vérifier si la proportion d’espaces verts est suffisante et donc regarder l’emprise au sol du bâti. Enfin, si on s’intéresse au paysage et au ressenti des habitants, il faudra regarder la densité bâti, qui est un rapport entre la hauteur et la surface au sol. J’ai réalisé de nombreux entretiens avec des habitants de zones périurbaines. S’ils ont opté pour le périurbain, c’est notamment pour y trouver de grands espaces à la fois dans leur logement et en extérieur. Ils associent le périurbain à un certain type de paysage, à la présence de nature et de végétation. Habiter dans le périurbain implique un certain nombre de contraintes qu’ils sont prêts à accepter seulement s’ils arrivent à maintenir leur cadre de vie. On comprend bien pourquoi il est important de ne pas se limiter à un seul indicateur pour faire évoluer ces territoires.

Les limites de la densification

Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif final est de loger les gens. Il est bien beau de dire que nous allons densifier partout, mais en réalité les centres-villes le sont déjà. Il y a eu une première mouvance de politique urbaine qui a consisté à construire la ville sur la ville et à densifier les centres urbains dans les années 2000. Mais “Construire la ville sur la ville” cela a déjà été fait. Depuis 20 ans, suite à la loi ALUR (2014) et aux Grenelles (2010), de nombreuses choses ont été faites en la matière. De plus, le peu de foncier qui reste dans ces zones est très cher.
Les transports et les équipements dans les grosses agglomérations sont également déjà saturés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les gens décident d’aller plus loin. Les projets d’infrastructure de transport comme le Grand Paris ne vont pas résoudre tous les problèmes. Les analyses sur le sujet, notamment celles de Daniel Béhar montrent que cela va même accentuer les inégalités en Île-de-France. Le sud-ouest parisien sera beaucoup mieux desservi que le nord et l’est si on regarde bien le projet. De grandes entreprises s’y sont déjà installées et des promoteurs se sont précipités sur cette zone déjà dynamique sur laquelle ils ne prennent aucun risque pour investir ayant, du fait du bassin d’emploi, une clientèle de cadres. A l’est, les dynamiques montrent que ces zones n’ont pas attiré de grande entreprise. Quelques promoteurs ont cependant investi dans le logement à proximité des nouvelles gares. Ces communes sont déjà saturées (voie routière, équipements sportifs, écoles primaires, maternelles et crèches), leur population va largement augmenter, mais elles ne disposeront pas de plus de moyens pour absorber ces nouvelles augmentations. La densification aura ici une répercussion négative très forte sur le quotidien des habitants. En outre, l’idée du Grand Paris de rapprocher emploi et logement ne semble pas se concrétiser à l’Est où l’offre d’emploi augmente très peu. Il faut donc prendre la mesure des répercussions de la densification, si celle-ci n’a pas été anticipée en amont, les équipements et services n’arriveront que 20 à 30 ans plus tard. Cela dépend donc fortement du contexte, des moyens qu’on y consacre et de son anticipation. Il existe parfois une déconnexion entre les grands projets d’infrastructures qui vont avoir un impact très fort sur les dynamiques métropolitaines mais qui vont être difficilement gérés par les élus des petites communes qui n’auront pas les moyens nécessaires.

La densification a également eu des effets pervers en banlieue ou en zone périurbaine. Plusieurs mécanismes ont été mis en place, et notamment la division parcellaire. Cela consiste à diviser sa parcelle pour revendre une partie, chaque partie maintenant ses droits de construction. Il y a eu beaucoup de spéculation foncière et cela a incité les propriétaires à diviser leurs parcelles. Conséquence : on multiplie ainsi la surface bâtie sur un terrain. Cela a créé beaucoup de problèmes en termes d’artificialisation des sols et les pouvoirs publics essaient désormais de limiter ce phénomène.

Alors quelles solutions pour le logement ?

