la constitution des états-unis

[Histoire] Pour ou contre un État fédéral aux États-Unis ?

Avertissement !

Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?

 

📋  Le contexte  📋

Le fédéralisme est un système d’organisation, d’administration et de gouvernement qui regroupe en un État, plusieurs États ou sociétés. Cet État fédéral partage avec les États fédérés diverses compétences constitutionnelles, qu’elles soient législatives, juridictionnelles ou administratives. La Constitution fédérale organise ce partage des pouvoirs et prérogatives. C’est par exemple le cas en Allemagne avec les différents Länder ou aux États-Unis avec les différents États. Il est courant de penser que le fédéralisme est une invention américaine, à tort. L’État fédéral moderne fut certes mis en forme à Philadelphie en 1787, mais ce concept de gouvernement est le fruit de réflexions antérieures. Déjà dans sa Politica (1603-1610), Johannes Althusius développait l’idée d’un régime basé sur une hiérarchie d’unions fédérales. Sources : Larousse, CNRTL, Encyclopédie Universalis

Plusieurs éléments ont favorisé la mise en place d’une fédération aux États-Unis. Plusieurs réflexions et confédérations ont vu le jour, ces dernières prônant ce régime politique. La guerre d’indépendance (1775-1783) a d’ailleurs accéléré sa mise en place. En effet, en novembre 1777, et ce pendant la guerre d’indépendance, les treize colonies se sont réunies en une « Union » sous la régie des « Articles de Confédération ». Cette dernière n’a pas été efficace. Mais, en 1781, les treize anciennes colonies formèrent une Confédération avec un Congrès prenant les décisions. Toutefois, ce gouvernement ne parvint à tenir dans le temps, les État n’ayant aucune obligation à respecter les décisions du Congrès. Ce fut lors de la Convention constitutionnelle de Philadelphie de 1787 que les délégués de douze des treize colonies adoptèrent un compromis et définirent cet État fédéral. Ils en vinrent à la rédaction de la Constitution du 17 septembre 1787, qui met en forme le régime fédéral actuel. Celle-ci entra en vigueur en 1789. Sources : Taurillon & « Le fédéralisme américain », de François Vergniolle de Chantal

Au sortir de la guerre d’indépendance contre la Couronne britannique, les colonies prônent un profond rejet de toute forme d’autorité et sont récalcitrantes à l’idée de devoir répondre de leurs actes devant une entité de pouvoir hiérarchiquement supérieure, et ce, malgré le partage de compétences entre les États fédérés et l’État fédéral. En effet, sans même envisager la possibilité de mettre en place un État unitaire (comme en France), la Constitution de 1787 a mis en place un gouvernement fédéral, supérieur aux différents gouvernements de chaque État. Ce régime avait pour intérêt de diviser le pouvoir à deux échelons pour assurer une harmonie entre les intérêts spécifiques des États et ceux du pays, mais aussi entre la volonté d’indépendance des États et le contrôle global. Ainsi, l’État fédéral s’est vu attribuer différents delegated powers, quand les États, eux, ont obtenu des pouvoirs réservés. Toutefois, même après son adoption en 1787, chaque État fédéré dut la ratifier auprès d’assemblées populaires, dans lesquelles fédéralistes et anti-fédéralistes s’affrontèrent, ce qui repoussa son entrée en vigueur à 1789. De plus, la Constitution ouvrait à des interprétations différentes. Deux partis politiques se déployèrent dès lors. Le Parti fédéraliste (différent du courant fédéraliste) défendait un gouvernement fédéral plus fort et une Constitution plus souple (création d’une monnaie stable : le dollar, création d’une Banque d’État etc.). Celui-ci disparut durant le XIXe siècle. Le second, le Parti Républicain-Démocrate, s’opposa à la tendance centraliste du Parti Fédéraliste et à son interprétation vague de la Constitution. En 1824, il se divisa en deux : de là naquirent le Parti Démocrate et le Parti National-Républicain. Sources : L’Encyclopédie Larousse & Historia

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Le « Pour »
John Jay
Homme politique, révolutionnaire, diplomate et juriste américain
Une bande de camarades, unis les uns aux autres par les liens les plus forts, ne dût jamais se séparer entre différentes souverainetés sauvages, jalouses et étrangères

