Pour ou contre un nouveau référendum sur l’indépendance de la Catalogne ?

📋  Le contexte  📋

La Catalogne est une région qui se situe au Nord-Est de l’Espagne, à la frontière de la France et de l’Andorre. Cette région regroupe 15% de la population espagnole et concentre 20% du PIB. Sa capitale est Barcelone, et c’est également le 6e territoire le plus peuplé de l’Union européenne. La Catalogne s’est vue attribuer le statut d’autonomie dans la Constitution espagnole de 1978 et les lois organiques datant de 1979 et 2006. Ces documents reconnaissent la Catalogne comme une Généralité – région autonome au sein de l’État espagnol. Ce statut lui confère une autonomie substantielle, lui permettant entre autres, de constituer son propre Parlement et d’élire un président (chef de gouvernement) et un conseil exécutif. Le catalan est reconnu comme langue officielle au même titre que l’espagnol. Sources : Encyclopaedia Britannica, Catalan News

Les premiers mouvements séparatistes remontent au XVIIe siècle, lorsque la population catalane se révolte contre les troupes castillanes en 1640. S’en est suivi la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714) lors de laquelle l’armée de Catalogne a combattu contre le roi Bourbon Philippe V pour défendre la revendication de la couronne des Habsbourg sur le trône d’Espagne. La défaite des catalans, le 11 septembre 1714, s’est soldée par la perte de leurs constitutions et leur système institutionnel en tant que principauté de Catalogne. Ce jour est devenu la fête nationale de la Catalogne depuis 1886. Ces mouvements ont resurgi au XIXe siècle alors que la région connaissait une forte industrialisation. Le développement économique a favorisé le renouveau culturel de la Catalogne et un retour des revendications linguistiques et nationalistes. Le mouvement indépendantiste s’est renforcé lorsque le Tribunal constitutionnel espagnol a annulé 14 articles du statut d’autonomie de la Catalogne en 2006. Cette décision a suscité le mécontentement de la population catalane ainsi qu’un changement dans les statuts de la région. La référence à une nation catalane devenait inconstitutionnelle. En septembre 2015, les élections législatives en Catalogne se concluent par une majorité indépendantiste au pouvoir. Carles Puigdemont, qui promettait d’organiser un référendum sur l’indépendance de la région, est élu président de la Généralité de Catalogne en janvier 2016. Depuis, les tensions entre la Catalogne et l’Espagne n’ont cessé de se renforcer et les autorités espagnoles essaient d’empêcher le vote d’avoir lieu. Sources : Encyclopaedia Britannica, The Atlantic

Le 9 novembre 2014, un premier référendum sur l’indépendance de la Catalogne avait été organisé par les partis nationalistes de la région. En vertu de l’article 2 de la Constitution, le référendum est jugé anticonstitutionnel par le Tribunal constitutionnel. Cet article reconnaît aux « nationalités et régions » le droit d’accéder à « l’autonomie », mais la souveraineté appartient au seul peuple espagnol, car la nation espagnole est une « unité indissoluble ». À nouveau, le référendum d’octobre 2017 a été suspendu par le Tribunal constitutionnel et violemment réprimé par les forces de l’ordre espagnoles, renforçant par la même occasion, les revendications indépendantistes. Alors que le Parlement catalan votait la déclaration d’indépendance de l’Espagne, le Sénat espagnol attribuait conjointement, des pouvoirs extraordinaires sur la Catalogne au Président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy. Les leaders du mouvement indépendantiste, dont Carles Puigdemont, ont fui en Belgique afin d’éviter les répressions pénales. En mai 2019, Carles Puigdemont, encore poursuivi en Espagne et réfugié en Belgique, a été élu représentant au Parlement européen. Cependant, il s’est vu refuser l’accès au Parlement européen et l’attribution de son badge d’eurodéputé. Les noms des représentants catalans ne se trouvaient pas sur la liste transmise par les autorités espagnoles puisque ces derniers ne s’étaient pas déplacés en Espagne pour prêter serment. Face à cette situation, 10 000 Catalans ont manifesté leur mécontentement devant le Parlement européen, lors de la séance plénière constitutive le 2 juillet. Sources: EURACTIV, Ouest-France, Euronews, Constitution de 1978

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Le « Pour »
Elisenda Paluzie
Chaire de l’Assemblée Nationale Catalane et Professeure d’Economie à l’Université de Barcelone
Le droit à l’autodétermination d’un peuple est un principe cardinal du droit international

