Habiter la France de demain – Consommation ; e-commerce vs circuits courts

Consommation

Cette controverse est publiée dans le cadre de la démarche Habiter la France de demainlancée au mois de février par le ministère en charge du Logement. Le but est de croiser des avis d’experts et des consultations citoyennes afin d’identifier de nouvelles solutions en réponse aux défis de la ville et des territoires de demain.

Modes de consommation et tendances

La crise du Covid-19 au cours de l’année 2020/2021 nous a appris que nos modes de consommation sont facilement adaptables et qu’ils sont en constante évolution.

Deux tendances en cours ont été accélérées par les confinements successifs : le développement du e-commerce et le retour des circuits courts. Avec la fermeture des principaux commerces, magasins, cafés et restaurants, nos habitudes de consommation ont été bouleversées. Le e-commerce et plus spécifiquement la vente alimentaire en ligne a explosé (elle passe de 6%  à 10% de part de marché en seulement un an).

La crise sanitaire a également contribué à développer le commerce local, en dynamisant les nouveaux circuits courts. A défaut de pouvoir vendre sur les marchés, certains producteurs agricoles ont alors développé un système de vente directe, des produits tout droit venus de la ferme, qui ont été livrés à domicile chez leurs clients. Si ces nouveaux modes de consommation paraissent aujourd’hui incontournables, durablement installés dans les mœurs des Français, il n’en reste pas moins un certain paradoxe : allons-nous à l’avenir vers une consommation plus locale en favorisant les circuits courts ou une consommation dématérialisée via le e-commerce ? 

Quelles sont nos habitudes de consommation en France ? 

La réponse n’est pas simple. On assiste aujourd’hui à une véritable hybridation des formes de commercialisation. Ces dernières se sont complexifiées avec l’arrivée d’internet mais aussi avec l’étalement urbain ou encore la motorisation des villes.

Dans les années 70, nous avons développé de grandes zones commerciales, des hypermarchés uniquement accessibles en voiture. Aujourd’hui ces commerces de grandes surfaces sont de plus en plus délaissés par les consommateurs. Les habitants de grandes métropoles veulent de moins en moins consommer en périphérie et se déplacer en voiture. C’est pourquoi on voit aujourd’hui des enseignes comme IKEA ou Decathlon se délocaliser dans nos centres-villes.

Aujourd’hui, les grands centres commerciaux ont perdu environ 21% de leur fréquentation, le modèle de l’hyper-consommation semble être à bout de souffle, selon l’enquête de l’ObSoCo en 2018… 

Ce ne sont pas les seuls commerces qui se retrouvent en difficulté. Certains magasins de centre-ville se retrouvent obligés de fermer boutique, faute de clientèle. Ils doivent faire face à la grosse concurrence des grandes chaînes mais aussi se confronter à la baisse d’affluence de clients en centre-ville. L’accessibilité des périurbains en centre est parfois devenue plus compliquée depuis que des politiques ont été mises en place dans l’objectif de réduire la circulation en ville pour réduire la pollution produite par les voitures. 

De manière plus générale, le consommateur moderne cherche à consommer plus vite, facilement tout en limitant les coûts. C’est pourquoi le e-commerce est aujourd’hui en plein essor. Les français ont dépensé plus de 90 milliards d’euros sur les sites de e-commerce en 2018, selon une étude de Kantar WorldPanel, pour la solution E-Kommerce. 

Place aussi au consomm’acteur, une nouvelle catégorie d’acheteurs adeptes d’une consommation plus responsable. Près de 56% de français souhaitent que les entreprises s’intéressent davantage aux questions sociales, environnementales et politiques liées à leur production. On cherche à acheter de meilleure qualité et à œuvrer pour le bien commun que ce soit pour la crise climatique ou pour des raisons sociales : 92% des Français sont prêts à consommer des produits locaux.

L’avènement du omnicanal au détriment du multicanal ? 