« Au peuple de l’État de New York : […] Rien n’est plus certain que la nécessité indispensable d’un gouvernement, et il est tout aussi indéniable, que peu importe quand et comment il est institué, le peuple devra lui céder certains de ses droits naturels dans le but de l’investir des pouvoirs requis. Par conséquent, il est nécessaire de se demander, si cela favoriserait plus l’intérêt du peuple de l’Amérique, qu’il forme, à tous points de vue, une seule et même nation sous un gouvernement fédéral, ou qu’il se divise en confédérations séparées, à la tête desquelles on placerait le même genre de pouvoirs qu’il lui est suggéré de donner à un gouvernement national. Jusque récemment, il n’a jamais été contredit que la prospérité du peuple d’Amérique dépendait de la permanence de leur unité ferme et les vœux, les prières et les efforts de nos citoyens les plus fervents et les plus avisés sont constamment tournés vers cet objectif. Pourtant, des hommes politiques font leur apparition, affirmant que cette opinion est erronée et qu’au lieu de rechercher le bonheur dans l’union, l’on devrait le rechercher dans la division des États entre des confédérations et des souverainetés distinctes. […] J’ai souvent eu le plaisir de remarquer que l’indépendance de l’Amérique n’était pas faite de territoires distants et détachés mais qu’un pays connecté, fertile, prospère était la destinée de liberté de nos fils de l’Ouest. La Providence l’a bénie d’une manière extraordinaire avec une variété de sols et de productions et l’a irriguée avec d’innombrables ruisseaux, pour le délice et l’accommodation de ses habitants. […] C’est avec le même plaisir que j’ai remarqué souvent que la Providence avait eu la bienveillance de donner cette terre unie à un peuple uni – un peuple qui descend des mêmes ancêtres, qui parle la même langue, qui professe la même religion, qui est attaché aux mêmes principes de gouvernement, très similaire dans ses manières et ses coutumes et qui, par ses conseils, ses armes et ses efforts conjoints, combattant côte à côte à travers une guerre longue et sanglante, a noblement établi la liberté générale et l’indépendance. Cette terre et ce peuple semblent avoir été faits l’un pour l’autre, comme si cela était le dessein de la Providence, qu’un héritage si approprié et opportun pour une bande de camarades, unis les uns aux autres par les liens les plus forts, ne dût jamais se séparer entre différentes souverainetés sauvages, jalouses et étrangères. […] À usage général, nous avons été un seul peuple uniforme, chaque citoyen profitant partout des mêmes droits nationaux, des mêmes privilèges, de la même protection. En tant que nation nous avons fait la guerre et la paix, en tant que nation nous avons vaincu nos ennemis communs, en tant que nation nous avons formé des alliances, signé des traités, et avons contracté divers accords et conventions avec des États étrangers. Une forte reconnaissance des valeurs et des bénédictions de l’union ont conduit le peuple, à une certaine période, à mettre en place un gouvernement fédéral pour préserver et perpétuer cela. Ils l’ont formé quasiment dès que leur existence politique a été reconnue, voire à un moment où leurs habitations étaient en flammes, quand nombre de leurs citoyens saignaient et quand l’avancée de l’hostilité et de la désolation laissait peu de place à ces enquêtes et réflexions calmes et sages qui doivent toujours précéder la formation d’un gouvernement judicieux et équilibré pour un peuple libre. Il n’est pas étonnant qu’un gouvernement institué durant des temps si sombres, une fois qu’il est mis à l’épreuve, se révèle déficient et inadéquat pour répondre aux tâches qui lui incombent. Ce peuple intelligent le perçut et regretta ces défectuosités. Attachés autant à l’union qu’épris de liberté, ils remarquèrent le danger qui menaçait directement la première et de manière plus éloignée la seconde. Une fois qu’ils furent persuadés qu’un gouvernement national encadré de manière plus judicieuse leur permettrait de mieux garantir l’union et la liberté, ils convoquèrent la Convention de Philadelphie d’une seule et même voix, afin que ce sujet important soit pris en considération. Et eux, qui promeuvent l’idée de remplacer les différentes confédérations distinctes dans la salle des plans de la convention, semblent clairement prédire que son rejet mettrait la survie de l’Union en grand danger. Cela serait certainement le cas et je souhaite sincèrement que cela soit prévu tout aussi clairement par chaque citoyen respectable, afin que si jamais la dissolution de l’Union arrive, l’Amérique aura des raisons de s’exclamer, selon les mots du poète : « Adieu ! Un dernier adieu à ma grandeur. » » Tribune publiée dans The Federalist Papers le 31 octobre 1787.