Le droit à l’autodétermination est établi par l’Article 1 de la Charte des Nations Unies, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’article 93 de la Constitution espagnole de 1978 établit également que l’Espagne doit agir d’une manière conforme au contenu des traités internationaux signés par l’Espagne, y compris ceux mentionnés ci-dessus. En ce sens, il est important de souligner que l’organisation de référendums en Espagne n’est pas illégale, y compris l’organisation de référendums sur l’indépendance, comme l’a déclaré le Groupe de travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire en juin 2019. Compte tenu de tout ce qui précède, le Royaume d’Espagne n’a aucune base légale pour refuser au peuple catalan son droit à l’autodétermination. Néanmoins, le gouvernement et les tribunaux espagnols ont qualifié un référendum catalan d’illégal et d’inconstitutionnel, bien qu’il ne s’agisse que d’une mascarade pour nier les droits fondamentaux d’une minorité nationale, tout en menant une campagne systématique de répression contre ses membres. Cette répression a inclus la criminalisation de la dissidence, la censure dans les médias et sur Internet, une guerre législative, la brutalité policière, la mise à pied d’agents publics élus démocratiquement, ainsi que l’emprisonnement de représentants politiques et de dirigeants de la société civile, dont Mme Carme Forcadell et M. Jordi Sànchez, les anciens présidents de l’organisation que je représente. Pas moins de 2850 militants et élus catalans ont été persécutés par les autorités espagnoles depuis 2017. Lors du référendum sur l’indépendance catalane de 2017, le monde a été témoin de l’action brutale de la police espagnole contre des électeurs pacifiques dans les bureaux de vote. Par la suite, la répression s’est poursuivie et de nombreux droits humains fondamentaux des Catalans ont été violés, comme en témoignent des organisations internationales telles qu’Amnesty International. Néanmoins, les autorités espagnoles ne se sont pas conformées au droit international, ni aux recommandations des organisations internationales et n’ont pas cessé les violations des droits humains. L’Espagne est en train de devenir un État voyou, simplement dans le but de refuser à ses minorités nationales l’exercice de leur droit à l’autodétermination. En outre, au cours de la dernière décennie, le peuple et les institutions catalanes ont subi les conséquences des politiques de centralisation de l’État espagnol, qui tente d’assimiler à la fois notre culture et notre langue tout en absorbant tout le pouvoir économique et politique. Pour toutes ces raisons, je pense que les Catalans, un peuple qui s’est toujours exprimé par des moyens pacifiques, a le droit de décider de son avenir politique de manière libre et démocratique.

Le « Contre »
Steven Greer
Professeur en Droits humains à l'Université de droit de Bristol
Pourquoi la Catalogne devrait voter “Non” à tout référendum pour l’indépendance

La campagne pour l’indépendance de la Catalogne est fondée sur un seul principe : par son histoire, sa culture, sa langue, et son contexte politico-économique contemporain, la « nation Catalane » a le droit à l’autodétermination et devrait l’exercer en se séparant de l’Espagne et en établissant un Etat indépendant et démocratique au sein de l’UE. Il est toutefois difficile de plaider de manière convaincante en faveur d’un référendum sur l’indépendance, et encore moins d’un vote « oui » si celui-ci doit avoir lieu. Tout d’abord, il n’est pas certain que les Catalans constituent une « nation » ou un « peuple » ayant droit à un État. La Catalogne a évidemment une histoire, une langue et une culture distinctes. Par le passé, elle a également bénéficié de degrés d’autonomie divers par rapport à ses voisins les plus puissants. Mais il n’y a jamais eu d’État catalan indépendant. Il ne devrait pas non plus y en avoir un maintenant. Le droit à l’autodétermination nationale est une pierre angulaire du droit international. Mais il n’y a pas de droit international légal à faire sécession. La sécession n’est autorisée qu’en dernier recours lorsqu’une minorité nationale souffre de l’héritage du colonialisme ou de la violation systématique et flagrante des droits fondamentaux de l’Homme. L’Europe a subi divers réalignements entre les États-nations depuis la fin de la guerre froide. Il s’agit notamment de la réunification allemande, du divorce à l’amiable entre les Tchèques et les Slovaques, et la fragmentation de l’Union soviétique et de la Yougoslavie. Le Brexit a également donné un nouvel élan aux arguments en faveur de l’indépendance écossaise. Mais à part pour ces exemples, les conditions préalables à la sécession ne sont pas près d’être satisfaites, nulle part sur le continent et en particulier dans l’UE. Mis à part de superficiels ornements officiels de l’État, tels qu’un drapeau, un hymne, des défilés et des fêtes nationales – et le fait de s’épargner de devoir payer des impôts au Trésor espagnol, en particulier pour les secteurs les plus prospères de la société catalane – on ne sait même pas quels seraient les avantages apportés par l’indépendance. L’identité catalane peut déjà s’exprimer librement. L’indépendance ne la rendrait pas plus libre. Les coûts de faire cavalier seul, du moins à court terme, seraient également considérables pour l’Espagne et la Catalogne. Il y a peu ou pas de soutien en Espagne pour l’indépendance de la Catalogne. Il n’y a pas non plus de majorité claire en faveur de l’indépendance au sein même de la Catalogne. Les élections et les sondages d’opinion montrent systématiquement que la population est divisée à peu près au milieu. Tout bien considéré, l’approche démocratique et fondée sur les droits doit donc consister à protéger et sans doute à renforcer l’autonomie catalane au sein de l’Espagne plutôt que de rechercher un divorce hargneux.

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