La stratégie commerciale des entreprises a également évolué. Autrefois ils favorisent  une méthode qu’on appelle « multicanal », soit une vente qui se fait via différents canaux (magasin, boutique en ligne, marketplace) dans l’objectif de pouvoir trouver des clients via des espaces différents. Mais le problème c’est que ces canaux ne sont pas reliés les uns aux autres, chacun suit une stratégie et une gestion qui lui est propre. Au contraire, le commerce omnicanal uniformise les différents canaux de ventes qu’il utilise, notamment en donnant les mêmes informations depuis n’importe quel support. Les différents canaux deviennent alors interdépendants. Cette nouvelle stratégie commerciale change le parcours utilisateur des clients, il lui permet de choisir entre consommation en ligne et boutique. Ces stratégies sont de plus en plus essentielles dans nos nouveaux modes de consommation, surtout dans le e-commerce. 

L’ e-commerce, une révolution du commerce traditionnel ? 

L’e-commerce ou commerce électronique est la commercialisation de produits sur internet, un nouvel espace dématérialisé où la recherche et l’achat se font en ligne. En France, le e-commerce se développe forcement depuis les années 90, des enseignes comme la Redoute ou encore 3 suisses connaissent un succès fulgurant. Dans les années 2000, c’est au tour des grandes entreprises américaines comme Amazon de faire leur entrée sur le marché français. Le commerce en ligne est un business qui représente aujourd’hui près de 100 milliards d’euros. On peut différencier deux acteurs du commerce électronique : les pure players (ceux dont l’activité n’est que sur internet) et les retailers (entreprises qui ont déjà une boutique et qui développent leur activité en ligne).

Si le e-commerce est devenu aussi populaire c’est qu’il représente un certain nombre d’avantages. Premièrement, il permet d’acheter rapidement des produits en dehors des heures d’ouverture habituelles, depuis chez soi. Il permet également d’accéder à un plus large choix de produits, à un catalogue plus varié et plus personnalisé. Enfin, pour certains consommateurs, il permet de différencier les achats corvées (effectués rapidement en ligne) et les achats plaisirs (dans les boutiques) (Frédéric de Coninck, 2010). 

Mais le e-commerce a également son lot de désavantages : la relation de confiance des consommateurs envers le vendeur est plus compliquée, l’achat devient en quelque sorte un acte déshumanisé. L’expérience de vente y est moins agréable et sûre. Ainsi, les Français continuent malgré tout à préférer aller en magasin, avoir un point de vente : en 2016, en France, 77 % des achats de produits se font en magasin et seulement 12 % via un mix magasin-Internet.

Le e-commerce favorise également l’étalement urbain car il demande de construire de grands entrepôts de stockage, souvent implantés en périphérie des grandes villes.

Entrepôt Amazon de Lauwin-Planque (Nord)

De plus, les considérations environnementales et sociales amènent certains consommateurs à culpabiliser d’acheter des produits qui viennent de loin et qui exploitent des travailleurs peu payés et protégés. Certains préfèrent alors s’orienter vers une consommation plus éthique et locale. 

Le local, vers une consommation plus durable ?  

Maintenant, la tendance est au plus frais, local et sain. De nombreuses initiatives suivent cette voie, comme la Ruche qui dit oui (réseau de communautés d’achat direct aux producteurs) ou encore mon potager.com (création d’un potager virtuel en ligne). On cherche à dynamiser les circuits courts qui présentent eux aussi de sérieux atouts. La vente peut se faire de manière directe (l’ensemble des produits achetés viennent directement du consommateur ou producteur) ou indirecte (intermédiaires entre le consommateur et le producteur).

Consommer plus local n’est pas seulement un effet de mode, c’est devenu une réelle préoccupation auprès des Français : 37% d’entre eux pendant le confinements se sont tournés vers les circuits courts, 45% se tournent davantage vers des produits français et 37% vers des produits frais (Étude de l’Observatoire E.Leclerc, 2020). 

Premièrement, cela permet de réduire nettement la pollution des “food miles” lié aux transports. Ils permettent également de renforcer la relation de confiance entre le vendeur et le consommateur, recréer du lien et un sentiment communautaire au sein d’une collectivité.

Les circuits courts aident également à redynamiser le territoire en créant de nouveaux emplois, à redonner vie à des PME ou des petites structures qui peinent à se faire une place dans la mondialisation. En favorisant le local, on permet également de revaloriser les produits français et on pousse les consommateurs à manger des produits de saison. Ce nouveau mode de consommation permet également de développer de nouveaux modèles agricoles, plus éthiques et responsables comme les AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne).   