D’abord, il faut réfléchir à l’usage des locaux existant en centre-ville. Il y a aujourd’hui beaucoup de logements sous exploités, comme les Airbnb par exemple, qui pourraient être employés. Des bâtiments publics sous-utilisés pourraient être remobilisés. On peut supposer également qu’il va y avoir une grosse crise de surface de bureau. En effet, les employeurs se sont rendus compte qu’il était plus intéressant financièrement de laisser les employés travailler depuis chez eux. Il va y avoir un vrai enjeu de reconversion de ces locaux professionnels délaissés, comme il y a pu y avoir dans d’autres pays.
Enfin, la construction sur les emprises foncières industrielles comme ce fut le cas dans Paris. de grandes ZAC (Zones d’Aménagement Concerté), portée par la puissance publique, ont été réalisées sur des emprises foncières ferroviaires, comme la ZAC Batignolle, ZAC rive-gauche. La population de Paris décroît jusque dans les années 2000 du fait de l’exode rural et commence à remonter du fait, d’une part, de la construction de ZAC et d’autre part, de la réhabilitation de certains quartiers. Comme l’avait initié la loi Malraux sur la sauvegarde du Marais dans les années 60, d’autres quartiers insalubres vont être réinvestis à la fin des années 90 comme le quartier de la Réunion dans le 20ème.
Cette politique de réhabilitation de centre insalubre s’est opérée par exemple à Bordeaux et la réalisation de nombreuses ZAC dans les centres-villes a été réalisée dans les grandes villes de France : la ZAC de l’Ile de Nantes, les ZAC de la Joliette, St Charles et Cité de la Méditerranée à Marseille de la zone portuaire à la gare St Charles, la ZAC de Bonne à Grenoble sur le site d’une ancienne caserne, la ZAC de Lyon Confluence sur une ancienne gare de triage, un port et l’ancien marché d’intérêt national.

Misons plutôt sur la compacité qualitative du périurbain

La densification se poursuit dans les zones périurbaines. L’étalement urbain commence à se stabiliser autour des grosses métropoles, notamment du fait des temps de transport qui ont atteint leur limite (les gens ne sont pas prêts à aller plus loin). Il est possible d’adopter des stratégies intelligentes de réorganisation et d’optimisation de ces territoires. Ces zones-là ont été construites comme un patchwork, chaque promoteur réalisant son projet indépendamment. Il existe des zones avec des poches libres entre 2 tissus urbains. Il faut plutôt utiliser ces espaces libres et finir de consolider ces quartiers péri-urbains. Il y a une manière de faire de la densité intermédiaire qui peut être tout à fait vivable et très qualitative. On parlera alors plus de compacité que de densité. La compacité consiste à réunir toutes les formes bâties à proximité afin de rentabiliser davantage les services et les équipements.

En ayant une exigence forte en termes d’espace vert, de travail de transition entre les espaces publics et les espaces privés, cette compacité peut être très bien acceptée. Les paysagistes pourraient avoir un rôle important à jouer pour réaliser ce travail de suture et d’intégration qui permettrait de densifier un peu plus.

Les nouveaux péri-urbains abandonneront-ils le rêve du pavillon isolé avec jardin ?

Oui, si on se donne les moyens de leur offrir d’autres avantages, notamment des services et des équipements, ils seront prêts à l’accepter. Dans ces villes et villages, il existe souvent un centre-bourg assez dynamique qui dispose de nombreux avantages. Les gens sont prêts à accepter de vivre dans de petits immeubles avec des espaces ouverts si cela leur offre plus de confort et leur permet de limiter la durée des déplacements. Des travaux approfondis à ce sujet montrent qu’il y a une forte lassitude de la voiture. S’ils peuvent limiter leur distance de déplacement, quitte à habiter dans des zones un peu plus denses, les gens le feront. On caricature souvent le rêve du jardin indépendant mais les entretiens avec ces habitants montrent que ce qui prime c’est l’accès aux grands espaces verts et aux forêts aux alentours. En maintenant la qualité des espaces publics et des sas d’accès aux logements, et en facilitant l’accès aux aménités végétales, ces zones plus denses seront attirantes.

Il existe désormais des paysagistes et des architectes sensibilisés à ces enjeux qui peuvent produire des formes urbaines conciliant à la fois la densité et la qualité paysagère. Le problème c’est que les petites communes ne font pas forcément appel à ces ressources. Ce sont souvent les promoteurs qui interviennent directement dans les zones périurbaines. Il faudrait peut-être réformer la production urbaine en obligeant les promoteurs à s’associer à des architectes pour proposer des formes urbaines plus travaillées.

Et pourquoi ne pas contraindre les bailleurs sociaux à mener des projets dans ces zones.

Ce sujet est très polémique car une des critiques portées aux bailleurs sociaux et d’avoir construit, après-guerre, des grands ensembles dans des zones isolées sans équipements ni services où des gens disposant de peu de moyens avaient du mal à se déplacer. Il faut donc être prudent et ne pas reproduire les erreurs du passé.

Il faut anticiper !

