Pour ou contre le crédit social chinois ?

📋  Le contexte  📋

Le système de crédit social (SCS) est un système de notation des entreprises et des citoyens chinois ou résidents, mis en place par l’État chinois. Depuis 2018, les personnes morales (entreprises, collectivités, syndicats, associations) sont dotées d’un numéro de crédit social, tandis que les personnes physiques sont identifiées avec leur numéro de carte d’identité. Ils disposent chacun d’une note, qui peut être bonifiée ou bien s’éroder. Le gouvernement de la République populaire de Chine a créé ce “capital de points” pour répondre à deux objectifs : tout d’abord, récompenser et/ou pénaliser les Chinois selon leur “niveau de vertu”. Il constitue aussi un outil de collecte d’informations  et de surveillance, notamment pour les entreprises. Les individus représenteraient “seulement” 0,2% des entités sanctionnées

Le Parti communiste chinois, à la tête du pays, affirme que le crédit social est un moyen de lutter contre les incivilités, de faire respecter les lois ainsi que les décisions de justice. En effet, bien que la Chine soit régie par un régime autoritaire, les règles juridiques, souvent strictes, sont peu respectées par les citoyens et les institutions (fraude, corruption…). Un mauvais score peut conduire à différents types de sanctions : un individu peut perdre son adhésion au Parti communiste chinois, ne plus pouvoir acheter de billets d’avion et de train ou accéder à des responsabilités politiques et administratives. Quant aux entreprises, elles peuvent voir leurs accès aux financements ou aux marchés publics restreints.

Le lancement de l’expérimentation du SCS débute en 2013, dans différentes régions du pays. Depuis 2020, il doit être généralisé à l’ensemble du pays. Cependant, le SCS ne dispose pas de standard national, dans le sens où ce sont les gouvernements locaux qui décident de leur système de notation. Les pénalités ne sont donc pas uniformes sur l’ensemble du territoire, et le SCS prend différentes formes selon les villes. La Commission nationale de réforme et de développement, citée par le China Daily, quotidien chinois contrôlé par l’Etat, affirme que “les gouvernements locaux sont ceux qui savent le mieux ce qui leur convient”.

D’après Lin Junyue, le théoricien du SCS, la priorité d’une ville comme Suqian est de faire respecter le code de la route, alors que Rongcheng mettra l’accent sur la “moralité et le civisme. Ainsi, “propager des rumeurs sur Internet”, “tricher sur les jeux en ligne” ou encore “ne pas visiter suffisamment ses parents âgés” peut entraîner une perte de points. Dans certaines villes, les citoyens n’ayant pas payé leurs dettes et ayant une mauvaise note peuvent voir leur visage s’afficher dans les gares ou centres commerciaux.

Le SCS est un outil très discuté, notamment dans les pays occidentaux. Fréquemment associé à la dystopie et au système orwellien, le crédit est accusé d’être un instrument politique pour le Parti communiste chinois, afin de mieux museler les critiques. D’après eux, le SCS fait émerger une catégorie de citoyens de seconde zone, marginalisés parce qu’ils ne répondent pas aux critères du “bon citoyen” défini par l’Etat. La pandémie de Covid-19 a participé à augmenter l’impact du crédit social, avec le renforcement du recours aux listes noires ou des restrictions de voyage pour les particuliers qui ne respectent pas les règles strictes de confinement. 

Du côté de la Chine, le Parti présente ce système comme un moyen pour le pays de s’élever, et de lutter contre les multiples scandales de fraudes et de corruption. Le crédit social sert également à pallier au manque de confiance vis-à-vis du marché chinois, en incitant à plus de transparence et en traquant les fraudes, comme le trafic de marchandises de contrefaçon. Des observateurs affirment que, contrairement au “mythe orwellien” fantasmé par les médias et les politiques, le SCS est surtout un système incitant les personnes morales et physiques à respecter leurs obligations légales, par un mécanisme de récompenses et de sanctions. 

Et vous, qu’en pensez-vous ? On en débat !

 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Pour ou contre le crédit social chinois ?
Le « Pour »
Pierre Sel
Doctorant à l’Université de Vienne (Autriche), sur le système de crédit social. Co-fondateur d’EastIsRed, cabinet de conseil spécialisé sur la Chine contemporaine.
Le système de crédit social, utile malgré tout ?

Le système de crédit social (SCS) concentre incompréhension et critiques. Présenté à tort comme un outil de contrôle attribuant à chaque individu une note en fonction de son comportement, le SCS est devenu le symbole de la surveillance généralisée en Chine. Cette vision fantasmée du crédit social sert surtout d’épouvantail dans le débat public sur la surveillance.

Le projet chinois présente bien sûr de nombreuses failles et suscite des interrogations légitimes : il est légitime de s’inquiéter des risques liés à une utilisation arbitraire de ses mécanismes de sanctions, au respect de la vie privée, voire interrogeons jusqu’à son utilité même !

Toutefois, le système de crédit social tel qu’il existe aujourd’hui présente aussi des avantages. Rappelons que le crédit social est avant tout un mécanisme de collecte d’information, et non de surveillance. Les recherches académiques les plus récentes ont d’ailleurs montré que le développement du SCS n’entraîne pas de renforcement du contrôle politique (Jee, 2021). De plus, comme cela a déjà été souligné non sans malice : le régime chinois n’a pas besoin d’un système supplémentaire pour réprimer ses opposants.