Malheureusement, les circuits courts ne sont pas forcément compatibles avec nos modes de consommation actuels. Ils ne permettent pas d’offrir par exemple la même diversité de produits que dans les grandes surfaces ou sur internet. De plus, les circuits courts font face à une réglementation stricte, des règles très contraignantes doivent être respectées. En vente directe, les paysans sont à la fois vendeurs et producteurs, ils doublent ainsi leur charge de travail, ils doivent alors pour la plupart du temps embaucher du personnel.

D’importants investissements sont nécessaires, des coûts de transport, de comptabilité et de transformation des aliments s’ajoutent pour les producteurs. Avec le circuit court, les possibilités de distribution sont plus limitées et dépendent grandement des moyens du producteur. Pour que ce modèle fonctionne, il faut que les pouvoirs publics créent des environnements qui soient favorables aux entreprises, que ce soit au niveau des infrastructures et des services publics (CESE, 2010)

Le e-commerce au service du local ? 

Et si le commerce en ligne n’était pas finalement l’allié du local ? Face aux difficultés rencontrées par les petits commerces locaux, le numérique et internet sont de nouveaux outils de vente qui permettent de redynamiser leur activité.

Une enquête réalisée par Médiamétrie a montré que 75% des acheteurs en ligne pensent que les commerces de proximité devraient proposer une offre en ligne. Un modèle hybride entre local et électronique s’est alors développé : la plateforme locale. L’objectif est de créer une synergie entre différents acteurs du local en les regroupant via une même interface numérique, comme cela peut être le cas sur jaidelesproducteurslocaux.fr ou encore fraisetlocal.fr. La digitalisation des commerces de proximité permet également de développer les commandes en ligne et une collecte en magasin, aussi appelée “Click and Collect”, devenue très populaire pendant les confinements. Cette solution permet d’allier la facilité d’utilisation à l’importance du contact social et du lieu de rencontre, qui permet de garder un lien entre le vendeur et l’acheteur. Peut-être que finalement ces deux modes de consommation ne sont pas aussi antinomiques que l’on croit…

Parole d’expertes et d’experts

Alors, quel est l’avenir de la consommation ? E-commerce pour tout le monde et partout ? Consommation locale, zéro-déchets et circuits-courts ? Les deux ?

Pour plus de réponses à ces problématiques, nous sommes allés à la rencontre de plusieurs experts pour avoir leur avis sur ce que sera la consommation du futur…

ENTRETIEN AVEC
Sandrine Heitz-Spahn
Enseignante-chercheuse en marketing sur la transition énergétique des transports

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Sandrine Heitz-Spahn, Docteure en sciences de gestion de l’Université de Bourgogne et enseignante-chercheuse en marketing à l’Université de Lorraine. Elle travaille sur le comportement d’achat et de consommation des consommateurs et les stratégies des distributeurs, le commerce de centre-ville et de proximité, et le nudge marketing.
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Quelles sont les tendances actuelles ?
Les changements de comportement mettent du temps à se produire, du fait de mécanismes psychologiques. On note aujourd’hui un paradoxe entre un désir de consommer moins et mieux, surtout sur les produits qui touchent notre corps directement (alimentation et produits cosmétiques) et avec un impact moindre sur l’environnement, mais qui ne se traduit pas toujours par un changement de comportement.
Ce paradoxe est dû à des difficultés organisationnelles ou de pouvoir d’achat.

Mais d’un autre côté, on remarque aussi qu’il existe toujours une frénésie de consommation sur des achats plaisirs ou loisirs, tendance sur laquelle surfent des sites comme Wish ou des tendances comme le dropshipping.

Quel impact a eu la crise sanitaire ?
Les privations de la crise sanitaire ont créé un manque, qui a suscité un désir à combler, notamment par la consommation. Et donc paradoxalement, les confinements ont renforcé ces épisodes de consommation frénétique. Cela dit, il faut en général au moins une génération pour constater des changements significatifs d’habitudes.

Néanmoins, pour obtenir ces changements, il faudra également en passer par un changement dans la manière de s’informer, dans le but de prendre du recul par rapport à l’information et provoquer la réflexion.

Sur les habitudes de consommation, nous universitaires travaillons aussi à la mise en place de nudges (incitations) qui soient à la fois transparents pour le consommateur et explicités, pour allier l’incitation à la pédagogie, et que cela ne soit pas perçu comme de la manipulation.
La pédagogie de l’enseignement supérieur insiste sur les aspects éthiques et sociétaux de la consommation et du marketing. A ce propos, il est fondamental d’insister sur l’importance de l’éducation à tous les niveaux (enfants, études, adultes) pour provoquer ce changement.

