Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, évincé pour ses convictions ?

Emmanuel Faber accompagné du logo de Danone

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Le 14 mars dernier, Emmanuel Faber, PDG de Danone a été évincé de ses fonctions par le conseil d’administration du groupe agroalimentaire. Mis en cause par les actionnaires pour sa gestion de la marque, son départ pose la question de la compatibilité entre considérations sociales et environnementales et performances économiques d’une si grosse entreprise. 

Que s’est-il passé ?

Entré chez Danone en 1997, Emmanuel Faber devient directeur général en 2014, puis président-directeur général en 2017 après le départ de Franck Riboud, fils d’Antoine Riboud, fondateur “de gauche” du géant agroalimentaire. Emmanuel Faber se démarque alors rapidement par ses prises de position en faveur d’une “justice sociale” et d’un capitalisme plus éthique. 

En 2016, il déclare ainsi devant les nouveaux diplômés d’HEC : «Après toutes ces décennies de croissance, l’enjeu de l’économie, l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale. Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie, poursuit-il. Les riches, nous, les privilégiés, nous pourrons monter des murs de plus en plus haut […] mais rien n’arrêtera ceux qui ont besoin de partager avec nous. Il n’y aura pas non plus de justice climatique sans justice sociale.»

Il refuse également le concept de “main invisible” théorisé par Adam Smith et pilier du capitalisme moderne, point de vue atypique pour un patron du CAC40 : “il n’y a que vos mains, mes mains, toutes les mains, pour changer les choses, pour rendre le monde meilleur. Et vous avez beaucoup à faire pour le rendre meilleur”.

🔍 Zoom

La main invisible : Selon Adam Smith, père du libéralisme économique, une main invisible auto-régule et équilibre le marché. Ainsi, la somme des actions individuelles guidées par l’intérêt personnel de chacun aboutirait au final au bien commun et à l’enrichissement de tous. Par exemple, votre boulanger va être poussé à faire le meilleur pain possible au meilleur prix, non pas pour vous faire plaisir mais bien pour son intérêt personnel qui est de vendre le plus de pain possible. Pourtant, cela va bénéficier à tous puisque le pain sera bon et abordable. Pour une plus grosse entreprise, c’est la même chose, son but n’est pas de servir la société toute entière mais de satisfaire le plus de clients possible pour en tirer un plus gros profit et donc de répondre à son intérêt personnel. Cependant, par l’action de la main invisible, les conséquences de cette poursuite de son intérêt personnel bénéficieront à tous. 

Cette théorie, reprise par les néolibéraux a été très critiquée comme encourageant l’individualisme. Elle a notamment été fortement remise en cause après la crise de 1929 et à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale par le keynésianisme, qui estimait que l’Etat devait intervenir dans l’économie pour corriger les imperfections du marché. 

Discussion entre un boulanger et son client pour expliquer la main invisible du marché d'Adam Smith

Fervent catholique connu pour ses engagements parallèles en faveur d’un monde plus juste, Emmanuel Faber ne fait pas non plus l’unanimité. Chez Danone, on l’accuse d’une gestion froide et unilatérale. Au sein de l’entreprise, les avis sont même parfois contraires à l’image apparente de bon samaritain du dirigeant “Derrière ses convictions personnelles, Emmanuel a pour seule obsession la performance du business” déclarait la secrétaire du conseil d’administration de Danone en 2016. 

Dans la lignée de ses engagements, Emmanuel Faber décide en juin 2020 de faire de Danone une “entreprise à mission”, décision plébiscitée par 99% des actionnaires. Cela signifie que parallèlement à ses exigences de rentabilité, Danone devra, dans ses objectifs, répondre à des critères sociaux et environnementaux. Pourtant, fin 2020, le départ successif de deux importantes figures de Danone met en lumière les tensions et les désaccords existant à la tête de la marque. A la même période, l’annonce par le PDG d’un plan de suppression de 1 500 à 2 000 emplois et d’une nouvelle réorganisation de l’entreprise plus tournée vers le local mécontente jusqu’aux pouvoirs publics.

Suite à cette annonce en partie due aux mauvaises performances boursières, deux actionnaires, les fonds d’investissement Bluebell Capital et Artisan Partners militent pour le départ d’Emmanuel Faber. En effet, entre 2014 et mars 2020, le cours de Bourse de Danone a progressé de moins de 3 % quand celui de Nestlé a grimpé de 45 % et celui d’Unilever de plus de 70 %.

Le 1er mars dernier, un compromis est trouvé : Emmanuel Faber quittera ses fonctions de directeur général mais conservera le statut de président. Cette solution ne fait pourtant pas long feu. Face au leadership solitaire du PDG, les fonds d’investissement estiment que le nouveau directeur général n’aura pas assez de lest pour amorcer une nouvelle stratégie pour Danone et ne fera qu’appliquer les décisions du président. 

🔍 Zoom

Zoom : La différence entre Président et Directeur Général peut paraître assez floue. Le premier est le président du Conseil d’Administration (CA) qui décide des grandes orientations d’une entreprise, prend les décisions les plus importantes et nomme le Directeur Général. Le président y possède souvent une voix prépondérante, toutefois, il peut facilement être mis en minorité. Le Directeur Général prend quant à lui les décisions exécutives de l’entreprise et est en charge des affaires courantes. Il doit toutefois rendre compte de ses actes au CA et au Président. En fonction des statuts de l’entreprise, les rôles du Président et du Directeur Général et la prééminence de décision peuvent largement varier. Pourtant, le plus souvent, l’aval du Président et du CA sont décisifs. 

Subséquemment, convaincu par les actionnaires, le Conseil d’Administration de Danone a mis fin, dimanche 14 mars aux fonctions d’Emmanuel Faber, attribuant la présidence à Gilles Schnepp, ancien patron de Legrand. Les fonctions de directeur général sont désormais assurées en intérim par Véronique Penchienati-Bosetta, directrice générale internationale, et Shane Grant, directeur général Amérique du Nord, en attendant de trouver un remplaçant définitif à Emmanuel Faber. 

Pourquoi on parle tant de cette éviction ?

Le parallèle est facile et la caricature rapide : l’éviction d’Emmanuel Faber de son poste de PDG de Danone serait le symbole de l’impossibilité de concilier éthique et capitalisme, convictions et CAC40, en bref, considérations sociales et environnementales et performances économiques, particulièrement au sein d’une entreprise cotée en Bourse. 

Pourtant, pour Philippe Escande, chroniqueur au Monde, cette conclusion serait erronée : “La bienveillance environnementale ne délivre pas de quitus de bonne gestion, et un autre management pourra peut-être parvenir à de meilleurs résultats, ne serait-ce qu’en stabilisant une direction très bousculée ces dernières années et en relâchant la centralisation du pouvoir dans les mains d’un seul homme.

Ainsi, doit-on voir dans la révocation d’Emmanuel Faber l’échec d’un seul homme ou celui de toute une idée ? L’avenir nous le dira sans doute tant les appels à adapter le capitalisme moderne aux nouvelles problématiques sociales et environnementales deviennent pressants.

Sources : Le Monde, Libération, Ouest France, Le Figaro.

 

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