Puisqu’ils ne peuvent plus travailler, les intermittents occupent

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Depuis le 4 mars, un mouvement d’occupation des théâtres s’est répandu en France pour réclamer la réouverture des lieux culturels dans le respect des mesures sanitaires et le renouvellement de “l’année blanche” pour les intermittents. Le Théâtre de l’Odéon dans le 6ème arrondissement de Paris a été le premier à ouvrir le bal. Depuis, près de 70 théâtres ou lieux culturels ont suivi. 

Le Théâtre de l’Odéon dans le 6ème arrondissement de Paris. © Thierry Depagne

Un intermittent c’est quoi ?

Les intermittents du spectacle sont des techniciens ou artistes du spectacle dépendant d’un régime juridique d’indemnisations particulier. En effet, ils alternent souvent périodes de chômage et contrats à durée déterminée (CDD) dits “d’usage” (CDDU). Ces CDDU ont la particularité d’être parfois très courts et renouvelables en principe à l’infini, a contrario des CDD classiques qui ne peuvent être renouvelés que deux fois. Le régime d’intermittent du spectacle garantit une indemnisation en période de chômage pour un an à compter de la fin du contrat de travail retenu pour l’ouverture des droits. La date à laquelle les droits à indemnisation sont clôturés, un an après le contrat retenu, est appelée “date anniversaire”.

De plus, pour avoir droit à ces allocations, l’intermittent doit pouvoir justifier de 507 heures de travail durant l’année écoulée. 

En 2019, Pôle emploi recensait 276 000 intermittents, 167.000 (60 %) exerçant un emploi artistique et 109.000 (40 %) un emploi technique.

Du fait de la crise sanitaire et de la fermeture des lieux culturels, de nombreux intermittents du spectacle se sont retrouvés dans l’impossibilité de travailler. Pour y pallier, le gouvernement a mis en place une “année blanche” en mai dernier leur permettant de ne pas respecter l’impératif des 507 heures annuelles. Les droits d’indemnisation ont donc été prolongés jusqu’au 31 août 2021 pour les intermittents arrivant en fin de droits entre le 1er mars 2020 et le 31 août 2021. Par exemple, un intermittent ayant signé son dernier contrat le 28 février 2020, voit ses droits à l’allocation-chômage se clôturer le 28 février 2021. Toutefois, grâce à l’année blanche, ceux-ci sont prolongés jusqu’au 31 août 2021. 

En revanche, pour l’instant, un intermittent qui aura sa date anniversaire le 1er septembre 2021 ne verra pas ses droits prolongés, malgré l’incertitude quant à la réouverture des lieux culturels et les difficultés à effectuer les 507 heures nécessaires.

Que réclament-ils ?

À bout de souffle, le monde de la culture s’égosille depuis plusieurs mois pour demander la réouverture des salles. En témoigne l’audace de l’actrice Corinne Masiero qui s’est dénudée sur la scène des Césars afin de dénoncer la situation des intermittents du spectacle.

L’occupation des théâtres a, quant à elle, débuté le 4 mars au Théâtre de l’Odéon à Paris. Elle s’est rapidement étendue au Théâtre de la Colline et au Théâtre national de Strasbourg. En tout, trois des cinq théâtres nationaux français sont aujourd’hui occupés (les deux restants étant la Comédie française et le Théâtre National de Chaillot). 

Le mouvement rassemble du monde – militants syndicaux, artistes, techniciens, étudiants – dans tous types de lieux – des centres dramatiques nationaux à Lille, Montluçon, Rouen ou Limoges, des scènes nationales à Brest, Châteauroux ou Périgueux, des salles de musiques à Bourg-en-Bresse ou à Nîmes, des théâtres indépendants comme le Théâtre à Noyon et Avignon. Très souvent, la protestation est soutenue par les directeurs des lieux occupés.

 

Celles-ci sont assez claires : la réouverture des lieux culturels dans le respect des règles sanitaires et le renouvellement de l’année blanche pour les intermittents. Ils réclament également les mêmes mesures d’indemnisations pour “tous les travailleurs précaires et saisonniers” et l’abandon de la réforme de l’assurance-chômage prévue pour le 1er juillet 2021. 

🔍 Zoom

La réforme de l’assurance-chômage : La réforme de l’assurance-chômage prévue pour le 1er juillet 2021 et devant entrer en vigueur début octobre modifie les conditions d’éligibilité et le mode de calcul des droits aux allocations chômage. Selon les chiffres de l’Unedic, cela conduira à une baisse du montant des allocations pour environ 840 000 chômeurs. Le gouvernement a toutefois conditionné la réforme à une amélioration de la situation économique d’ici à octobre prochain. 

Si cette réforme ne touche pas les intermittents du spectacle, elle concerne bel et bien les “les intermittents de l’emploi hors spectacle, les intérimaires, saisonniers, guides conférenciers, extras de l’hôtellerie-restauration, agents de sécurité”, selon les mots de Salomé Gadafi et Denis Gravouil aux Césars, professions également familières du CDDU. Ainsi, pour ce dernier, “on ne peut pas croire que le gouvernement peut sauver les intermittents du spectacle pendant qu’il enfonce les autres précaires”.

Quelle a été la réaction du gouvernement ?

Samedi 6 mars, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, s’est rendue au Théâtre de l’Odéon afin de rencontrer les occupants. Inattendu, ce déplacement a été plutôt bien reçu. Mais cela a été de courte durée : le 10 mars, la ministre a jugé l’occupation des théâtres “inutile” et “dangereuse”, menaçant des “lieux culturels fragiles lors d’une séance de questions d’actualité de l’Assemblée Nationale au gouvernement. Le lendemain, le gouvernement a annoncé débloquer 20 millions d’euros supplémentaires « pour soutenir les équipes artistiques en région, aider les plus fragiles, préparer la reprise qui se profile, mais aussi accompagner les jeunes diplômés qui commencent leur carrière dans des conditions particulièrement difficiles« . Une concertation à venir sur la prolongation de l’année blanche est enfin prévue.

Néanmoins, ces mesures n’ont pas satisfait les syndicats du spectacle. « On nous a lâché des miettes, des aumônes, 20 à 30 millions d’euros pour soutenir l’emploi alors qu’il en faut au moins vingt fois plus « , a estimé le secrétaire général de la CGT Spectacle. Les syndicats ont ainsi appelé à poursuivre le mouvement qui, par la suite, s’est étendu à près de 70 lieux culturels à travers la France. 

Depuis le début de la crise sanitaire, le monde de la culture est considéré comme étant laissé pour compte. Les musées, cinémas, théâtres et salles de spectacle sont fermés depuis fin octobre et certains n’ont pas rouvert depuis le premier confinement. Pourtant, les professionnels de la culture demeurent dans le flou, sans aucune certitude sur une possible réouverture en 2021. Certains dénoncent notamment l’ouverture parallèle des lieux de culte.

Sources : Le Monde, Le Journal du Centre, Franceinfo, France 24, France inter, le Huffington Post, Capital, Pôle Emploi, le Journal Toulousain.

 

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