Les trains de nuit doivent-ils remplacer l’avion ?

📋  Le contexte  📋

Le train de nuit est un train circulant la nuit (logique). L’objectif est de permettre à un voyageur de traverser de longue distances pendant son sommeil. D’une place assise inclinée à l’espace privatif complet avec douche en passant par une couchette partagée, le train comporte différents niveau de confort en fonction du prix du billet. Pour troubler au minimum le sommeil du passager, le train circule à une allure modérée et dessert une quantité limitée d’arrêts. Sans oublier le wagon-bar qui remplace le mythique wagon-restaurant.

Pilotés par le ministre des transports, Jean-Baptiste Djebarri, les trains de nuits refont surface après quelques années de récession. Aujourd’hui, la SNCF compte quatre lignes de trains de nuit : les relancés Paris-Nice (redémarré 20 mai), Paris-Lourdes (redémarré le 12 décembre) mais aussi Paris-Briançon et Paris-Rodez/Latour-de-Carol. Un train de nuit Paris-Vienne a vu également le jour le 13 décembre.

Relancés par une enveloppe de 100 millions suite à « la montée en puissance de la dimension écologique » et des prix modestes, les nouveaux trains connaissent un certain succès. Leur taux de remplissage était de 80 % en 2021.

Pour cette raison, Jean-Baptiste Djebbari annonce un objectif d’une dizaine de trains de nuit en 2030. Au moins 800 millions d’euros supplémentaires sont prévus entre 2026 et 2030 pour remplacer les voitures Corail, qui datent de plus de quarante ans, et porter le réseau à une dizaine de lignes. D’autres trajets intereuropéens sont aussi dans les valises du ministre des transports. Ces trains peuvent-ils pour autant remplacer l’avion, responsables de nombreuses émissions de CO2.

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Faut-il développer les trains de nuit pour remplacer l'avion ?
Le « Pour »
Nicolas Forien
Porte-parole du collectif Oui au train de nuit
Traverser la France ou l’Europe le temps d’un rêve, tout en préservant le climat

L’avion est l’un des moyens de transport les plus polluants, et il est pourtant largement utilisé, souvent pour des trajets relativement courts. En France, la moitié des passagers aériens volent sur des lignes intérieures ou vers les pays limitrophes. Malgré le développement du TGV, le trafic aérien continue d’augmenter sur les lignes internationales (+53 % entre 2009 et 2019) et sur les liaisons transversales, c’est-à-dire entre les régions sans passer par Paris (+70 %).
Pourtant, de plus en plus d’Européens affirment vouloir voyager en train, et notamment en train de nuit. Alternative pratique, écologique et économique pour les longs trajets, le train de nuit permet un maillage fin du territoire, tout en faisant gagner du temps puisque l’on voyage en dormant. Pour concurrencer l’avion et la voiture, pour mieux connecter les régions de France et d’Europe, qu’attendons-nous pour redévelopper massivement les trains de nuit ?

Un meilleur maillage du territoire

Le réseau TGV a été surtout développé en étoile autour de Paris, en oubliant que 81 % des Français habitent hors de l’Île-de-France. Sur la plupart des trajets transversaux (de région à région), le voyage en train est souvent long, avec peu de choix horaires et peu de trains directs. Il faut par exemple, dans le meilleur des cas, 7 h 45 pour faire Strasbourg-Perpignan, et 9 h pour Bordeaux-Nice. D’ailleurs, en 2014, le train de nuit le plus fréquenté était une ligne transversale : Strasbourg/Luxembourg – Nice/Portbou.
Le train de nuit permet aussi de compléter la desserte TGV en offrant l’avantage unique d’une arrivée tôt le matin directement en centre-ville, et d’un départ tard le soir après le travail, tout en économisant une nuit d’hôtel. En desservant de nombreux arrêts le soir et le matin, le train de nuit permet un maillage du territoire que n’offrent ni l’avion ni le TGV, qui font surtout du point à point entre métropoles.
Le train de nuit peut redevenir un transport de masse. Certains accusent le train de nuit d’être un marché de niche. Au contraire, le train de nuit est adapté tout aussi bien aux trafics diffus entre territoires peu peuplés (en mutualisant la desserte des petites villes) qu’au transport de masse. En effet, un train de nuit peut transporter 800 passagers, soit autant que 6 Airbus A320 !

