Il y a un lit avec une couette bleue, sur laquelle est posée un écran d'ordinateur. Sur ce dernier, la série friends défile. Il y a également une tasse avec écrit FRIENDS dessus, et un cadre typique de la série posée dans le fond sur le mur.

La série Friends est-elle problématique ?

📋  Le contexte  📋

Friends est une sitcom américaine diffusée pour la première fois de 1994 à 2004. Créée par Marta Kauffman et David Crane, elle raconte les péripéties d’un groupe d’amis new-yorkais, composé de Monica, Rachel, Phoebe, Chandler, Joey et Ross. Ces derniers partagent leurs aventures amoureuses, professionnelles et familiales. Friends est devenu au fil des dix saisons une série culte aux États-Unis et partout dans le monde. La diffusion des derniers épisodes rassemblera jusqu’à 52,5 millions de téléspectateurs !

Dix-sept ans après la fin de la série, Friends rencontre encore un énorme succès. En 2018, Netflix achète les droits de la série pour 100 millions de dollars. La série est rapidement plébiscitée sur la plateforme et trouve un nouveau public chez les jeunes générations. L’année dernière, Friends revient pour un épisode spécial : Les Retrouvailles. Cette réunion exceptionnelle est l’occasion pour les acteurs de redécouvrir les décors, de partager des souvenirs du tournage mais également de réagir à certains reproches des détracteurs de la série.

En janvier 2018, le média Slate publiait un article* expliquant qu’une partie des millenials trouvait la série Friends parfois dérangeante, voire problématique. Certains internautes et journalistes prennent position et dénoncent des propos sexistes, transphobes, homophobes et grossophobes, ainsi qu’un manque de diversité au sein du casting où ne sont représentées que des personnes blanches, minces et aisées**. Pourtant, d’autres avancent que Friends est un show ayant pour la première fois évoqué des sujets engagés et à l’avant-garde comme le mariage homosexuel ou la gestation pour autrui. Alors, la série Friends est-elle progressiste ou stigmatisante ? Et d’une manière plus générale, faut-il faire le tri dans les œuvres passées ou faire fi de la “cancel culture” ?

*http://www.slate.fr/story/156290/serie-friends-sexiste-homophobe-grossophobe
**http://www.slate.fr/story/210944/friends-raisons-popularite-succes-serie-tele-problematique-evolution-epoque-consensus-sitcom

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La série Friends est-elle problématique ?
Le « Pour »
Églantine L’Haridon
Rédactrice en cheffe La Ruche
Reflet d’une société, ou paresse du progressisme ?

Lorsque Friends, série culte des années 1990 avait été rendue disponible sur la plateforme de streaming Netflix, en 2018, un débat avait enflammé Internet : la sitcom serait en fait homophobe, sexiste, grossophobe, voire même transphobe. Comment pouvait-on oser s’y attaquer ? Comment pouvait-on avoir l’audace de penser que Ross, Rachel, Phoebe, Joey et Chandler n’étaient pas les incarnations de la perfection, tant leurs péripéties en ont fait rire et pleurer des millions ?

Et pourtant — quand on s’intéresse de plus près à ces accusations, il semble difficile de se faire l’avocat du diable. La masculinité de Chandler, la transexualité de son père, le passé de « grosse » de Monica… Tant de sujets qui prêtent bien, selon les scénaristes, à rire. Tant de sujets que BuzzFeed, entre autres, pouvait même en faire un papier et titrer « 21 fois où Friends a été très problématique », énumérant, longuement, les plaisanteries qui auraient pu, dans les années 90, faire rire, mais qui aujourd’hui questionnent.

En dix saisons – 236 épisodes – seuls deux personnages ne seront pas blanc.he.s

Alors si, oui, Friends aura pu parfois être progressiste, mettant en scène un couple lesbien (Susan, l’ex-femme de Ross, et Carol), de nouveaux modèles parentaux (Phoebe et la gestation pour autrui ; Ross et Rachel ayant un enfant sans être ensemble) ; elle n’est pour autant pas exempte de gros défauts. On dénoncera aussi son manque de représentation : en dix saisons — 236 épisodes —, seuls deux personnages ne seront pas blanc·he·s. Par contre, en dix saisons, Joey, Chandler et Ross auront su objectifier les femmes à multiples reprises, faisant d’elle des bouts de viande dont la fonction principale serait d’apaiser leurs appétits sexuels.

« Comment une sitcom peut mettre en scène un couple de lesbiennes dès son pilote tout en créant un personnage, Chandler, qui débite les blagues les plus homophobes du monde ? Pourquoi créer un personnage de femme de caractère génial comme Monica et la rendre accro au ménage ? » se questionne alors Marion Olité, journaliste pour Konbini. Et la réponse à cette question, selon certains, est évidente : Friends n’est que le reflet de la société américaine des années 1990, et il paraît alors illogique de s’y attaquer avec notre vision, trente ans plus tard.