E-commerce
L’e-commerce est un moyen. La crise sanitaire a souligné l’importance pour tous les acteurs d’être présents sur internet et d’utiliser les moyens numériques comme le marketing digital.
Il n’y a pas, à mon avis, d’opposition fondamentale entre le monde numérique et le monde physique : au contraire, il est important d’allier les deux. Le click & collect est une forme hybride de consommation, qui existait depuis longtemps chez les plus gros acteurs (les Drives sont une forme de click & collect).
Même des géants comme Amazon, beaucoup décriés à juste titre, permettent aussi à des nouveaux acteurs de se lancer. La réalité est souvent complexe.

Les changements à venir
Tout changement est multifactoriel. Des messages cohérents entre eux doivent être promus et relayés par les pouvoirs publics, les médias, les lois et les normes, les parents, l’éducation, etc.
Et il ne faut pas sous-estimer la question du pouvoir d’achat. Lorsqu’on a peu de ressources, les questions éthiques et écologiques passent en second plan. Et donc le changement n’est possible que chez des personnes qui ont assuré une certaine sécurité mentale et financière. On note aussi une surexposition aux messages publicitaires, notamment via les réseaux sociaux : il y a certainement un travail législatif à faire sur ce point.

Même s’il est possible, à budget équivalent, de changer des habitudes : il est possible de réduire ses coûts en cuisinant des légumes frais, plutôt que de la viande ou des plats préparés, par exemple. Et c’est uniquement via l’éducation et la pédagogie qu’il est possible d’améliorer ces comportements.

En 2050…
La prospective est un exercice difficile, mais on note cependant des tendances fortes : le refus du plastique, le retour à la Terre et à la nature dont tout le monde se saisit, grandes surfaces comme petits commerces.
Malgré tout, même s’il est difficile de prédire qui seront les acteurs de demain, les tendances s’affranchissent des acteurs. On peut imaginer qu’il y aura toujours la nécessité de consommer facilement et rapidement, mais très certainement via des circuits plus courts, et avec, espérons-le, moins de plastiques et d’emballages. Et ces changements seront impulsés par les consommateurs et leurs envies – et non l’inverse.

ENTRETIEN AVEC
Matthieu Deboeuf-Rouchon
Expert en innovation

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Matthieu Deboeuf-Rouchon est innovation manager et effectue des travaux de vulgarisation des productions du monde de la recherche

Quelles tendances peut-on constater aujourd’hui dans la consommation ?
Il y a une forme de schizophrénie chez les consommateurs : on constate en effet une volonté de mieux consommer, mais qui rentre difficilement dans un quotidien contraint.
De plus, la consommation s’est complexifiée (appellations trompeuses, labels difficiles à comprendre), et beaucoup de consommateurs n’ont ni le temps ni les moyens de véritablement comprendre l’écosystème de la consommation.
Donc le consommateur est empli de contradictions : manger mieux mais sans y passer trop de temps, manger local, mais livré en moins de 30 minutes, etc.

A qui la faute ?
La faute est certainement partagée. Les industriels ont besoin de vivre, et on peut difficilement faire sans ces gros acteurs devenus indispensables. De ce fait, une forme de consensus mou se crée entre les pouvoirs publics, ces grands acteurs de la distribution, et les citoyens.
Il y a eu également une forme de déresponsabilisation des citoyens, et un manque de remise en question, d’esprit critique de la part des citoyens, qui provient d’une sorte de simplification manichéenne sous l’influence des réseaux sociaux.

Quelles solutions pour l’avenir ?
Les réseaux sociaux ont créé des bulles d’opinion extrêmement étanches et hermétiques. Par conséquent, la société est passée d’un marketing de masse à un marketing d’influence communautaire.
La crise sanitaire a créé des mouvements de population et une demande forte d’accessibilité des services plus uniformes sur le territoire, qui passera probablement par des solutions technologiques, avec une demande très forte de traçabilité et de confiance.
C’est aussi ce qui fait la force d’Amazon, présent partout, y compris dans les zones rurales, de manière simple, facile et rapide.

