Mais où est donc passée la gauche ?

gauche

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Le clivage droite-gauche qui, tout particulièrement en France, a pourtant pendant très longtemps été considéré comme pertinent (1), n’évoque désormais plus grand-chose pour nombre d’entre nous (2). Sans doute avait-t-il d’ailleurs été favorisé depuis la fin des années cinquante par le régime de la Vème République, qui avait mis en place le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, tant aux législatives (sauf en 1986) qu’à la présidentielle, accentuant ainsi la bipolarisation.

Les repères ont presque tous disparus

 Il est vrai que depuis la plupart des repères qui fondaient cette distinction ont en effet aujourd’hui presque tous disparus :

– Ainsi l’attachement à l’appropriation collective des grands moyens de production et d’échange (3), qui permettait de caractériser la gauche, et donc la droite par opposition, ne peut plus être retenu, dans la mesure où la plupart des forces de gauche, à l’exception peut-être des communistes, se sont désormais plus ou moins ouvertement ralliées au libéralisme…

– Il en est de même pour le soutien du parti communiste aux pays se réclamant du socialisme et particulièrement à la Russie soviétique (4), qui ont depuis bien longtemps cessé de faire rêver certains et se sont d’ailleurs pratiquement tous effondrés les uns après les autres à la fin des années 80.

– L’identification des partis de gauche à une classe ouvrière, en voie de disparition au profit de nouvelles couches sociales dont certaines sont issues de l’immigration, n’a plus grande signification non plus.

– L’opposition traditionnelle d’une partie de la gauche à la religion ne peut également plus être retenue, dans la mesure où, à côté de nombreux « Chrétiens de gauche », s’est développée une droite indifférente sinon hostile à ces valeurs, comme en témoigne l’apparition de la « Nouvelle droite » à partir de 1973 (5).

Enfin la défense des Droits de l’homme, longtemps considérée comme l’apanage exclusif de la gauche, a déjà depuis quelque temps largement été récupérée par une partie de la droite, qui a en effet, avec d’ailleurs plus ou moins de sincérité, fini par s’y convertir à son tour.

Progressistes et conservateurs ?

Le vrai clivage ne serait-il donc pas désormais entre ceux qui, à droite, comme à gauche, acceptent les règles certes contraignantes de l’Union européenne (réduction drastique des déficits publics, lutte contre l’inflation, déréglementation des services publics, concurrence « libre et non faussée ») et de la mondialisation libérale, et ceux qui, à l’inverse refusent de s’y soumettre, autrement dit entre les progressistes et les conservateurs ?

Pourtant, paradoxalement, les Français continuent toujours à vouloir se situer politiquement à l’intérieur d’un espace qui s’étend de l’extrême gauche à l’extrême droite. Ainsi, un sondage du CEVIPOF, certes déjà ancien (27 mai-1er juin 2017), montre-t-il que 22 % des 15 493 personnes interrogées se réclamaient de la gauche, 36 % du centre et 35 % de la droite ; seuls 7 % refusaient de se reconnaitre dans l’un ou l’autre de ces camps. 

Si une telle division n’apparait plus clairement dans les résultats des différentes consultations électorales, qui depuis déjà quelque temps débouchent sur trois nouveaux grands courants, qu’il est possible de qualifier de centriste, de populiste d’extrême droite et de populiste d’extrême gauche, elle continue toutefois toujours à être utilisée pour qualifier les forces politiques en présence !

La gauche n’a pas disparu…

S’il demeure encore relativement aisé de caractériser la droite ou plutôt les droites (6), il reste en effet aujourd’hui beaucoup plus difficile d’appréhender avec une certaine précision la notion même de « gauche », particulièrement depuis l’effacement progressif de ce qui reste encore du parti communiste et la quasi-disparition du parti socialiste…

Pourtant, la gauche n’a semble-t-il toujours pas disparu. Elle reste en effet pour beaucoup porteuse d’un certain nombre de valeurs, dont certaines ont d’ailleurs progressivement été récupérées par une partie de la droite, voire même de l’extrême droite : primauté du collectif sur l’individuel, égalité des chances, justice pour tous, suppression de l’élitisme, solidarité, croyance dans le progrès, antiracisme, laïcité, défense des droits de l’Homme, hostilité au pouvoir de l’argent, redistribution des richesses, défense de l‘environnement, attachement à la notion de service public…

Mais pour certains, la gauche est également devenue symbole de laxisme, d’assistanat, de tolérance vis-à-vis de la délinquance, voire du terrorisme (« islamo-gauchisme »), de relâchement des mœurs, de refus de contrôler toutes les formes d’immigration, de défiance vis-à-vis de la police, de la justice et de l’armée …Elle se confond d’ailleurs bien souvent avec certaines formes de populisme qui se retrouvent dans des formations comme LFI, qui hésitent d’ailleurs souvent de s’en réclamer.

