Pour ou contre les 32 heures hebdomadaires ?

32 heures hebdomadaires

comité des lecteursLe contexte

Quelle est la durée légale du travail aujourd'hui ?

Depuis le 1er janvier 2002, la durée légale du travail pour un temps complet est fixée à 35 heures par semaine pour toutes les entreprises, quel que soit leur effectif. Cependant, des dispositions conventionnelles ou collectives peuvent prévoir une durée de travail hebdomadaire supérieure ou inférieure à 35 heures.

Les heures effectuées au-delà de la durée légale (ou conventionnelle) sont considérées comme des heures supplémentaires. Si la durée de travail est inférieure à la durée légale (ou conventionnelle), le salarié travaille à temps partiel.

La durée légale du travail n’a donc jamais été modifiée depuis les lois Aubry. Mais depuis 2003, les gouvernements successifs en ont modifié l’esprit. Certains ont notamment encouragé le développement des heures supplémentaires (par exemple en les exonérant de charges sociales et d’impôt sur le revenu).

Le passage aux 35 heures a-t-il permis de créer des emplois ?

Cette question mériterait un débat en soit. Les estimations des économistes divergent considérablement. Sur le site internet du Sénat, on peut trouver un page intitulée : Les effets des 35 heures sur l’emploi : La grande inconnue.  Preuve qu’il s’agit d’une question à laquelle il est difficile de répondre.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est difficile d’isoler l’impact de cette réforme. Il faudrait pouvoir tenir compte de tous les paramètres économiques et politiques pour évaluer avec précision le chiffre. Il faut également tenir compte des effets long terme : par exemple, l’effet négatif de la hausse du coût du travail horaire ne se manifeste que progressivement sachant qu’il est compensé par des baisses de cotisations qui pèsent sur les finances publiques.

Il existe également un débat sur la méthode pour évaluer son impact. Par exemple, faut-il compter uniquement les emplois créés ou également les emplois « préservés » ?

Si l’on s’en tient aux chiffres de l’Insee, une étude de 2004 indique que la loi a abouti à la création d’environ 350 000 emplois entre 1998 et 2002.

Pourquoi parle-t-on des 32 heures en ce moment ?

Les 32 heures ont déjà été évoquées par plusieurs figures politique de gauche. Lors du débat d’entre deux tours de la primaire de gauche, Benoît Hamon a évoqué son projet de réduction du temps de travail. « Moi ce que je propose, c’est qu’en contrepartie de baisse de cotisations sociales patronales, il y ait des accords de réduction de temps de travail. […] Ces accords se feront dans le cadre de la démocratie sociale, et aboutiront parfois à des forfaits de jours RTT, parfois à une semaine de 4 jours, parfois aux 32 heures, via des accords qui seront signés par les partenaires sociaux« , a-t-il poursuivi (Source : BFMTV).

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.

Quelle est votre opinion avant de lire cet article ?
LE « POUR »

La démocratie, les inégalités et la réduction du temps de travail

Billet rédigé par :

Mireille Bruyère

Université de Toulouse Jean Jaurès et Collectif des Économistes Atterrés

Depuis plusieurs décennies, la situation de l’emploi et du travail se dégrade de plusieurs manières. Le chômage reste à des niveaux élevés et les emplois créés sont majoritairement de faible qualité.

Certains lisent ces tendances comme le signe de la fin de l’emploi pour tous et proposent l’instauration d’un revenu universel inconditionnel.

Mais, cette déconnexion entre travail et revenu contourne les problèmes auxquels nous devons faire face : retrouver tous ensemble un sens au travail et une qualité de l’emploi, car nous n’aurons jamais une société sans aucun travail humain. Pour cela, la réduction de la durée légale du travail à temps plein reste une politique incontournable si l’on veut vraiment lutter contre le chômage et la précarité mais aussi pour une meilleure répartition des richesses.

Une des dynamiques essentielles de nos économies capitalistes est la rationalisation continue des modes de production et donc des gains de productivité du travail. Cette tendance structurelle conduit à baisser ou à ralentir la croissance des heures totales de travail nécessaires pour produire de plus en plus de richesse. Comme la population active progresse régulièrement, la durée de travail moyenne ne peut que baisser. Ainsi, la durée du travail effective moyenne baisse, mais elle le fait de différente manière selon les options politiques de chaque pays.

En France, la baisse de la durée effective s’est faite depuis trois décennies par deux voies : la baisse de la durée légale et le développement du chômage et du temps partiel. En Allemagne ou au Royaume-Uni, cette baisse est passée presque exclusivement par le développement du temps partiel. Mais, ces deux voies conduisent à des situations sociales diamétralement opposées. Le développement du chômage et du temps partiel augmente inégalités et précarité.

En revanche, une baisse de la durée légale du temps plein limite les inégalités et la précarité, car le volume de travail est plus équitablement réparti.