Il faut que la démarche Habiter la France de demain, consiste avant tout à créer une expérience de vie en France.

Qui doit faire l’effort ?
On ne peut pas demander au citoyen consommateur de faire tous les efforts. Mais in fine, c’est lui qui choisit, et on peut difficilement lutter contre ses choix de consommation.

L’Etat et les collectivités doivent donc mettre en place des incitations économiques et fiscales pour orienter les choix de consommation, poussés par des idéaux, et avec une grande égalité d’accès dans le territoire : en deux mots, une démarche incitative et responsabilisante.

Cela doit passer d’abord par une vision commune et partagée de l’avenir. Et une fois que l’on sait où on va, on peut décider de mettre en place des actions pour y parvenir. Cela passera forcément par des plateformes digitales puissantes, qui seraient idéalement mises en place par l’Etat, avec une grande transparence sur le mode de fonctionnement mais quasiment invisibles techniquement si elles sont bien faites.

Quels impacts de la crise sanitaire ?
Nous n’avons pas encore assez de recul sur la reprise économique et les habitudes de consommation. Mais on peut déjà dire que la crise a fait prendre conscience aux petits commerçants de l’importance des outils web et technologiques ; beaucoup se sont rendus compte qu’ils devaient avoir des données sur leurs clients (adresse mail, réseaux sociaux, etc.), communiquer, être visibles en ligne.

Sur cette thématique, les CCI doivent former les artisans, les commerçants à mettre en place des plateformes de commande en ligne, de click and collect, d’algorithmes de recherche, etc. Aujourd’hui, on constate cependant que les seuls acteurs qui ont mis en place et qui étaient prêts à mettre en place ce genre de solutions ont été les GAFAMs.

C’est un peu le syndrome du taxi, qui est resté pendant des années sans carte bleue, avec une expérience client discutable, et qui s’est fait surprendre par Uber. Le Covid a eu un peu le même effet sur le commerce de proximité, qui s’est rendu compte du retard pris en termes d’expérience utilisateur.

A noter que les médias ont également leur part de responsabilité : il faut sortir des ces boucles de temps court qui donnent une vision biaisée du monde, simplificatrice et intercalée de pauses publicitaires.

L’Etat doit également jouer son rôle de tiers de confiance sur la traçabilité et la transparence des produits, en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des produits.

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Anne-Marie Schmutz-Poussineau
Consultante indépendante spécialisée dans les filières alimentaires durables et équitables

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Anne-Marie Schmutz-Poussineau est consultante indépendante, spécialisée dans les filières alimentaires durables et équitables et membre de la SCIC TERO, acteur de l’ESS. Anciennement à la chambre d’agriculture du Rhône pour l’accompagnement des agriculteurs dans leur commercialisation en circuits courts.

Quelles ont été les tendances de ces dernières années ?
L’année 2018 a été une année charnière pour l’alimentation, avec, notamment, la mise en place des états généraux de l’alimentation et de la loi Egalim.
Avant 2018, le contexte alimentaire était parsemé d’épisodes assez anxiogènes, avec une succession de scandales sanitaires autour de l’alimentation. On peut dire que l’année 2018 marque le début de la transition alimentaire, “manger moins, mais manger mieux” (nourriture bio, locale, transparence, traçabilité, quête de sens), et l’implication notamment de la restauration collective dans cette tendance.
Cela s’inscrit à la suite d’une longue période de développement de la vente directe (marchés et magasins de producteurs, des paniers groupés, drive fermier, … ), mais aussi des essais avec des acteurs locaux (grande distribution, logistique, acteurs de la transformation etc.), le but de ces expérimentations étant de construire des filières robustes à un échelon local.

E-commerce et grande distribution
A l’image des producteurs, la grande distribution a également effectué une transition, commencée il y a quelques années et accélérée par la crise sanitaire. Les grandes surfaces ont installé des rayons avec des produits issus de l’agriculture locale bien identifiés.
La grande distribution représentant plus de 70% du marché de l’alimentaire, elle est un acteur incontournable pour faire évoluer les habitudes de consommation. Tous les acteurs de la GMS se sont emparés du sujet de la production locale, depuis plus ou moins longtemps, les chaînes indépendantes (Leclerc, Système U, …) ayant une longueur d’avance. Effectivement, difficile de résister quand 60% des français affirment vouloir une marque dont la production est localisée en France ! Il est encore difficile de savoir s’il s’agit d’une opportunité marketing dont la grande distribution se saisit ou d’une véritable tendance. Même si les chiffres sont difficilement accessibles, il y a fort à parier que cela représente encore un faible part du volume d’achats.