Quelque chose qui pourrait être vraiment amélioré au niveau de la politique de l’aménagement c’est d’avoir une véritable politique foncière dans les zones périurbaines. Et c’est possible ! Quand on veut faire une ZAC, par exemple, un établissement public foncier va avoir des stratégies d’acquisition pendant 10 ou 20 ans pour obtenir des poches entières de foncier. L’aménageur public pourra alors imposer beaucoup plus de contraintes aux promoteurs. Contrainte d’aménagement, contrainte de maintenir des espaces verts, de produire des espaces publics qualitatifs, mais aussi contraintes du point de vue environnemental, énergétique par exemple. Cela devrait être généralisé. Une vraie politique foncière permettrait une production urbaine plus cohérente.

En résumé, il est possible de densifier en zone périurbaine pour répondre à la demande de logements, mais modérément. Il est important de garder en tête l’aspect qualitatif dans la forme urbaine et la production des espaces publics. Une densification intermédiaire dans le périurbain pourrait être plus acceptable si un réel effort est fait sur la forme architecturale et paysagère.

La densification, un atout en termes de mobilité ? Pas toujours

Cela renvoie à mes travaux de thèse. Précisons tout de suite que cette recherche a été faite sur une catégorie de population précise (ménages avec enfants et retraités) vivant dans de grandes métropoles. Elle couvre donc un contexte et des catégories de population précises. Cette étude montre qu’il existe des pratiques de mobilité très différentes entre les habitants des centres-villes et ceux des zones périurbaines. Sur ces très grandes villes où la densité du centre est très différente de celle de la périphérie, les habitants du centre vont habiter là pour bénéficier de la proximité des zones d’emplois, des activités, des services, des lieux de divertissement. Durant la semaine, ils vont se déplacer essentiellement en vélo ou en métro. Ils ont donc un impact environnemental très limité durant la semaine à la différence des péri-urbains, qui par manque de solutions de transport en commun, vont devoir utiliser leur voiture.

A l’inverse, les habitants du périurbain restent à proximité de leur lieu de résidence et se déplacent moins le week-end en raison d’un fort ancrage dans leur territoire et d’une recherche de rationalisation de leur déplacement. Les habitants du centre, eux, se déplacent plus régulièrement de leur quartier pour se rendre dans des destinations plus lointaines en voiture à la recherche de grands espaces ouverts, ou à l’étranger en avion essentiellement pour des destinations touristiques ou culturelles. Le week-end, ils vont alors avoir un impact environnemental nettement supérieur aux habitants du périurbain. Et si on regarde le cumul sur la semaine complète, les kilomètres parcourus sont équivalents.
Ces résultats relativisent les accusations souvent faites sur les pratiques de mobilité des périurbains. Attention toutefois aux conclusions hâtives, les résultats ne cherchent pas à prôner un modèle urbain plutôt qu’un autre mais à en comprendre les effets, d’autant plus que la question de l’aménagement ne se limite pas seulement aux transports. L’urbanisme, englobant des enjeux sociaux, économiques, géographiques et politiques rend l’organisation des territoires particulièrement complexe, avec par ailleurs, un emboîtement d’enjeux liés à différentes échelles spatiales (internationale, nationale, métropolitaine, du pôle secondaire, de la commune et du quartier). Il est en effet très difficile de trouver un bon équilibre entre tous ces paramètres.

Un dernier conseil pour les citoyens ?

Oui : prendre la mesure de l’intérêt général. Pour cela, il faut qu’il y ait plus d’échanges entre les pouvoirs publics, les élus et les citoyens. Les citoyens n’ont peut-être pas toutes les clefs, mais si on leur explique les contraintes et qu’ils participent au processus décisionnel, ils seront plus en mesure d’accepter les projets nécessaires à l’intérêt général. Il faut faire preuve de plus de pédagogie, expliquer pourquoi certaines orientations sont imposées aux communes en mobilisant ce que nous a appris l’histoire et rendre intelligible les enjeux qui se jouent à d’autres échelles.

ENTRETIEN AVEC
Jacques Levy
Géographe

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Jacques Levy, Chercheur en sciences sociales, Géographe, directeur de la chaire “intelligence spatiale” de l’université Polytechnique Hauts-de-France

Quelle est la situation actuelle en termes d’étalement urbain ?

Deux éléments sont importants à considérer pour bien comprendre la problématique. Tout d’abord, il n’existe pas qu’un seul modèle d’habiter, mais bien plusieurs modèles. Ensuite, l’époque récente a entraîné des nouveautés dans les manières d’habiter.

