📋 Le contexte 📋
Le revenu universel, aussi appelé « revenu minimum », ou encore « revenu minimum d’existence », désigne une somme d’argent versée à tous les citoyens, et ce, sans condition (d’âge ou de revenus), ni contrepartie. L’objectif est de simplifier la bureaucratie, en regroupant et fusionnant les aides sociales en une seule allocation.
Plusieurs pays réfléchissent eux aussi à mettre en place un revenu universel. C’est le cas de l’Espagne avec Pablo Iglesias, ministre des droits sociaux, qui envisage d’instaurer un revenu minimum de 600€ par mois ; ou encore le gouvernement brésilien qui a validé une loi prévoyant un revenu de base pour les plus de 18 ans (selon certaines conditions).
La situation actuelle provoque une crise économique et fait redouter des conséquences désastreuses (comme l’augmentation du chômage). Cette crise a aussi entraîné une plus forte dépendance des Français envers l’État (ex : chômage partiel), faisant évoluer la perception des aides de l’État. Face à ce contexte, le revenu universel revient au cœur des débats politiques.
🕵 Le débat des experts 🕵
Il y a un manque. La crise actuelle liée à l’épidémie de Covid-19 révèle un manque important dans notre système de protection sociale. Nous voyons aujourd’hui combien le dispositif de chômage partiel ne couvre qu’une partie des travailleurs : celles et ceux qui ont un emploi salarié. Les travailleurs dit « uberisés », ceux qui travaillent en auto-entrepreneurs pour des plateformes, ne sont pas couverts par la protection sociale telle qu’elle est actuellement. C’est pourquoi il nous faut penser une forme de protection, de garantie, en dehors de l’emploi salarié. C’est en quelque sorte un nouveau contrat social qu’il nous faut refonder. Quand les sujets des monarchies se sont déclarés citoyennes et citoyens, ils ont édicté que chacune et chacun avaient des droits inaliénables. Ainsi, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen assure que le « gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles », ou encore que la « sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres, pour la conservation de la personne ». On constate alors que notre charte fondamentale exige que gouvernement et société garantissent à chacune et chacun le droit à l’Existence, sécurité primordiale qui permet l’exercice concret des droits et devoirs. Or, jamais la concrétisation de ce droit à l’Existence n’a été effectuée. Les conservateurs et libéraux ne l’ont conçu que comme la protection policière des biens et des personnes et la gauche socialiste, rapidement frappée par l’injustice du capitalisme, s’est avant tout concentrée sur la protection sociale des personnes en tant que travailleurs. La crise sanitaire que nous vivons n’est qu’une manifestation supplémentaire d’une rupture beaucoup plus ample que vit la civilisation humaine : l’inadéquation du productivisme et de notre survie. Ça « craque » écologiquement et socialement. Dès lors, les sécurités sociales assises sur le travail, tel que défini par le capitalisme productiviste, ne suffisent plus et se multiplient alors les situations de précarité, de travail « indépendant », de poly-statuts sans protection concrète. En cela, la crise sanitaire est aussi une crise sociale. Soyons clairs : nous ne croyons pas à la disparition du travail salarié « traditionnel », nous pensons qu’il se relativise. Il s’agit donc de construire un double-mouvement : – L’amélioration significative de la protection sociale assise sur le travail, abîmée depuis tant d’années par la mise en œuvre des théories néo-libérales. Cela passe par l’augmentation des salaires directs et différés, le renforcement de la sécurité sociale et de la retraite, des protections liées au chômage ; – La mise en place progressive d’un revenu universel assurant le droit concret à l’existence, indépendamment de la situation sociale ou de la relation au travail de l’individu. Le Revenu Universel est d’abord un droit premier. Sa nécessité devient criante au moment de la faillite de la croissance de la production comme solution cardinale aux problèmes humains contemporains.
La crise actuelle nous apprend que l’économie est dépendante de la solidarité : des pans entiers de métiers sont aujourd’hui au chômage technique, sans possibilité de ressources (restaurateurs, intermittents, commerçants…). L’État providence, si souvent décrié, doit leur venir en aide sous peine d’un effondrement économique et social.
Il vient aussi de débloquer 39 millions d’euros pour l’aide alimentaire. 5,5 millions de personnes en France en reçoivent une*,- et depuis le confinement la demande auprès des banques alimentaires ne cesse d’augmenter. Se sont ajoutés les parents dont le budget explose avec l’arrêt des cantines scolaires, les étudiants, les travailleurs précaires. Des personnes qui n’auraient jamais imaginé se retrouver dans cette situation. De même, 21% de l’emploi salarié est concerné par le chômage partiel.**
Un revenu universel, par son inconditionnalité, répondrait de manière immédiate à la légitime inquiétude de millions de personnes. Il permettrait de compléter les revenus des métiers précaires et peu valorisés, et pourtant indispensables (agriculteurs, soignants, personnel d’entretien…).
S’il avait été instauré avant le confinement, il aurait ainsi permis à chacun de conserver un filet de sécurité et la crise économique aurait pu être mieux contrôlée.
À l’heure où tout est suspendu, on se prend à imaginer une autre société. Ce qui compte n’est plus la croissance à tout prix mais bien la vie. Quel sens veut-on lui donner ? L’instauration d’un revenu universel suffisamment élevé permettrait de donner à chacun.e plus de libertés : choix de refuser un travail, de poursuivre ses études, d’élever ses enfants, de quitter un compagnon maltraitant, de s’occuper de ses parents, d’entreprendre… D’oser ! Ne plus subir sa vie mais la choisir.