Néanmoins, comme pour le bio, cela pourrait devenir une tendance importante quand bien même elle aurait commencé pour des raisons se rapprochant plus de l’affichage.

Cela amène à la question du commerce équitable ; car s’il est “facile” de travailler avec des producteurs locaux, encore faut-il qu’ils soient rémunérés à un prix juste et équitable. Ce n’est pas parce qu’un légume est cultivé “localement” que le producteur est correctement rémunéré. Le sujet de la juste rémunération doit être au cœur des préoccupations, mais pas seulement. Le commerce équitable, c’est aussi d’autres points clés : des engagements de tous les acteurs de la filière vers des contrats pluriannuels en volume et en prix, des modes de productions socialement et écologiquement responsables, une autonomie des producteurs grâce à une gouvernance démocratique,… Le commerce équitable, longtemps associé à des échanges Nord-Sud, se développe aussi en France depuis 2014, notamment sous l’influence d’acteurs tels qu’Ethiquable ou Biocoop, ou d’acteurs déjà présents sur ce marché tels que BioPartenaires, Fair for Life, WFTO, Max Havelaar… En 2018, ce marché représentait 434 millions d’€, dont 1⁄3 réalisé par les filières françaises ; il est en croissance constante. Le commerce équitable va bien plus loin que la juste rémunération et peut être un formidable outil, notamment en matière de transition écologique.

Côté consommateurs
Du côté des consommateurs, il peut effectivement y avoir un écart entre la prise de conscience et les comportements d’achat réels : les consommateurs ont souvent un budget alimentaire contraint et la crise sanitaire a accentué la fracture. L’idée la plus répandue est que “bien manger est cher”. Si cela reste vrai pour certains publics, il reste encore du travail à faire en matière d’éducation alimentaire (des achats à la préparation des aliments) . Effectivement, la part de l’alimentation dans les dépenses est passée de 29% en 1960 à moins de 17% aujourd’hui et n’est pas toujours une priorité dans la dépense des ménages, bien que certains “consom’acteurs” fassent usage de leur pouvoir d’achat pour protéger les valeurs et les causes qu’ils défendent. (https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-perso/revenus/consommation/evolution-consommation_menages/ ).
Il est difficile de dire quelle serait la ou les bonnes solutions pour faire évoluer les habitudes de consommation, mais il est à peu près certain que la présence d’aliments venant de l’autre bout de la planète à un coût dérisoire est un problème.

Et l’avenir ?
Pour l’avenir, il y a plusieurs axes de travail. Au niveau de l’agriculture: préserver et augmenter la population d’agriculteurs, ainsi que les terres agricoles; favoriser l’autonomie énergétique des fermes, adopter une gestion intégrée de la ressource en eau, généraliser les pratiques d’agroécologie, diversifier les cultures, développer / raisonner des outils de stockage, de transport et de transformation à la bonne échelle, sécuriser la commercialisation….. L’ampleur de la tâche est énorme ! Les collectivités et les acteurs économiques du territoire ont leur rôle à jouer, en installant des véritables systèmes alimentaires du milieu (SYAM): ces systèmes territoriaux englobent la production, le transport, la transformation, la distribution (en n’oubliant pas la restauration collective). Ils ont pour caractéristique d’avoir une gouvernance partagée, au sein de laquelle ils apprennent à se connaître, à échanger, à construire durablement des partenariats économiques durables et équitables. L’objectif est d’ avoir un tout cohérent à un échelon adapté à la situation de chaque territoire.

Globalement, j’ai l’impression que la tendance est plutôt positive et qu’il y a des raisons d’être optimiste pour l’avenir, même s’il est difficile de savoir si les changements se produiront assez vite.

ENTRETIEN AVEC
Frédéric Wallet
Économiste et chercheur à l’INRAE

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Frédéric Wallet, économiste de formation, chercheur à l’INRAE. Travaille sur les problématiques d’innovation territoriale, via les questions agricoles à travers les politiques publiques, l’organisation et la territorialisation des filières.
Animateur du programme Tetrae : Transition en territoires de l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement.