L’habitat doit être compris au sens large : habiter, c’est aussi se déplacer, travailler, faire du tourisme, etc. La nouveauté de ces dernières décennies, c’est que beaucoup plus de gens ont beaucoup plus de possibilités qu’auparavant pour choisir un modèle d’habiter.
Dans les sociétés rurales, les habitants étaient liés à la terre, notamment et changer de lieu était difficile. Aujourd’hui, la grande majorité de la population est à la fois plus solvable et plus mobile. A revenus égaux, on peut vivre en ville dans un logement social, avec un coût de transport faible, ou plus loin en étant propriétaire d’un logement bénéficiant d’un prix foncier moins élevé, mais avec des déplacements en voiture.

Ces dernières années, le mouvement majoritaire a plutôt vu des Français migrer dans les banlieues éloignées ou dans les campagnes périurbaines. Ils étaient mus notamment par la recherche d’une accession à la propriété d’une maison individuelle et un désir de pouvoir choisir ses voisins. Mais un modèle inverse a touché d’autres personnes, disposant souvent d’un capital culturel élevé (mais pas forcément de revenus élevés), qui au contraire recherchent une urbanité forte : forte densité, forte diversité, en valorisant différents types d’exposition à l’altérité. Notons par ailleurs que la pauvreté est plus forte dans les centres des grandes villes que dans le périurbain.

Quel impact de la crise sanitaire sur ces tendances ?

Il semble que la crise sanitaire ait stimulé l’achat de résidences secondaires, ou l’envie de campagnes ou de villes à taille moyenne. Mais cette tendance a principalement concerné des personnes à la fois aisées, mobiles et qui ont plutôt renforcé une bi- ou multilocalisation préexistante. Pour le moment, il vaut mieux rester prudent et attendre des données significatives avant de pouvoir identifier une tendance.

Quel modèle d’habiter choisir pour l’avenir ?

Sur les enjeux questions liées au climat, aux sols, à l’eau ou à la biodiversité, une urbanité forte, c’est-à-dire à la fois dense et diverse, est bénéfique pour la nature : elle émet peu de gaz à effet de serre grâce au faible poids des transports individuels et elle est économe en surfaces de sols imperméabilisés. Par ailleurs, le principal problème pour la biodiversité provient plutôt de l’agriculture, dont le principe même consiste à limiter, sur de grandes surfaces, le nombre d’espèces végétales et animales.

Si l’on considère la vie dans des villes, il est assez clair qu’elles sont plus spontanément respectueuses des écosystèmes que les campagnes. Cependant, c’est aux citoyens de décider, de faire des choix de société et d’en assumer les conséquences de ces choix, quels qu’ils soient.

On peut bien sûr imaginer de mettre en place des politiques incitatives, mais encore faut-il qu’elles soient prises à la bonne échelle, celle des aires urbaines étant la plus petite où les différents modèles d’habiter peuvent et doivent être confrontés dans un débat démocratique et, si possible, rendus compatibles.

Comment faire pour influencer les décisions individuelles ?

Je ne crois pas du tout à des notions comme l’« acceptabilité » ou la « pédagogie » : les citoyens ne sont ni des enfants, ni des idiots. Avant de décider de leur manière d’habiter, ils réfléchissent longuement et pèsent les avantages et inconvénients. Pour beaucoup de ceux qui choisissent le périurbain, par exemple, les déplacements en voiture et le stationnement gratuit dans les centres commerciaux sont un avantage significatif, qui s’opposent dans l’esprit de ces habitants aux transports en commun bondés et marqués par une promiscuité subie.

Si l’on souhaite provoquer des changements dans les modes de vie, il faut en passer par les imaginaires, qui sont influencés par la montée en puissance des préoccupations écologiques, mais qui ne peuvent pas être pour autant manipulés par de la simple « communication ». Ainsi, la ringardisation de la voiture à laquelle on assiste est un phénomène générationnel très fort dans les pays occidentaux. Pourtant, ce changement s’est produit sans campagne dans l’ensemble des pays développés. Cette évolution s’est faite en douceur car elle se situe à la convergence de plusieurs processus, et cela malgré la visibilité massive de publicités pour l’automobile qui continuent d’associer la voiture à l’idée de liberté.

Les politiques actuelles de l’habitat consistent à influencer un peu les choix individuels, sans imposer de contrainte, en laissant une grande liberté individuelle, voire en encourageant des modèles contradictoires. On pourrait souhaiter davantage de cohérence, mais ce n’est probablement pas par la contrainte qu’on peut changer les choses dans un domaine où les individus tiennent à leur autonomie.
Cependant, des incitations plus fortes, notamment financières, pourraient être efficaces pour soutenir la qualité urbaine. On pourrait également écarter les soutiens à l’étalement urbain, qui subsistent à travers les aides à la propriété individuelle hors des villes.

Y a-t-il des points de blocage ?