…mais alors où est passée la gauche ?

 Mais dans la mesure où les grands partis de gouvernement censés la représenter ont pratiquement tous cessé d’exister, du moins au niveau national, il semble logique de se demander où est passée la gauche ?

Resterait-elle alors seulement présente dans les mentalités ?

Une étude, publiée le 19 septembre 2008 aux Etats-Unis dans la très sérieuse revue Science (7), affirmait en effet que nos opinions politiques seraient étroitement liées à notre propension à avoir peur ou à être stressé, qui caractériserait plutôt la droite (8), laquelle serait beaucoup plus réceptive aux menaces qui apparaissent dans son environnement proche et aurait donc tendance à plébisciter les politiques destinées à protéger l’ordre social. La grande manifestation de soutien au Général de Gaulle du 30 mai 1968, qui a marqué la fin de la révolte étudiante et ouvrière, qui avait débuté le 3 mai, n’a-t-elle pas souvent été qualifiée par certains de « défilé de la peur » ?

La gauche regrouperait-elle alors ceux qui ne craindraient ni l’instabilité politique, ni le changement de régime, ni la révolution peut-être parce que pour la plupart, ils n’auraient rien à perdre, à part peut-être leurs illusions ?

Une définition de la gauche ?

Et si se déclarer de gauche comme de droite n’était désormais plus qu’une simple posture dénuée de véritable contenu idéologique ?

Faute d’une définition précise, ne pourrait-on pas alors assimiler la gauche au refus de toutes les formes d’injustice, de discrimination, de négation des droits et des libertés, souvent présentées par une partie de la droite comme étant certes regrettables, mais intrinsèquement liées à la condition humaine. 

Et si la gauche était tout simplement « le refus de la fatalité de l’inacceptable » ?

Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en droit public

Notes de l’auteur :

  • (1) :  Il s’agit d’une survivance des divisions du passé, qui date du 28 août 1789, quand la Constituante avait dû trancher entre ceux qui souhaitaient que le Roi conserve un rôle majeur dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise et qui s’étaient regroupés à droite de la tribune et ceux qui préféraient ne lui accorder qu’un simple « droit de veto suspensif » et s’étaient alors tout naturellement rassemblés à sa gauche, qui devait d’ailleurs l’emporter par 673 voix contre 325. Lors des sessions suivantes, les uns et les autres continueront ensuite à se placer par affinités de l’un ou l’autre côté de la tribune.
  • (2): Jean-Jacques Servan-Schreiber n’écrivait-il pas déjà en 1953 : « À part les parlementaires, plus personne ne comprend ce que cela veut dire. En vérité, c’est une langue morte » et Guy Rossi-Landi en 1978 qualifiait ces notions de « diverses, aléatoires, insuffisantes et dépassées ».
  • (3) : Cf. loi 82-155 du 11 février 1982 adoptée durant le premier septennat de François Mitterrand, qui nationalise huit entreprises industrielles, quarante-deux établissements bancaires et financiers et deux groupes financiers.
  • (4) : Pour le socialiste Guy Mollet « Les communistes ne sont pas à gauche… Ils sont à l’Est ».
  • (5) : Cf. à ce propos Olivier Moos, Les intellectuels de la Nouvelle Droite, Histoire et idéologie d’un antichristianisme de droite, Université de Fribourg, 2003
  • (6) : Des historiens, comme René Rémond, Jean-François Sirinelli ou Michel Winock, des philosophes comme Emmanuel Terray ont tenté d’en définir les deux grandes familles : la droite attachée avant tout au libéralisme économique et celle qui se réclame du conservatisme social.
  • (7) : Menée par des chercheurs des Universités Rice au Texas, Nebraska-Lincoln, de l’Illinois et par le Virginia Institute for Psychiatric and Behavioral Genetics, qui ont fait passer un test à 46 personnes particulièrement politisées, qu’ils ont exposées à des bruits et à des images angoissantes, avant de mesurer les signes de peur sur leur visage (clignement des yeux et transpiration). Or, les conservateurs (nationalistes, partisans de la peine de mort, de la vente des armes et de la guerre en Irak, hostiles à l’immigration) se sont montrés les plus terrorisées, contrairement aux tenants de la gauche américaine (pacifisme, contrôle des armes, droit à l’avortement et au mariage homosexuel). Notre sensibilité politique serait donc étroitement liée à notre ADN.
  • (8) : A rapprocher de la formule de Lionel Terray : « Être de droite c’est avoir peur », Emmanuel Terray, Penser à droite, Galilée, 2012.
 

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