Quelles ont été les tendances ces dernières années ?
Elles ont été à la fois multiples et contradictoires. D’une part, on a constaté la hausse des circuits courts de proximité, et de la consommation locale. Et bien-sûr du bio, marché en forte croissance, et plus récemment la végétalisation des pratiques alimentaires.
On estime que les circuits courts représentent entre 10 et 15% de la consommation des ménages et entre ¼ et ⅕ des agriculteurs commercialisent via ces circuits. Un agriculteur capte environ 7% de la valeur totale de la filière alimentaire : les circuits courts permettent d’augmenter cette valeur, dans des proportions variables.

D’autre part, il y a un renforcement de la consommation hors domicile : plats préparés, snacking, restauration, etc. qui, à l’inverse, renforce la consommation de produits industriels, de produits carnés, très transformés et provenant de cultures plutôt éloignées, notamment chez les jeunes générations.

Pourquoi ce paradoxe ?
Ils sont dus à une évolution des modes de vie : les jeunes actifs passent moins de temps en cuisine, sont plus mobiles, et sont incités à une consommation contraire à leurs intentions (je ne dirais pas contraire à leurs intentions car ils sont friands de ces produits aussi) par des prix attractifs.

Comment sortir de ce paradoxe ?
Depuis 2009 / 2010 et les lois Barnier, il y a une vraie prise de conscience des politiques du fait qu’il faut orienter les habitudes de consommation et de production vers un mode plus durable. Les ambitions affichées sont réelles, avec des résultats significatifs mais encore loin des ambitions (répétition d’ambitions ici). A titre d’exemple, l’objectif pour les cantines de servir 50% de produits durables et 20% de produits bios (https://agriculture.gouv.fr/50-de-produits-bio-de-qualite-et-durables-dans-la-restauration-collective-horizon-2022) ont produit d’importants changements en ce sens, mais encore loin de ces objectifs chiffrés.

Cela montre que l’action publique locale et nationale, que ce soit au niveau législatif, de la commande publique, de l’organisation du foncier, des filières agricoles ou des politiques incitatives a et doit avoir un rôle déterminant dans ces changements. Mais ne permet pas pour le moment de compenser les orientations induites par la PAC.
Les intermédiaires, structures plus ou moins formalisées de la société civile, ont également un rôle important à jouer pour faire connaître et démultiplier ces initiatives.
Enfin, il y a un effort important à faire de la part des consommateurs, et adapter leurs habitudes de consommation à leurs idéaux.

E-commerce
Le confinement a largement boosté la tendance du e-commerce en France. Cela est très largement lié à une augmentation importante de l’offre, avec le développement des marketplaces, et des Drives proposé par la grande distribution.
Ce n’est pas incompatible avec une consommation plus locale ou plus vertueuse ; en effet, le e-commerce permet d’apporter une information importante aux consommateurs, avec un pouvoir de comparaison, ainsi qu’un accès facilité pour des petits producteurs. Il faudra cependant prendre en compte le poids environnemental de ces infrastructures.

Ce développement du e-commerce, ainsi que celui du snacking, génère également du suremballage, qui représente une part importante de nos déchets. A noter qu’une législation récente vise à limiter le suremballage en matière plastique.
Le développement du vrac est également une tendance encourageante, poussée notamment par les petits réseaux de distribution.
Les travaux universitaires ont également montré que les circuits courts nécessitent structurellement moins d’emballage.

Peut-on imaginer un horizon souhaitable ?
A l’horizon 2050, l’Union européenne s’est fixée une assez large autonomie alimentaire. Un scénario 100% bio, neutre climatiquement, et sans aboutir à l’éradication de la consommation de viande paraît crédible.
Des études ont montré qu’il était possible de nourrir la population européenne uniquement avec du bio, sous condition de réduire significativement sans la supprimer totalement la part de terres dédiées à la nourriture du bétail, tout en relocalisant la production végétale pour le bétail, aujourd’hui très largement importée.

Enfin, il faudrait également diminuer très largement la transformation des produits alimentaires finaux pour obtenir une vision globale désirable à horizon 2050.

Des ressources pour aller plus loin

Pour creuser le sujet et en savoir (encore) plus, nous vous invitons à consulter les éléments suivant :


Ecommerce, click and collect, retail in store : nouvelles tendances de la distribution, sur le site de The Conversation.