Mais, la baisse de la durée légale du travail n’est pas simplement une mesure économique de lutte contre le chômage. C’est un véritable choix politique, car pour qu’elle soit socialement réussie il faut d’une part contenir les gains de productivité que les employeurs tenteraient d’obtenir en réorganisant et intensifiant le travail pour limiter l’embauche.

Il faudrait donc que les entreprises renoncent à une partie de leurs profits afin d’accroître les salaires versés. Pour préserver les investissements, il faut donc que la réduction du temps de travail (ou RTT) soit compensée par une baisse des dividendes versés. Cela montre bien qu’il s’agit d’un véritable choix politique de répartition de la richesse.

A l’époque où les inégalités atteignent des records historiques et menacent nos démocraties, il est plus que temps d’affronter la question de la répartition des richesses par la réduction du temps de travail.

LE « CONTRE »

Réduire le temps de travail… réduira le travail

Billet rédigé par :

Nicolas Bouzou 

Essayiste et économiste, fondateur du cabinet de Conseil Asterès

Je m’étonne toujours de la persistance de ce débat sur la réduction du temps de travail pour deux raisons. La première, c’est que le temps de travail est une résultante des gains de productivité réalisés dans l’économie. Si des gains de productivité importants sont réalisés, on peut augmenter les salaires ou diminuer le temps de travail ou même les deux mais de façon différenciée selon les branches ou même les entreprises (et jamais par une politique uniforme). C’est ce qui s’est passé depuis la révolution industrielle à partir de la fin du 18ème siècle. Mais il ne faut pas inverser le raisonnement. La baisse du temps de travail est la conséquence d’une économie dynamique dans laquelle les entreprises investissent. C’est bien là que réside le problème de la France qui est structurellement en situation de sous-investissement. Mais la réduction généralisée du temps de travail ne peut pas être une mesure discrétionnaire de politique économique, sauf à casser les salaires et encore plus l’emploi.

En effet comme outil, la réduction du temps de travail ne donne pas de résultats probants. Les multiples études réalisées sur le passage de 39 à 35h le montrent.

Par exemple, les économistes ont comparé l’évolution de l’emploi entre 2000 et 2001 des entreprises de plus de 20 salariés, alors obligées d’appliquer les 35h, et les autres. Ils n’ont pas noté de différences entre les deux groupes. Même constat quand on a observé les comportements relatifs des entreprises en Alsace-Moselle, où la réduction du temps de travail a été moins forte que dans le reste de la France, pour une histoire de différence jours fériés. S’il y a eu des créations d’emplois au moment du passage au 35h, c’est parce que la croissance économique était forte.

Il n’y a donc pas d’argument solide pour le passage aux 32 heures, proposition qui procède du marqueur politique et non du raisonnement économique.

L’idée selon laquelle l’économie est un gâteau qu’il faut découper en parts de plus en plus petites n’est pas seulement désespérante : elle est fausse. En effet l’emploi dépend de la croissance, de la nature du contrat de travail, du coût du travail, de la formation, du profil d’indemnisation des demandeurs d’emplois mais pas du temps de travail. Ce sont ces leviers qui ont été actionnés par les nombreux pays qui bénéficient d’un quasi plein-emploi aujourd’hui, de l’Autriche au Royaume-Uni en passant par le Danemark ou la Suisse.

Il y a une deuxième raison qui m’amène à être très circonspect sur cette notion de réduction du temps de travail. C’est qu’elle passe outre la formidable mutation technologique que nous traversons, celle de l’intelligence artificielle, de la robotique, de la génétique, de l’imprimante 3D… qui est en train de changer fondamentalement le rapport au travail.

Le travail devient, pour le meilleur et le pire, plus individualisé, plus autonomisé et la ligne de démarcation entre le travail et le non-travail s’affaiblit.

C’est pourquoi des sujets comme le droit à la déconnexion me semblent plus féconds que les débats sur la réduction du temps de travail.

 

Quelle est votre opinion maintenant ?
Pour aller plus loin
Pour aller plus loin 
Vous pouvez republier le débat, ou l’une des deux tribunes sur votre site ou blog.

Licence Creative Commons

Nous croyons que la libre circulation des données et des informations est bonne pour notre société : nos articles sont donc édités et mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas de Modification 4.0 International. Cela signifie que vous pouvez republier le débat entier ou l’une des deux tribunes sous les conditions suivantes :

  1. Attribution : merci de préciser l’auteur, la provenance, et de mettre un lien vers la source d’origine
  2. Pas de modifications dans les textes et les propos.
Vous voulez choisir les sujets de débats ?

Vous pouvez rejoindre notre comité des lecteurs en cliquant sur ce bouton :
comité des lecteurs

Vous pouvez partager le débat sur 9Milliards,

un réseau social responsable qui a pour objectif de réinventer la manière de construire l’information avec la contribution de tous les acteurs qui la font vivre :

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".