Une action stratégique pour le climat

Relancer des trains de nuit est une action peu onéreuse et relativement rapide puisqu’il suffit de construire les rames, le réseau étant déjà en place. Le gouvernement français a montré qu’un investissement de 1,5 Milliard d’euros permettrait de relancer un réseau cohérent d’une vingtaine de lignes, qui transporteraient 5,7 millions de passagers par an. Et le train de nuit deviendra encore plus attractif dans les années à venir si, comme le propose la Convention Citoyenne pour le Climat, une fiscalité plus juste est mise en place pour favoriser les modes de transport moins énergivores et réduire notre dépendance au pétrole (taxe sur le kérosène, TVA, etc). Ce pari sur l’avenir est probablement moins risqué que de tout miser sur un hypothétique « avion vert », sur des agrocarburants qui entrent en compétition avec l’alimentation, ou sur la voiture électrique dont les batteries ont un fort impact environnemental.

Le « Contre »
Nicolas Paulissen
Délégué Général à l'Union des aéroports français (UAF)
Le report modal n’est pas la solution

Pour réduire les émissions de CO2 du transport aérien, une des solutions couramment avancées est celle du report modal air-rail à savoir le remplacement de l’avion par le train. Or, ces deux modes de transport ne sont pas concurrents mais complémentaires, chacun dans son domaine de pertinence.
Là où le train est pertinent, sur les distances de moins de 500 km, le report modal est déjà effectif. En France, 17 liaisons aériennes ont une alternative ferroviaire sans correspondance de moins de 4 h. Le mode ferroviaire représentait en 2019 près de 90 % du trafic sur les 5 liaisons avec alternative ferroviaire de moins de 2 h 30 et près de 85 % sur les 12 liaisons de moins de 4h. Cette prédominance du mode ferroviaire se réduit logiquement sur les liaisons dont l’alternative ferroviaire est supérieure à 4 h de trajet, s’établissant en moyenne entre 40 % et 60 % de part modale.
La mise en place des trains de nuit sur des distances de plus de 500 km n’est envisageable que sur un nombre restreint de liaisons bien identifiées et dépend fortement de la configuration très contrainte du réseau ferroviaire national et européen. Celui-ci n’est d’ailleurs pas extensible à l’infini en raison des coûts induits et des impacts environnementaux négatifs des chantiers de construction.

Le réseau ferroviaire européen n’est assurément pas en capacité de concurrencer le très dense réseau de lignes aériennes en Europe et la forte connectivité des aéroports français.

De plus, le train de nuit ne pourra venir concurrencer l’avion sur les besoins de mobilité flexible et rapide plébiscitée par les passagers aériens. La nouvelle offre ferroviaire pourra en revanche répondre à des besoins nouveaux de mobilité ou susciter de nouvelles façons de voyager. Elle n’aura en revanche aucun impact sensible en matière de réduction de CO2 du transport aérien.

Au regard des nuisances environnementales, la comparaison entre le train et l’avion n’est pas toujours au désavantage de ce dernier.

De fait, le nombre de personnes exposées à de hauts niveaux de bruit est 5 fois plus élevé pour le rail que pour l’aérien, avec une exposition nocturne au bruit ferroviaire près de 13 fois plus élevé.  L’avantage de l’avion est également une évidence si l’on prend en compte l’emprise au sol, l’artificialisation des surfaces, l’utilisation des produits phytosanitaires ou encore la préservation de la biodiversité.
Laisser penser que le train peut remplacer l’avion est une erreur ne faisant que retarder la mise en place de politiques publiques indispensables à la transformation énergétique du secteur aérien. D’importants investissements sont nécessaires pour accélérer le déploiement de nouvelles technologies – avions électriques ou à hydrogène par exemple -, et pour généraliser l’usage des carburants aéronautiques durables qui permettent une réduction de près de 80 % des émissions de CO2 du transport aérien.

La décarbonation du transport aérien par le biais des innovations technologiques et le développement des carburants alternatifs profitera au transport aérien dans son ensemble, vols long-courriers compris, qui représentent 80 % des émissions de CO2 de l’aviation.

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