The French Dispatch – Nouveau coup de maître pour Wes Anderson ?

📋  Le contexte  📋

Un journal américain a décidé de donner des nouvelles de la France à l’Amérique. Fixé dans la ville imaginaire d’Ennuie-sur-Blasé, qui évoque Paris, son rédacteur en chef envoie les journalistes enquêter dans le pays. Trois de leurs articles traitent d’un détenu psychopathe se révélant un grand artiste, de Mai 1968, et d’une enquête gastronomique qui vire au polar.

Comme à son habitude, Wes Anderson a fait tourner plusieurs acteurs et actrices qu’il connaît très bien : c’est par exemple le cas de Owen Wilson, Adrien Brody, Frances McDormand, Jason Schwartzman, Edward Norton et bien sûr Bill Murray qui collabore avec le cinéaste pour la neuvième fois ! Le réalisateur retrouve également deux Français qu’il avait dirigés dans The Grand Budapest Hotel, son huitième long métrage : Léa Seydoux et Mathieu Amalric.

Genre : Comédie Dramatique Réalisateur : Wes Anderson Avec (entre autre) : Bill Murray,  Tilda Swinton,  Frances McDormand,  Adrien Brody,  Benicio Del Toro, Léa Seydoux, Timothée Chalamet Durée : 1h 43 minutes Sortie : 27 octobre 2021

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Le « Pour »
Paul Pinault
Membre de Ciné Maccro
Il est libre, Wes

Dix films et vingt-cinq ans : il n’en aura fallu pas moins à Wes Anderson pour devenir l’un des auteurs les plus identifiables d’une industrie cinématographique américaine en déroute, où la singularité est aux abonnées absentes. Désormais singé, mais jamais égalé, le Texan avait réussi à poser rapidement les bases d’un solide édifice, reconnaissable parmi mille. Seulement, alors que le cinéaste séduit pour la neuvième fois avec L’île aux chiens en 2018, une question majeure pointe le bout de son nez : et après ? 

Alors que l’esthète semblait avoir atteint une apothéose autant formelle que narrative, comment pouvait-il se renouveler ? The French Dispatch en est la réponse directe ; une réponse parfois maladroite, certes, mais qui transporte avec elle un lot d’audaces auquel Anderson était devenu étranger. Tous les ingrédients sont les mêmes, les cadres anormalement symétriques comme l’alternance des formes, mais les étapes de la recette ont sensiblement changé. Sa logique miniaturiste risquant de tomber dans une froideur problématique, Anderson décide de faire discrètement évoluer son art vers une approche plus dynamique, où les cadres parfaitement conçus sont contrebalancés par une caméra-épaules plus hasardeuse, qui redonne vie aux pantins pour mieux les sublimer.

The French Dispatch émeut, dépeint l’éclat nuancé d’une France aussi douce que cruelle, et convoque autant l’humanité de Tati que de la mélancolie de Satie

Même si sa nature de film à sketchs occasionne également quelques déséquilibres, elle offre aussi à The French Dispatch une toute nouvelle saveur. En embrassant la plume de ces journalistes et en la mettant en images, Anderson parvient à donner un sens nouveau à sa mise en scène, désormais vectrice de plusieurs voix, aimantes et passionnées par leur sujet. Quant à l’inconséquence que certains pourraient trouver à ces brefs récits, elle est pourtant la force du long-métrage. Même quand le temps lui est imparti, que les récits s’enchaînent et n’offrent que peu de place à l’étude profonde des protagonistes, Anderson trouve toujours un geste idéal pour retranscrire une brève humanité, au sein de ces récits supposément guidés par la « neutralité journalistique ». 

Par un léger regard, par une brève embrassade ou par quelques ruptures de ton bien senties, The French Dispatch émeut, dépeint l’éclat nuancé d’une France aussi douce que cruelle, et convoque autant l’humanité de Tati que la mélancolie de Satie. Loin d’être l’impasse que certains tendent à l’appeler, il marque, au contraire, l’envol d’un auteur, capable d’expérimenter au-delà des barrières de son propre style pour mieux évoluer.

Le « Contre »
Thomas Graindorge
Membre de Ciné Maccro
Crépuscule d’un auteur

Wes Anderson est d’une caste en perdition dans le désormais sclérosé cinéma américain. De ceux dont le pouvoir d’action semble inébranlable, les films passant. Son style, pourtant si prégnant, jamais n’oscille d’un iota, ne se heurte à la mainmise d’un producteur véreux. En bref, Wes Anderson est un auteur, au sens le plus noble, défini par Truffaut en 1955 dans Les Cahiers du cinéma. Un auteur, pour le meilleur (Moonrise Kingdom), mais, avec The French Dispatch, pour le pire. 

Dans la ville fictive d’Ennui-sur-Blasé, ce sont trois histoires qui se déploient en parallèle, chacune sujet d’articles du journal The French Dispatch, simili-New Yorker dont le rédacteur en chef, Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray), vient de mourir. C’est donc un assemblage de petites histoires, façonnées autour de la grande, Mai 68 notamment. The French Dispatch, qu’on se le dise, reste la quintessence de Wes Anderson. Une distribution homérique, une mise en scène à la symétrie soignée, une attention particulière à la direction artistique, les ruptures de ton… Du Wes dans le texte. Mais rarement un auteur n’aura semblé à la fois aussi brillant et aussi fade. 

Plus rien de surprend. Les décors baroques et bariolés ne fascinent plus. Les comédies scintillent moins. Les ruptures deviennent lassantes. En bref, l’artiste est devenu son propre modèle.

Comme si le texan était devenu une version encore plus accomplie de lui-même, tout dans The French Dispatch tend à pousser les curseurs de son style au maximum. Au risque, malheureux, de s’enfermer dans une caricature de lui-même, où l’histoire devient une simple fenêtre vers un style devenu froid et ampoulé, au lieu d’avoir celui-ci à son service. Plus rien ne surprend. Wes Anderson, à son grand désarroi, peut-on l’espérer, s’est laissé dévorer par sa mise en scène, qui a le net avantage comme le plus grand inconvénient d’être d’une éloquence et d’une vibrance, certes bienvenues dans un cinéma moderne uniformisant, mais regrettable quand celui-ci prive un long-métrage de la moindre émotion. 

Car c’est là le plus grand échec de The French Dispatch, et au-delà, de ce qu’est devenu Wes Anderson. Plus rien ne surprend. Les décors baroques et bariolés ne fascinent plus. Les comédiens scintillent moins. Les ruptures deviennent lassantes. En bref, l’artiste est devenu son propre modèle. The French Dispatch est l’acmé de l’art Anderson. Pour certains, ça sera une joie non dissimulée ; pour d’autres, ça sera la marque d’un cinéaste devenu presque aussi suranné que son monde. Un monde tendre, amer, littéraire, dont on aimerait qu’il sorte des sentiers battus. Prendre le risque d’échouer, pour mieux se sublimer.

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