Transparence rare…

En l’état actuel, c’est-à-dire après vingt années de construction laborieuse de bases de données consultables par tous, le système de crédit social permet l’accès à une quantité inédite d’informations numérisées concernant les entreprises et les associations. Il est désormais possible d’accéder à l’actionnariat d’entreprises chinoises, leur historique judiciaire, ou encore la composition de conseil d’administration d’ONG sur des sites prévus à cet effet. Certains entrepreneurs occidentaux ont même élaboré un business model construit sur l’accès – pourtant gratuit – à ces bases de données ! 

Cette transparence nouvelle est une aubaine pour les chercheurs, les entreprises, ou même les journalistes. Alors que l’accès au terrain devient une préoccupation majeure pour les spécialistes de la Chine, le crédit social présente une (légère) consolation grâce aux informations désormais accessibles. En effet, leur étude offre de nouvelles perspectives pour l’étude des politiques publiques : priorités locales dans la construction du SCS, raisons pour lesquelles des entreprises sont sanctionnées ; autant d’indications sur le fonctionnement de l’État chinois.

… et d’autant plus précieuse

Pour les citoyens chinois, l’accès à ces bases de données est également utile. Un sondage réalisé dans le cadre de notre projet de recherche révèle que plus de la moitié des personnes interrogées ont déjà utilisé ces plateformes. Autre exemple, dans la foulée de l’affaire de Tansghan (juin 2022), les internautes ont pu mettre en évidence la participation du principal accusé dans différentes entreprises placées sur liste noire. 

Enfin, cette transparence peut être – toute proportion gardée – bénéfique pour le rôle du droit en Chine. En effet, le système de crédit social se veut comme un instrument de renforcement de la mise en application des peines, souvent ignorées. En ce sens, sa construction place les autorités locales dans une posture paradoxale : appliquer le SCS revient à traiter plus durement les manquements à la loi. Or, c’est précisément ce laxisme qui a permis un développement économique fulgurant. Dans l’hypothèse où le système de crédit social est effectivement appliqué, celui pourrait donc rendre la loi plus importante et donc lisible. 

Pour conclure, s’il y a de nombreuses raisons de critiquer et douter de l’utilité même du système de crédit social, il faut lui reconnaître un bénéfice : avoir ouvert l’accès à une manne de données inédite pour les observateurs de la Chine, mais aussi ses citoyens qui peuvent se les approprier pour, on le souhaite, de justes causes.

Le « Contre »
Julien Pillot
Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec Grande Ecole), chercheur associé au CNRS
« L’enfer est pavé de bonnes intentions »

Cette locution célèbre sied parfaitement au système de crédit social à la chinoise. On comprend bien l’intention de départ qui est de modifier les comportements des personnes physiques et morales de manière à réduire le coût social, très important, généré par les actes frauduleux, délictuels ou criminels. 

Cependant, le prix à payer pour atteindre cet objectif semble exorbitant – en tout cas si l’on est quelque peu attaché à notre système de valeurs occidental. Car, mettre en place un système de crédit social, ce serait accepter :

 

  • De renoncer au libre arbitre, puisque ce n’est plus à l’individu que revient le discernement de la portée de ses actes, mais bien à l’Etat qui devient dès lors une pure autorité normative. Avec tous les risques de dérives totalitaires qui en découlent. 

 

  • Un haut niveau d’intrusivité, puisqu’il faut pouvoir scanner l’ensemble des comportements des citoyens, dans leur vie en société, mais également dans leur environnement privé et professionnel. Et là où les caméras et capteurs ne sont pas présents pour vous espionner, l’Etat peut toujours compter sur la délation qui est récompensée. Bref, il s’agit de remettre en cause le droit fondamental à la vie privée. 

 

  • De renoncer au principe d’égalité, puisque les droits auxquels vous pouvez prétendre en tant qu’individu dépendent de votre score social. Sommes-nous prêts à accepter un système qui crée des citoyens et des entreprises de seconde zone ? Dans le cas des citoyens, il paraît extrêmement difficile de parvenir à remonter la pente quand on se voit privé de certains droits ou quand notre réputation se voit suffisamment entachée pour rebuter tout employeur. Du côté des entreprises, le système peut enclencher des cercles vicieux par lesquels la perte de crédit social entraine un déficit de compétitivité qui, en retour, entrave la capacité de rebond de l’entreprise. Dans un cas comme dans l’autre, le système semble propice à l’émergence de trappes à l’exclusion sociale, en mettant en marge de la société les individus dont le crédit social serait réduit à néant. Au risque de créer des desperados. 

 

  • De supporter les coûts et risques liés au déploiement des moyens technologiques de contrôle, que nous achèterions probablement à des intérêts étrangers. Avec les risques qui vont de pair en matière de cybersécurité ou d’ingérence.

Pour toutes ces raisons, le système de crédit social tel qu’imaginé en Chine semble incompatible avec nos démocraties occidentales, à plus forte raison dans un pays qui a pour devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». Peut-être un jour basculerons-nous dans un tel système, mais cela ne saurait se faire sans modification de la Constitution, et avant cela, sans une expression démocratique qui validerait sans équivoque son instauration.

Pour ou contre le crédit social chinois ?

🗣  Le débat des lecteurs  🗣

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".