📋 Le contexte 📋
Les farines animales sont des aliments riches en protéines, issus de la transformation par incinération de différents sous-produits provenant d’animaux et non destinés à l’alimentation humaine. On parle ici de sang, de poils, de graisse, de déchets alimentaires provenant de produits carnés cuits ou crus jetés dans les restaurants ou cantines, ou encore de carcasses d’animaux malades ou retrouvés morts sur des exploitations. Avant leur interdiction totale en Europe, elles étaient destinées aux animaux d’élevage sans aucune restriction particulière. Les bovins, les ovins, les porcs ou les volailles pouvaient en consommer, peu importe si les carcasses utilisées venaient de la même espèce que celle qui en consommait (ce que l’on appelle du cannibalisme).
Aujourd’hui on parle de protéines animales transformées (PAT). La différence se trouve dans le tri des aliments utilisés pour les produire. Elles ne peuvent être issues que de volailles ou de porc. On les transforme toujours par incinération des sous-produits non consommés par l’homme, mais on le fait à partir d’animaux sains. Il n’est plus possible de fabriquer des farines animales à partir d’animaux malades ou impropres à la consommation humaine comme avant. Les PAT peuvent aussi être produites à partir d’insectes ou de poissons.
L’épidémie de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) née au Royaume-Uni, plus connue sous le nom de “maladie de la vache folle”, est à l’origine de l’interdiction des farines animales. Le développement de cette maladie nerveuse, dégénérative et mortelle serait dû à la présence de protéines animales provenant de tissus animaux infectés dans les aliments pour animaux. Problème, la maladie a pu franchir la barrière des espèces et se transmettre au consommateur humain sous la forme d’une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Le premier cas en France a été identifié en 1991. Cette dégénérescence du système nerveux a provoqué la mort d’au moins une centaine de personnes dans le monde, dont une vingtaine en France.
La France prend la décision en novembre 2000 de suivre le principe de précaution qui interdira toute production de farines animales d’origine bovine. Cette décision est étendue à l’Union Européenne deux mois plus tard pour entrer en vigueur dès 2001. Plus aucune farine animale, quelle que soit son origine, ne sera utilisée pour nourrir des animaux destinés à la consommation humaine jusqu’en 2013. Depuis, seuls les poissons d’élevage et les animaux de compagnie pouvaient déjà être nourris avec des PAT.
Le sujet est revenu au cœur des débats à Bruxelles le 17 août 2021 lorsque la commission européenne a autorisé à nouveau les PAT dans l’alimentation des porcs et des volailles.
« Des conditions strictes devraient s’appliquer lors de la collecte, du transport et de la transformation de ces produits, et des échantillons devraient être régulièrement prélevés et analysés afin d’éviter tout risque », selon le texte européen, basé sur les avis des agences sanitaires.
La quasi-totalité des Etats membres, sauf l’Irlande et la France, ont donné leur feu vert en mai 2021 à cet assouplissement. En France, le ministère de l’agriculture a choisi de demander un nouvel avis à l’agence sanitaire nationale pour se positionner sur le sujet. Cette dernière, L’ANSE, a émis un avis favorable en juillet assorti de recommandations qui concernent notamment le principe de non cannibalisme.
Le choix de l’Union européenne est motivé entre autres par une prise d’indépendance vis-à-vis du soja importé d’Amérique du Sud actuellement utilisé pour l’alimentation des volailles et des porcs. Rien qu’en deux mois, entre juillet et septembre 2021, l’Union européenne a importé plus de 2 millions de tonnes de soja, d’après les chiffres des douanes.
🕵 Le débat des experts 🕵
Les protéines animales transformées (PAT) en alimentation animale (ou farines animales) sont actuellement interdites. Toutes les personnes ayant connu la crise de l’ESB (vache folle) ont un mauvais souvenir de l’utilisation des farines animales. Doit-on craindre les mêmes crises sanitaires et économiques ? Je pense que non. Les principaux acteurs des filières de production animale ne souhaitent pas connaître de nouvelles crises sanitaires.
Les PAT ou farines animales c’est quoi ?
Les PAT, ce sont des protéines animales transformées. La transformation, ce sont des traitements par chaleur dans l’objectif d’éviter toutes les contaminations internes des protéines.
Les protéines peuvent être issues de co-produits des porcs et volailles (têtes, abats, pattes, etc…) qui sont moins consommés par les Européens. Souvent, ces co-produits sont exportés parce que peu ou pas consommés par nos populations. Mais ces protéines peuvent également être des insectes ou du poisson.
Systèmes digestifs des animaux
Il faut tout d’abord parler des quelques espèces majoritaires d’animaux de rente : les bovins, les porcins, la volaille, les ovins, etc… Dans ces espèces, il y a 2 grands systèmes de digestion : les herbivores dont font partie les ruminants et les monogastriques.
Les herbivores se sont spécialisés sur la consommation et la transformation des végétaux. Les monogastriques dont font partie les hommes sont très bons pour digérer les aliments plus concentrés comme les protéines animales, les céréales, etc… Les monogastriques sont peu efficaces pour transformer les végétaux riches en cellulose (herbe, feuilles, arbustes, etc…). Donc, pour les animaux de rente, il n’y a que les volailles et le porc qui sont monogastriques.