On observe en France une culture très forte d’accession de l’accession à la propriété pour l’habitation principale, qui est vue par beaucoup comme un objectif principal de vie. Elle est aussi perçue comme un bon placement financier et, de plus en plus, comme un matelas de sécurité face aux risques sociaux. Il faudrait sans doute clarifier ces motivations, en partie contradictoires entre elles, et aider les Français à faire évoluer leur culture économique. Pour cela, les collectivités locales pourraient proposer des modèles mixtes, permettant d’éviter une inutile immobilisation d’actifs. La fiscalité du foncier pourrait aussi rendre plus lisible le rôle spécifique de la propriété du sol urbain.

Il s’agirait au fond de renforcer une tendance vers la substitution du service à la possession d’un bien matériel : c’est ce qui se passe de plus en plus avec l’automobile (leasing) ou avec les résidences secondaires (location de type AirBnB). Dans cette nouvelle approche, le « capital de stock » (où l’accumulation est source de sécurité et de stabilité) est défié par le « capital de flux » qui intègre le mouvement des identités dans un monde lui aussi en mouvement.

Des ressources pour aller plus loin

Pour creuser le sujet et en savoir (encore) plus, nous vous invitons à consulter les élements suivant :


Désimperméabilisation, renaturation, artificialisation. Si vous souhaitez tout comprendre sur la préservation des sols et ses enjeux, voici une bande dessinée originale et ludique sur ce sujet.


Le CEREMA propose une analyse détaillée de la consommation d’espaces et de l’artificialisation des sols sur la période 2009-2019. Une infographie courte et claire qui vous étonnera.


Un quizz sur la densité urbaine proposé par le CEREMA. Dénouez le vrai du faux sur la densité urbaine grâce à 20 questions / réponses


Une voirie pour tous (UVT) : Rues et espaces publics à vivre

Cette série de fiches présente les pratiques d’aménagement de la voirie et des espaces publics qui permettent un partage plus équilibré de ces lieux entre tous les usages urbains et tous les usagers. Les angles d’approche varient : certaines fiches portent un regard technique pointu sur des points de doctrine ou de réglementation, d’autres sont de nature méthodologique, d’autres encore valorisent des pratiques ou expériences intéressantes.


Le dossier « Faire la ville dense, durable et désirable – Agir sur les formes urbaines pour répondre aux enjeux de l’étalement urbain ». Complet et abordable, il propose dans des éléments de réflexion concernant l’étalement urbain et les enjeux induits par ce phénomène, ainsi qu’une approche opérationnelle des questions de densité et de formes urbaines


Les carnets pratiques de l’IAU « Comment encourager l’intensification urbaine ». Ce carnet aborde la notion de compacité urbaine, parfois difficile à faire accepter localement. Ce thème est abordé de manière transversale, avec pour objectif de faire connaître des expériences récentes grâce à une présentation synthétique, illustrée et pédagogique.


Le dossier « La densification en débat – effet de mode ou solution durable ».

Ce dossier coordonné par Eric Charmes de l’Institut français d’urbanisme de Université Paris-Est Marne-la-Vallée apporte des éléments de réponse aux questions suivantes :

  • qu’est-ce que la densité urbaine ?
  • comment la notion de densité urbaine a-t-elle évolué au cours de la période contemporaine, en termes de perceptions, d’usages et de préconisations ?
  • que retenir de la courbe de Newman et Kenworthy ?
  • quels sont les influences de la densité urbaine sur la consommation énergétique et la mobilité ?
  • comment densifier les lotissements ?


Le livre « Densifier/Dédensifier – Penser les campagnes urbaines » aux Éditions Parenthèses. L’ouvrage explore la manière dont les campagnes urbaines peuvent accueillir des formes nouvelles de densification ou doivent au contraire être dédensifiées, en conciliant la pression démographique et foncière avec la préservation des sols et des paysages


L’émission de radio « La question du jour » du 26 juillet 2021 sur France Culture intitulée : « Inondations, pics de chaleur : comment aménager le territoire face au réchauffement climatique ? »

Les intempéries et catastrophes naturelles de ces dernières semaines ont ravivé ces questions, interrogeant la manière dont nous avons construit nos vies, nos habitats. Nul n’est épargné. Comment adapter nos villes, nos territoires, au changement climatique ? Comment composer avec le risque ?


Le film Urbanité/s. Le film explore le concept d’urbanité à travers l’observation des villes du Monde, tout particulièrement en Chine.


Le site Géoconfluence est une publication en ligne à caractère scientifique pour le partage du savoir et pour la formation en géographie. Utile pour ses ressources mais également pour son glossaire qui propose une définition abordable des grands principes

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