Le retour de la violence en Colombie

Des manifestants arborent un drapeau Colombien lors d'un rassemblement
Leon Hernandez

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Depuis le 28 avril, de grandes manifestations en Colombie, rassemblant syndicats, étudiants et ONG, font trembler le pays tout entier. A l’origine des contestations, une réforme fiscale du gouvernement Duque, qui propose l’augmentation de la TVA sur les produits alimentaires et une hausse de l’impôt sur le revenu. Une réforme qui touche de plein fouet les classes moyennes et pauvres, qui descendent dans la rue. Ces manifestations font l’objet d’une répression d’une violence inouïe. Depuis deux semaines, de violents affrontements entre les forces de police et les manifestants dans les plus grandes villes du pays ont fait au moins 26 morts et près de 1 500 blessés.

La ville de Cali connaît aujourd’hui d’importantes pénuries de médicaments, de combustibles et de nourriture. Elle est bloquée par des manifestants, qui créent des barrages routiers aux différentes entrées de la ville. En pleine pandémie, ces mesures mettent à mal la politique de vaccination du Président Duque, qui met en place des « couloirs humanitaires » pour permettre la circulation du personnel de santé. La peur règne dans la ville, le Président s’inquiète de l’infiltration d’anciens guérilleros et des gangs de narcotrafiquants dans le mouvement de contestation et dénonce le vandalisme et le désordre créé par les manifestations.

Retour de la « question sociale » en Colombie.

Malgré un retrait de la réforme fiscale le 2 mai, le mouvement social continue. Les revendications se sont étendues, elles pointent du doigt les problèmes sociaux qui paralysent la société colombienne. On y dénonce la corruption politique mais aussi les défauts du système éducatif et de santé, qui renforcent les inégalités du pays. La Colombie, même si elle représente aujourd’hui la quatrième économie d’Amérique Latine, reste un des 15 pays les plus inégalitaires dans le monde

Reportage France 24

La crise de la Covid-19 a eu de fortes répercussions sur l’économie du pays et sur ses habitants, avec une baisse de 6,8% du PIB, un taux de chômage de 16,8% et enfin un taux de pauvreté qui atteint les 42,5%. Avec près de la moitié de la population active colombienne qui travaille dans des emplois informels, beaucoup de colombiens se retrouvent désemparés et vulnérables pendant le confinement. Les conséquences de la crise sanitaire mettent alors le feu aux poudres en créant une véritable crise sociale.

Déjà en 2019, de grandes manifestations dénoncent la politique libérale du Président Duque, qui fléxibilise le marché du travail, veut l’ouverture des fonds de pension public au secteur privé et le recul de l’âge de la retraite. Une des plus grandes mobilisations de l’histoire de la Colombie depuis les années 1970, avec plus d’un million de manifestants.

Pourquoi une répression aussi violente ?

Pour comprendre la réaction du gouvernement Duque face aux manifestations, il nous faut rouvrir une des terribles plaies qui continuent de ravager le pays: le conflit armé colombien. Une guerre civile qui dura plus de soixante ans, fit 220 000 victimes dont 81,5% de civils et près de 15 000 disparus.

L’histoire politique de la Colombie est maculée de sang depuis l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitan le 9 avril 1948, un homme politique alors candidat à l’élection présidentielle. Très populaire, il est le premier homme à avoir des revendications sociales et à défendre les classes populaires colombiennes. Aussi connu sous le nom du « Bogotazo » ou encore « coup de Bogota », son assassinat provoque une révolution populaire sans précédent. Ainsi commencent les cycles de violence dont pâtit encore aujourd’hui la Colombie.

Une du journal El Tiempo 2008

Depuis cet événement, la gauche est exclue du jeu politique. Dans les années 1960 à 1970, des groupes rebelles et des milices d’autodéfense paysannes commencent à s’organiser en véritables guérillas, comme les FARC et ELN (Ejercito Popular de Liberacion) qui se réclame du marxisme. A cela s’ajoute la guerre contre le narcotrafic qui débute dans les années 80, avec des affrontements sanglants entre les FARC, les trafiquants de drogue et l’État. Ainsi, une véritable culture de la violence naît avec la guerre civile, qui amène L’État colombien à utiliser la force et la coercition pour rétablir l’ordre dans le pays.

Les Colombiens s’opposent de plus en plus contre la politique répressive menée par les successifs gouvernements de droite dans leur pays. De terribles scandales ont révélé certaines exactions du gouvernement Uribe, à la tête du pays de 2002 à 2010. Parmi les plus importants, le scandale des « faux positifs », qui démontre qu’entre 4200 et 10 000 civils innocents ont été exécutés par les forces armées, en les faisant passer pour des victimes des combats des FARC. Récemment, les mères de ces faux positifs sont descendues dans la rue pour montrer leur soutien aux manifestants, violentés par les forces de l’ordre.

Des négociations compliquées…

Depuis le 10 mai, le Président Duque a entamé des négociations avec les gouverneurs locaux et se dit prêt à écouter le Comité national de grève, à l’origine de la contestation sociale. Le Comité quant à lui est ouvert au dialogue si le Président accepte de mettre en place un certain nombre de mesures, notamment une allocation de 250 euros pour les plus pauvres et une démilitarisation des villes. Le Comité demande également à L’Etat de mettre fin aux fumigations de glyphosate dans les cultures de coca, déjà interdites en 2015 par l’ex-président Santos pour ses effets cancérigènes sur la population, mais qui furent de nouveau implantées pour combattre la nouvelle vague de violence qui frappe la Colombie. 

Ces négociations semblent vouées à l’échec. La première rencontre n’a abouti à aucune entente entre les deux partis. Ils restent pourtant ouverts au dialogue et à de nouvelles négociations. En attendant, les manifestations et les grèves continuent dans le pays.

Sources : Le Monde, France Info, L’express, Libération, France 24, RFI, Reporterre, Les Echos.

 

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