Les ovins et bovins sont des ruminants. Par le passé, les farines animales étaient autorisées pour toutes les espèces. C’est comme cela que des herbivores ont consommé des farines animales et que la crise de l’ESB a démarré.
Cross contamination
Le retour des farines animales ne se fera pas sans garde-fous. Le premier est d’empêcher à tout prix de donner des PAT à des herbivores. Le second est d’empêcher le cannibalisme.
Dans les faits, cela donne les règles suivantes :
- Pas de porcs pour les porcs et pas de volailles pour les volailles.
- Pas de PAT dans les fermes qui ont des ruminants et des monogastriques. Les farines animales ne sont autorisées que pour les fermes spécialisées.
- Pas de PAT dans les exploitations qui ont des volailles et des porcs.Les farines animales ne sont autorisées que dans les exploitations qui n’ont que des porcs ou que des volailles.
Les firmes d’aliments devront dédier des lignes de production aux farines animales. Il faut éviter les contaminations croisées dès le départ de la chaîne d’approvisionnement.
Quels intérêts ?
Quels sont donc les intérêts d’autoriser les PAT en alimentation du bétail ? Le premier, c’est l’économie circulaire, ensuite, la durabilité de la production et enfin, la déforestation.
L’agriculture en Europe de par son climat est excellente pour produire de l’énergie et moins pour produire de la protéine végétale. Nous sommes donc au niveau européen dépendant d’importation de protéines comme le soja.
L’autonomie protéique de l’Europe peut être améliorée par l’utilisation des PAT. C’est donc une possibilité de rendre l’élevage plus durable. D’exporter moins de co-produits animal pour importer moins de protéines végétales et d’être plus autonome.
Le retour des farines animales est un mauvais signal pour l’agriculture et l’alimentation de manière générale, comme l’a prouvé la crise de la vache folle, qui venait de ces farines animales et de leur mauvaise utilisation. On nous explique que cela n’arrivera plus, grâce aux protocoles de contrôle, de traçabilité, et de transparence. Selon nous, il reste cependant de nombreux problèmes.
Le risque principal que nous voyons est l’appât du gain. On cherche à baisser les coûts de production en se donnant une pseudo vertu écologique. L’argument de base pour revenir aux farines animales consiste à dire que cela permettra d’importer moins de soja, notamment du brésil, ce qui réduira la “déforestation importée ». Il est vrai que nous avons délégué la production des protéines végétales au continent américain qui en produit massivement pour nourrir les animaux du continent européen. Cette situation, favorisée par nos accords mondiaux de libre-échange, dure depuis très longtemps. Mais nous sommes en capacité d’acquérir, au moins partiellement, une autonomie protéique nationale ou européenne si on s’en donne les moyens.
Pour être moins dépendant de ces importations, il existe d’autres solutions que les protéines animales
Pour être moins dépendant de ces importations il existe d’autres solutions que les protéines animales. A l’échelle d’un bassin de production par exemple, nous pouvons d’abord privilégier la consommation d’herbe, qui contient des protéines. Ensuite, nous pouvons tout à fait créer des filières de production de protéines végétales à l’échelle locale : luzerne, trèfle mais aussi colza, soja ou lin. Nous aurions alors une logique agronomique renforcée : les animaux d’un territoire seraient nourris par les végétaux cultivés localement et les déjections des animaux viendraient nourrir le sol de ces territoires. L’enjeu est donc de remettre en avant le modèle de la polyculture d’élevage et cesser la fuite en avant, que ce soit avec l’importation de protéines végétales ou avec les farines animales.
Si on souhaite réduire notre impact environnemental, il faut également désintensifier nos systèmes d’élevage en France et en Europe. Pour nous, ce sont des réponses beaucoup plus adaptées au problème environnemental que le retour des farines animales.
Comme il sera moins cher de produire avec des farines animales, tous les agriculteurs […] subiront la pression de leurs acheteurs
Ensuite, pour nous paysans, le retour des farines animales ne sera pas un moyen d’avancer vers une meilleure rémunération, ni un moyen d’aller vers une montée en gamme de notre production que de nombreux citoyens ou politiques réclament. Ce sera précisément l’inverse ! Cela permettra à l’industrie agro-alimentaire d’exercer une pression supplémentaire sur les prix.
En effet, comme il sera moins cher de produire avec des farines animales, tous les agriculteurs, qu’ils utilisent ou non ces farines, subiront la pression de leurs acheteurs pour baisser leurs coûts de production. Le monde de l’élevage, déjà en grande difficulté, n’a pas besoin de ça en ce moment.
Comment allons-nous nous assurer de la traçabilité ?
Il est vrai qu’en donner aux porcs ou aux volailles – qui sont omnivores, n’est pas un non-sens technique a priori. Mais à partir du moment où ces farines, moins chères, seront autorisées pour ces animaux, il sera difficile d’empêcher que cette autorisation s’étende aux éleveurs d’ovins et de bovins. De plus, alors que le ministère de l’Agriculture a de moins en moins de contrôleurs, de moins en moins de moyens pour gérer ces sujets, comment allons-nous nous assurer de la traçabilité ? Les contrôles seront-ils suffisants, et les amendes assez dissuasives pour ne pas retomber dans nos travers des années 90 ? Je ne suis pas certain qu’en 2022 nous soyons sortis de cette logique de recherche de profits supplémentaires qui nous expose à ces dérives.