casier judiciaire vierge

Les candidats doivent-ils avoir un casier judicaire vierge ?

📋  Le contexte  📋

En France, un citoyen dont le casier judiciaire n’est pas vierge ne peut pas exercer certains métiers tels que chauffeur de taxi, pompier, fonctionnaire, ambulancier ou encore éducateur. Au total, 396 métiers requièrent l’obligation d’un casier judiciaire vierge.

En revanche, un casier judiciaire rempli et une peine d’emprisonnement ne privent pas les citoyens de leurs droits civiques et politiques.  Pourquoi ? Jusqu’en 1994, les auteurs de crimes étaient privés de leurs droits civiques, civils et familiaux durant toute leur vie et les auteurs de délits durant dix ans.

Le nouveau Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 a changé la règle. L’interdiction des droits civiques n’a plus de caractère automatique, elle est devenue une peine complémentaire. Seule une peine d’inéligibilité (prononcée parfois en cas de corruption, d’agressions sexuelles, d’escroquerie, d’abus de confiance ou de terrorisme) peut donc empêcher les candidats, qui sont des citoyens, d’être élus. Ainsi, aucun casier judiciaire vierge n’est requis pour voter ou se présenter à une élection !

En 2017, Emmanuel Macron avait lancé un projet de loi visant à imposer un casier judiciaire B2 vierge pour tous les candidats aux élections. Mais les députés n’ont pas pris le risque d’appliquer une mesure qui pourrait être jugée comme « inconstitutionnelle ». En effet, rendre inéligibles les candidats qui n’auraient pas un casier judiciaire vierge irait à l’encontre du principe d’individualisation des peines garanti dans la Constitution.

Le casier judiciaire vierge a donc été abandonné et l’Assemblée a opté pour “une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité » : tous les crimes et un grand nombre de délits (sauf ceux commis avant 2017) sont obligatoirement assortis de cette peine complémentaire, sauf indication contraire. Le juge peut en effet moduler la durée de la peine, prendre en compte les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur pour la prononcer. Parmi les crimes concernées, on  peut citer les faits de discrimination, d’injure, de diffamation publique, de provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de l’orientation sexuelle.

En revanche, les condamnations pour délits de presse – incitation à la haine raciale, apologie de crimes contre l’humanité… – ne sont pas concernées par cette inéligibilité. Le Conseil constitutionnel estimant « qu’il en résultait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ».

Lors de chaque élection, la question revient : peut-on être candidat malgré des ennuis judiciaires ? Les législatives ne dérogent pas à la règle. Comme indiqué dans la première question de ce contexte (soyez un peu attentif bon-sang!), si un candidat n’a pas été condamné à une peine d’inéligibilité, rien de l’empêche de se présenter.

Exemples récents : Jérôme Peyrat, candidat LREM condamné en 2020 pour des violences sur son ex-compagne ou encore Taha Bouhafs, candidat Nupes condamné en 2021 pour « injure publique en raison de l’origine ». Si ces deux candidats ont finalement renoncé (pour des raisons différentes), la loi leur permettait de se présenter et ils avaient été investis par leur partis respectifs.

Les personnes mises en examen, qui bénéficient de la présomption d’innocence, peuvent également se présenter à la députation. Pour ne citer que certaines figures connus, nous avons : Thierry Solère, candidat à sa réélection dans les Hauts-de-Seine, qui est poursuivi pour treize chefs d’accusation, dont « fraude fiscale », « emploi fictif » et « financement illicite de dépenses électorales ». Ou encore Fabien Roussel, candidat à sa réélection dans le Nord, qui est visé par une enquête pour des soupçons d’emploi fictif. Il est soupçonné d’avoir été payé comme assistant parlementaire sans avoir réellement travaillé à ce poste, entre 2009 et 2014.

Alors, faut-il aller plus loin que les lois pour la moralisation de la vie publique de septembre 2017 et exiger un casier vierge pour tous les candidats ? On en débat !

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Élise Van Beneden
Présidente d’Anticor
Pour des élus exemplaires, un casier vierge s'impose

Les élus ont une responsabilité importante, celle de défendre l’intérêt général. Ils se doivent d’être exemplaires car leur mission est cruciale dans notre démocratie et car leur légitimité est basée sur la confiance que les citoyens placent en eux. Or, cette confiance a été abîmée par de trop nombreux scandales de corruption.

Il apparait en effet étrange que le casier vierge soit une condition pour devenir fonctionnaire ou juges mais pas pour devenir élu !

C’est pourquoi Anticor a vigoureusement milité pour que la détention d’un casier judiciaire vierge d’infraction à la probité soit une condition pour se présenter à une élection. Il s’agit d’une mesure forte mais aussi parfaitement légitime. Il apparait en effet étrange que le casier vierge soit une condition pour devenir fonctionnaire ou juges mais pas pour devenir élu ! Cela dit quelque chose de notre conception du pouvoir. Mais les citoyens n’acceptent plus le manque d’exemplarité de certains élus, au point pour de nombreux d’entre eux, de ne plus aller voter.

Emmanuel Macron s’était engagé à faire passer cette mesure. Il ne l’a pas fait. Dans son programme, il avait pourtant été clair : « la loi de moralisation de la vie publique comprendra (…) l’interdiction pour tous les détenteurs d’un casier judiciaire (niveau B2) de se présenter à une élection ».