La crise économique est déjà là, mais d’autres défis nous attendent : par exemple l’arrivée de l’intelligence artificielle qui risque de supprimer des millions d’emplois et entraîner de profondes crises sociales. Comme aujourd’hui, les plus démunis ne pourront pas choisir et paieront le plus lourd tribut.
À présent, nous voyons que là où nous entendions « dette », les institutions se permettent de penser « solutions ».*** À nous, citoyens, d’anticiper. Il est urgent de faire sauter les verrous psychologiques qui nous empêchent d’évoluer, alors qu’une société garantissant davantage de solidarité et de libertés est possible.
Le revenu universel est le vaccin économique et social de notre monde. Soyons visionnaires et réalistes, instaurons un revenu de base adapté à chaque pays pour que la précarité ne devienne pas la prochaine pandémie.
*Article du Monde, **Article de La Croix, ***Article du Monde.
La France a mis en place un système de protection sociale relativement généreux : couverture médicale universelle, prestations familiales, retraites publiques, allocations chômages. Celui-ci a été complété par un système de minimas sociaux, surmonté par la prime d’activité. La crise sanitaire y a ajouté l’extension du chômage partiel. En même temps, certaines failles demeurent qu’il faudrait combler : la précarisation de l’emploi doit être combattue, les faux autoentrepreneurs doivent avoir droit à une protection sociale complète, la sous-traitance doit être limitée, les agriculteurs doivent bénéficier d’un revenu minimum (le SMIC). Le droit à l’emploi doit être garanti : les chômeurs de longue durée doivent se voir offrir, selon le cas, une retraite à taux plein, une formation, un emploi de dernier ressort. Une allocation spécifique (cotisant pour la retraite) doit être offerte aux jeunes à la recherche d’un premier emploi ; les étudiants doivent largement bénéficier de bourses revalorisées. Les allocations-chômage doivent dépendre des derniers salaires de temps plein et la durée de versement ne pas dépendre de la durée cotisée. Il est maintenant possible de suivre quasi-instantanément l’évolution du revenu de chacun ; cela doit permettre de faire évaluer le RSA, de le verser en temps réel sans condition, de façon à garantir à chaque ménage, un revenu minimum, qui devra être supérieur au seuil de pauvreté (1050 euros par mois par unité de consommation), du moins pour les familles avec enfants. Dans cette optique*, le revenu universel n’est pas une bonne piste. Son coût sera exorbitant s’il s’agit de verser à chaque personne 600 euros par mois (300 pour les enfants), 425 milliards d’euros, soit en net 340 milliards (compte-tenu de 85 milliards d’économies de prestations), ce qui obligerait à augmenter la CSG de 24 points. Les classes moyennes auraient du mal à accepter une telle hausse, même si elle est partiellement compensée par ce versement de 600 euros. Cette prestation ne sortirait pas ses bénéficiaires de la pauvreté. Pour que leur revenu ne baisse pas par rapport à l’existant, il faudrait introduire des suppléments pour les handicapés, les personnes âgées, les salariés en chômage total ou partiel et maintenir les aides au logement. Le système ne serait pas simplifié. Il est possible de mieux aider les plus pauvres à moindre coût, en ciblant vers eux des prestations spécifiques. *Beaucoup de projets de « revenu universel » préconisent en fait un revenu minimum garanti.
L’épidémie du Coronavirus a mis en pause la moitié de la planète en imposant le confinement pour 3 milliards d’individus. Cette mise à l’arrêt de la production met l’économie mondiale à terre. La récession s’imposera pour la plupart des pays. Dans ce contexte, les États-Unis ont décidé de venir en aide à leur population en leur allouant une allocation temporaire pour faire face à l’absence ou à la baisse des revenus induite par la crise sanitaire. Certains y voient l’émergence d’un revenu universel et réclament sa mise en place en France.
Ainsi, aux États-Unis, chaque adulte va percevoir par le gouvernement fédéral un montant mensuel de $1200. Comment expliquer ce regain de solidarité dans un pays libéral ? Rappelons que le système de santé outre-Atlantique est privé et individualisé. Le coût moyen des soins laissé à charge pour le patient reste conséquent et surtout disproportionné si on le compare au montant dont doit s’acquitter un malade en France. Or, 27 millions de travailleurs aux États-Unis ont été licenciés en moins de 4 semaines. Ces derniers risquent de perdre, de facto, leur assurance santé proposée par leur employeur et percevront une indemnité chômage qui reste très faible comparée à celle allouée en France. Même si la période d’indemnisation a été portée en moyenne à 12 mois contre 6 mois auparavant et que $600 supplémentaires sont ajoutés, il n’en demeure pas moins que les américains font face actuellement à une angoisse prégnante quant à leur avenir et à leur santé. Ce revenu temporaire attribué à chaque américain durant la période de crise ne permet pas la prise en charge des soins et ne compense pas la perte de revenus (le salaire moyen mensuel aux États-Unis étant supérieur à $4000).
En France, le gouvernement a opté pour la prise en charge totale du chômage partiel. Il concerne désormais la moitié des salariés du privé. L’objectif est de permettre à ces derniers de retrouver leur emploi progressivement à la fin du confinement. Reste à savoir si l’économie pourra repartir rapidement sans déclencher des risques de faillites en chaîne. Ce risque demeure une réelle menace pour la croissance. Le scénario de reprise dépend du comportement des ménages et des entreprises. La perspective pour les salariés de conserver leur emploi reste la pierre angulaire pour envisager un rebond après la récession de 2020. L’activité doit repartir après cette pause inédite de l’économie. Le revenu universel n’aiderait en rien la remise en marche de l’appareil productif.
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