Le « Contre »
Patrick Henry
Homme politique, avocat, acteur principal de la Révolution américaine connu pour sa verve oratoire
Le changement est brutal ; nos droits et nos privilèges sont en danger et le principe de souveraineté des États va être abandonné.

« Monsieur le Président, […] Ont-ils dit, nous, les États ? Ont-ils proposé une convention entre ces mêmes États ? Si c’était le cas, il s’agirait là d’une confédération : autrement, il s’agit très clairement d’un gouvernement consolidé. Des questions se posent, Monsieur, sur cette petite chose insignifiante – l’expression « Nous, le peuple », au lieu de « Nous, les États », d’Amérique. […] Serait-ce une monarchie, comme l’Angleterre – un contrat entre prince et peuple, avec un contrôle exercé sur le premier pour assurer la liberté du second ? Serait-ce une Confédération, comme la Hollande – une association d’un certain nombre d’États indépendants, chacun conservant sa souveraineté individuelle ? Une chose est sûre, ce n’est pas une démocratie dans laquelle le peuple conserve fermement tous ses droits. Si ces principes avaient été respectés, nous n’en arriverions pas aujourd’hui à cette transition alarmante, d’une confédération vers un gouvernement consolidé. […] En effet, il s’agit d’une transformation tout aussi radicale que celle qui nous sépara de la Grande-Bretagne. Le changement est brutal ; nos droits et nos privilèges sont en danger et le principe de souveraineté des États va être abandonné. […] Cet abandon docile de nos droits est-il digne d’hommes libres ? Est-ce digne de cette force d’âme virile que les Républicains se doivent d’avoir : On dit que huit États ont adopté ce plan. Je vous annonce que même si douze États et demi l’avaient adopté, je le rejetterais avec la fermeté propre à un homme, et ce, malgré les errements du monde. […] Nous devons faire quelque chose pour préserver votre liberté et la mienne : la Confédération, ce même Gouvernement méprisé, mérite, selon moi, le plus grand des éloges : il nous a mené à travers une guerre longue et dangereuse : il nous a sorti victorieux de ce conflit sanglant avec une nation puissante : il nous a assuré un territoire plus grand que celui de n’importe quel monarque européen : un Gouvernement qui a été aussi fort et énergique, devrait-il être accusé de faiblesse et abandonné pour son manque de vigueur ? […] Une opinion s’est répandue, nous pensons que nous sommes un peuple méprisable : il fut un temps où nous étions vus différemment : Sous l’autorité de ce même Gouvernement méprisé, nous étions respectés par toute l’Europe : […] Ce pays est devenu une nation grande, puissante et magnifique ; non pas grâce à un Gouvernement fort et énergique mais, Monsieur, parce que la liberté est son seul but et sa seule fondation : Nous avons tiré cet esprit de liberté de nos ancêtres Britanniques ; et grâce à cet esprit nous avons triomphé de chaque difficulté : Mais maintenant, Monsieur, l’esprit Américain, avec l’aide des cordes et des chaînes de la consolidation, est sur le point de convertir ce pays en un empire fort et puissant : Si vous faites en sorte que les citoyens de ce pays acceptent de devenir les sujets d’un seul même grand empire consolidé d’Amérique, votre Gouvernement n’aura pas l’énergie suffisante pour les garder unis : Un Gouvernement pareil est incompatible avec le génie du républicanisme : Il n’y aura ni contrôle ni réel équilibre des pouvoirs dans ce Gouvernement. Pourquoi dans ce cas nous terrifier en nous parlant de dangers imaginaires pour nous pousser à adopter ce Gouvernement ? Qui connaît les dangers dont ce nouveau système pourrait être à l’origine ? Ils sont invisibles pour le commun du peuple qui ne peut pas prévoir les conséquences latentes : J’appréhende les effets de ce nouveau système sur la classe moyenne et les classes inférieures : C’est pour eux que je crains l’adoption de ce système […] : et je vois un grand péril en ce nouveau gouvernement. Or je n’en vois aucun avec notre Gouvernement actuel. […] » Discours prononcé le 5 juin 1788.

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