L’Assemblée nationale avait adopté, à l’unanimité, le 1er février 2017, une proposition de loi visant à instaurer l’obligation pour les candidats à un mandat électif de présenter un casier judiciaire vierge. Votée en fin de législature, elle a été transmise au Sénat, qui ne l’a jamais examinée. Lors des débats sur la loi relative à la confiance dans la vie politique, le « risque constitutionnel » a servi de prétexte pour écarter cette proposition.

Il a été avancé que l’exigence d’un casier judiciaire vierge serait contraire à la constitution sans jamais que le conseil constitutionnel ne soit consulté.

L’exigence de casier judiciaire vierge est une condition d’aptitude aux mandats électifs politiques […] et non une sanction automatique

D’après certains, le risque d’inconstitutionnalité vient du fait que l’inéligibilité est une sanction et que cette sanction doit être spécifiquement prononcée par un juge car la Constitution interdit les peines automatiques.  Or, le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à se prononcer sur cette question par le passé. D’après Anticor, l’exigence de casier judiciaire vierge est une condition d’aptitude aux mandats électifs politiques comme pour de nombreuses professions (fonctionnaires, avocats…) et non une sanction automatique.

En effet, le Conseil constitutionnel a censuré l’inéligibilité automatique d’élus condamnés pour certaines infractions à la probité. Mais il n’a jamais censuré une condition d’aptitude. L’association considère que cette mesure, tout comme d’autres réformes, notamment celle du statut du procureur de la République, mérite une réforme constitutionnelle. La peine d’inéligibilité obligatoire apparaît comme un substitut imparfait à la promesse initiale. C’est une peine qui ne vaut que pour les infractions commises à partir du 17 septembre 2017 et ce n’est pas une condition d’aptitude. C’est donc un substitut imparfait au casier vierge.

Si les élus n’arrivent pas à voter cette mesure, il faudra que les citoyens s’emparent du sujet. Dans ce cadre, la création du référendum d’initiative citoyenne (RIC) apparait comme un moyen efficace pour contourner les réticences de nos élus. En cela, le RIC est un instrument d’éthique démocratique.

Le « Contre »
Jean-Philippe Derosier
Professeur agrégé de droit public, Membre de l’Institut Universitaire de France, Université de Lille
Non à une exclusion définitive de la vie démocratique

La déontologie et l’exemplarité sont des exigences que les électeurs peuvent légitimement attendre de la part de leurs représentants. Pour autant, elles n’imposent pas qu’une candidature soit subordonnée à un casier judiciaire vierge.

En effet, le casier judiciaire recense les condamnations dont toute personne a pu faire l’objet. Ces condamnations sont passées et la peine est purgée. Elle reste néanmoins inscrite au casier judiciaire pour une durée de quarante ans (sauf exception). Imposer ainsi l’exigence d’un casier judiciaire vierge pour se présenter à une élection reviendrait à interdire à toute personne qui a été condamnée à ne plus pouvoir briguer de fonctions électives pendant l’équivalent de toute une vie ou une carrière professionnelle.

Le condamné, qui l’a ainsi été car il a causé un dommage à la société, doit retrouver sa place au sein de cette dernière

Certes, le bulletin n° 3 du casier judiciaire ne recense principalement que les peines d’emprisonnement ferme supérieures à deux ans, déjà synonyme d’une certaine gravité. Mais une telle interdiction contrevient déjà au sens même de la peine. En effet, cette dernière n’a pas qu’une vocation punitive, elle a également une vocation dissuasive et une vocation de réinsertion : le condamné, qui l’a ainsi été car il a causé un dommage à la société, doit retrouver sa place au sein de cette dernière. Il ne saurait en être banni définitivement ou pour une durée qui excèderait celle de sa peine, sauf à ce qu’un juge en décide autrement, en prenant en considération des éléments précis liés à la personne concernée, par une décision motivée.

Ainsi, la réinsertion d’un condamné à l’issue de sa peine ne peut s’accompagner de son exclusion de la vie démocratique. En outre, le code pénal prévoit, pour certaines infractions, la possibilité de condamner leurs auteurs à des peines d’inéligibilité. L’effet est alors identique à l’exigence d’un casier judiciaire vierge pour être candidat, puisque ceux qui seront ainsi condamnés à une telle peine ne pourront pas se présenter à une élection.

Ce n’est pas à une loi qu’il appartient d’exclure de la vie démocratique, mais bien aux électeurs, c’est à dire au peuple souverain

Cependant, cette peine d’inéligibilité est d’abord limitée dans le temps et sa durée ne s’étend pas à quarante ans. Ensuite, lorsque le juge la prononce, il est tenu de faire application d’un principe cardinal (et constitutionnel) du droit pénal qu’est celui de l’individualisation des peines. La peine d’inéligibilité est ainsi prononcée en prenant en considération l’individu auquel elle s’applique et les circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction, justifiant alors une possible modulation de la peine.

Ni les règles déontologiques, ni l’exemplarité que l’on est en droit d’attendre de la part de ceux qui nous représentent ou qui aspirent à le faire ne saurait justifier que ce que l’on pourrait parfois appeler « une erreur de jeunesse » conduise, quasiment ad vitam, à être banni de la vie démocratique de notre pays. Une fois que la peine est purgée, même si elle est lourde, le condamné doit retrouver pleinement sa place dans la société sans être considéré comme un citoyen au rabais, qui ne pourrait pas se prévaloir de l’article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel « tous les citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». 

Ce n’est donc pas à une loi qu’il appartient d’exclure de la vie démocratique, mais bien aux électeurs, c’est-à-dire au peuple souverain, qu’il revient de décider qui est le mieux à même de les représenter.

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