Chandler vit comme un affront d’être perçu comme homosexuel, Ross ne conçoit pas le fait qu’un homme puisse être nounou et hétéro

Pour Marie Telling, journaliste et créatrice du podcast « Amies », ce n’est pourtant pas si évident. Et pour cause : la société des années 1990, c’est aussi celle du premier baiser lesbien, dans Buffy contre les vampires, ou de la sororité du « Pouvoir des trois » de Charmed. Comme la journaliste le dit, « Il n’a pas fallu attendre les années 2010 pour que les blagues homophobes ou grossophobes deviennent problématiques et blessantes. ». Chandler vit comme un affront d’être perçu comme homosexuel, Ross ne conçoit pas le fait qu’un homme puisse être nounou et hétéro, le sexisme permanent de Joey (« Recherche : colocataire, femme, non-fumeuse, non-moche ») : ce sont aussi tant de représentations et tant de visions qui sont alors normalisées, justifiées, et déculpabilisées par la série. « Un parti pris paresseux des scénaristes », résume Marie Telling.

Alors si, oui, on peut encore regarder Friends, l’aimer même, tant cette série est doudou et détachée ; il s’agit, aujourd’hui, d’avoir un œil critique sur les idées qu’elle défend et celles qu’elle ne déconstruit pas. Non, ce n’est pas normal de stigmatiser certaines minorités (lesbiennes, transexuel·le·s, femmes). Non, il n’y avait pas que des blanc·he·s à New York en 1997. Non, ta vie ne commence pas quand tu perds 30 kilos. En somme, Friends, ça reste oui ; et la remise en question aussi : critique, importante, nécessaire.

Le « Contre »
Claire Dutriaux
Maître de conférences en civilisation américaine
Plus de vingt-cinq ans après ses débuts, Friends mérite toujours d’être regardée

Depuis les retrouvailles des personnages de Friends revisitant les décors du Central Perk en 2021 sur HBO Max, la sitcom la plus populaire des années 1990-2000 a été accusée de grossophobie, d’homophobie, de transphobie, de misogynie et de sexisme, et critiquée pour son manque de diversité. La série ne convient plus à un public désormais demandeur de
productions télévisuelles reflétant les problématiques sociales des années 2020. À l’écran, la représentation de Monica en jeune fille obèse se goinfrant de sucreries, les gags sur la supposée homosexualité de Chandler et sur son père transgenre ou encore un casting comportant exclusivement des acteurs et actrices blancs sont choquants.

C’est par exemple la première série de network qui mit en scène un mariage lesbien, celui de Carol et de Susan

Pourtant, tout n’est pas à éliminer dans Friends, car elle est, à bien des égards, une sitcom novatrice malgré des ressorts comiques parfois de mauvais goût. C’est par exemple la première série de network qui mit en scène un mariage lesbien, celui de Carol et de Susan, et ce mariage solide est mis en parallèle avec la vie personnelle de Ross Geller, trois fois divorcé, et dont l’intolérance est moquée à de nombreuses reprises.

La série introduit également le thème de la gestation pour autrui lorsque Phoebe décide de porter les embryons de son demi-frère, sujet hautement controversé dans les années 1990, et qui l’est toujours aujourd’hui dans de nombreux pays. Joey est un personnage sexiste et misogyne, qui collectionne les femmes, cependant sa misogynie et son sexisme ne sont jamais glorifiés ou excusés dans la série. Dans l’épisode final, Joey est d’ailleurs le seul personnage qui reste célibataire, indiquant ainsi en creux que son attitude est inacceptable.

Dans les années 1990, les sitcoms présentant des personnages de femmes indépendantes en leur centre n’étaient pas légion

Malgré les débordements misogynes et sexistes de Friends, la série a également le mérite de présenter plusieurs portraits de femmes ne devant leur réussite qu’à elles-mêmes. Rachel, par exemple, décide de fuir son mariage et apprend à compter sur elle-même en débutant tout en bas de l’échelle sociale, comme serveuse, et parvient peu à peu à faire carrière dans la mode. Monica Geller construit elle aussi une carrière réussie comme chef dans un grand restaurant. Dans les années 1990, les sitcoms présentant des personnages de femmes indépendantes en leur centre, en tant que rôles principaux au même titre que leurs homologues masculins n’étaient pas légion, si l’on pense à Seinfeld, le Prince de Bel Air, ou encore Spin City.

Comme toute production télévisuelle, Friends reflète son époque, et c’est aussi à ce titre qu’elle doit toujours être regardée, et recontextualisée. Ses défauts sont ceux des productions des années 1990-2000 et ils sont le témoin de l’évolution de nos représentations mentales et de notre regard sur nos sociétés. À l’époque des débuts de la série, les questions d’ethnicité, de genre, de sexe, de classe n’avaient pas véritablement leur place sur les écrans.

Très peu de séries ont inclus des acteurs et actrices d’origines différentes. Les manques criants de Friends doivent être reconnus, mais du fait de sa place importante dans l’héritage culturel américain, et de son caractère souvent précurseur et novateur, la série mérite d’être toujours regardée dans notre époque contemporaine.

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