LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Liz Truss : les cinq raisons qui ont mené à sa démission
Lorsque Liz Truss s’est éloignée du pupitre installé devant le 10, Downing Street après avoir annoncé sa démission, elle s’est probablement rendu compte que son mandat de premier ministre aura duré moins longtemps que la campagne interne au parti conservateur qui lui avait permis d’accéder à ce poste.
Après le départ de Boris Johnson, beaucoup au Royaume-Uni ont eu le sentiment que l’heure était venue de la stabilité et de la compétence : l’avantage d’avoir à la barre une dirigeante plutôt ennuyeuse comme Truss, c’est qu’elle saurait imprimer au navire britannique un cap clair. Mais on a vite découvert qu’elle n’avait pas le pied marin. Et son court mandat aura finalement été encore plus agité que celui de son prédécesseur.
Liz Truss était entrée en fonctions début septembre, porteuse d’un programme radical dont la mise en œuvre, affirmait-elle, allait relancer la croissance économique au Royaume-Uni. Mais elle a dû très vite sortir les rames puisque c’est l’exact contraire qui s’est produit : ses propositions ont déclenché un effondrement économique immédiat dont elle ne s’est jamais remise.
La brièveté de son mandat permet de résumer assez facilement cinq éléments clés qui expliquent sa chute.
1. Un mauvais départ
Truss a adopté une ligne politique pour le moins discutable dès le début de son mandat. Elle a, en effet, refusé de nommer au gouvernement toute personne qui ne l’avait pas soutenue pendant la campagne, ce qui n’a laissé à sa disposition qu’un vivier de talents limité.
Selon elle, vous étiez soit un ami, soit un ennemi (et les ennemis étaient exclus). Ce qui lui a valu une réputation de revancharde et d’extrémiste.
Ce n’était pas un bon début. Il y avait un manque évident de compétences dans son cabinet et, après moins de deux mois de mandat, elle a dû limoger son chancelier de l’Échiquier et sa ministre de l’Intérieur – les deux postes les plus en vue du gouvernement après celui de premier ministre.
2. Un mauvais processus de sélection au sein du parti conservateur
Mais les fissures étaient apparues avant même l’entrée en fonctions de Truss, en raison de la manière dont le parti conservateur élit ses dirigeants.
Rappelons que Truss s’est retrouvée au dernier tour de la primaire visant à désigner la personnalité qui succéderait à Boris Johnson par défaut et n’a jamais bénéficié du soutien enthousiaste de son parti.
Afin de remporter l’élection, elle a du attirer la base du parti la plus conservatrice en lui promettant des politiques fiscales entièrement adaptées à ses besoins plutôt que de refléter les besoins ou les priorités du pays dans son ensemble. Elle a adopté une personnalité modelée sur Margaret Thatcher, ce qui s’est révélé maladroit en termes d’image et bien trop radical en termes de politique.
3. Une mauvaise politique
L’impression générale était que la nouvelle locataire du 10, Downing Street n’était pas du tout en phase avec l’opinion publique et même avec la majorité des membres de son parti.
Cette impression se mua en constat à la minute où son budget minimaliste a été annoncé : des mesures comme la suppression de toute limite financière aux bonus des banquiers et la réduction des taxes sur les entreprises n’étaient pas les mieux indiquées alors que le pays se trouvait plongé dans une crise économique qui se traduit principalement par une hausse du coût de la vie.
4. Une mauvaise présentation
La politique est, en fin de compte, une affaire de personnes. Vous devez être capable de communiquer, de réfléchir, d’échanger avec les gens et de faire preuve d’empathie.
La forme d’intelligence la plus importante pour un premier ministre n’est donc pas intellectuelle (nous avons des experts pour cela) ou financière (ils ont des conseillers) mais émotionnelle.
Or le fait est que Truss n’a jamais semblé capable d’établir un lien avec les citoyens britanniques ou même d’apparaître à l’aise dans ses fonctions. Ses réponses aux interviews étaient toujours trop mécaniques, son langage corporel trop rigide.
5. Un mauvais positionnement
Si les problèmes qu’a connus Truss révèlent une chose, c’est très probablement les dangers de la Constitution britannique. Celle-ci reste centrée sur la prise du pouvoir politique : un nombre incroyablement restreint de personnes peuvent prendre des décisions importantes avec très peu, voire aucun, contrôle.
« De mauvaises décisions à tous les étages » pourrait bien être une épitaphe appropriée pour le mandat de Truss, mais on ne peut s’empêcher de se demander si son expérience n’est pas symptomatique d’un problème bien plus important.
Est-il trop facile de blâmer la seule Liz Truss ? Ce qui s’est passé au cours de ce dernier mois a révélé un vide au centre de la politique britannique en matière d’ambition, d’imagination et de vision.
Dans le contexte de l’après-Brexit, combler ce vide doit être la préoccupation centrale de la prochaine personne qui décidera de prendre les clés du « No. 10 ».
Matthew Flinders, Founding Director of the Sir Bernard Crick Centre for the Public Understanding of Politics, University of Sheffield
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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