Vidéo documentaire France 5 : la guerre des hypers ou la loi du plus fort.

En France, une poignée d’enseignes de la grande distribution se livrent bataille : les groupes Carrefour, Auchan et Casino, ainsi que les coopératives Leclerc, Intermarché et Système U. Ce modèle, qui a longtemps rapporté de l’argent, s’essoufle aujourd’hui. Avec le bouleversement des modes de consommation, les magasins de ville redeviennent d’actualité. Un autre concurrent vient encore compliquer la donne pour ces groupes : Amazon, chef de file du e-commerce, qui menace de les balayer. Ces enseignes sauront-elles s’adapter pour ne pas disparaître ?


Consommation : avec la crise, le e-commerce s’est installé durablement dans nos vies, sur le site de The Conversation


Lire le rapport de l’Observatoire des Perspectives utopiques (Vague 1, 2019)


Marketing éthique dans l’ouvrage “Marketing et pauvreté : être pauvre dans la société de consommation”

La vidéo s’attarde sur les origines de l’ouvrage, né de la volonté de mieux comprendre le lien pouvant être fait entre marketing et pauvreté. Elle présente aussi la structure de l’ouvrage composé d’apports théoriques, empiriques et managériaux afin de favoriser l’inclusion des personnes pauvres à la société de consommation de manière éthique.


Innovation & Prospective Talk est l’emission hebdomadaire qui vous parle Innovation, Transformation Digitale et Tech pour analyser l’impact des technologies sur la société, les Hommes et les Organisations !

C’est sans détour, mais non sans sérieux, que nous prenons une actualité, une nouveauté, une technologie, …, et que nous tirons la pelote de laine pour esquisser l’impact dans un futur aux contours particulièrement incertain ! 


Cette publication inédite marque l’aboutissement d’un travail de recherche d’un an et demi, conduit par l’association Les Greniers d’Abondance et de nombreux partenaires scientifiques, experts et acteurs de terrain.

Il expose les vulnérabilités du système alimentaire contemporain face à différentes crises systémiques : changement climatique, épuisement des ressources, effondrement de la biodiversité…


Lire l’étude du CNRS : « Une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050 »

L’alimentation est devenue l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle. Selon une étude menée par des scientifiques du CNRS, un système agro-alimentaire biologique et durable, respectueux de la biodiversité, pourrait être mis en place en Europe et permettrait une cohabitation équilibrée entre agriculture et environnement.


Analyse des effets économiques et sociaux d’une alimentation plus durable.

Cette étude vise à éclairer les effets économiques et sociaux possibles d’une évolution vers un système alimentaire plus durable, en réponse aux enjeux environnementaux, de santé, économiques et sociaux.

Et « quelques » autres références pour aller plus loin :

  • Livre : Manger demain – Frédéric Wallet
  • Ademe, Le Basic, AScA, 2018, Analyse des enjeux économiques et sociaux d’une alimentation plus durable : Synthèse
  • Paul Ariès, 2016, Histoire politique de l’alimentation. Du paléolithique à nos jours, Paris, Max Milo
  • Antoine Bernard de Raymond, Delphine Thivet (dir.), Un monde sans faim. Gouverner la sécurité alimentaire, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Gouvernances », 2021, 304 p., ISBN : 9782724627701.
  • Caroline Brand, Nicolas Bricas, Damien Conaré, Benoit Daviron, Julie Debru, Laura Michel, Christophe-Toussaint Soulard, 2017, Construire des politiques alimentaires urbaines ; concepts et démarches, Versailles, Quae
  • Yves Cabannes, Cecilia Marocchino, 2018, Integrating Food into Urban Planning, Londres, UCL-Press and FAO
  • Yuna Chiffoleau, 2019, Les circuits courts alimentaires. Entre marché et innovation sociale, ERES
  • Marc Dufumier, 2020, De la terre à l’assiette – 50 questions essentielles sur l’agriculture et l’alimentation
  • FAO, IFAD, UNICEF, WFP and WHO. 2021. The State of Food Security and Nutrition in the World 2021. Transforming food systems for food security, improved nutrition and affordable healthy diets for all. Rome, FAO. (https://doi.org/10.4060/cb4474en)
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  • Les Greniers d’Abondance, 2020, Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l’échelle des territoires
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  • Ronan Le Velly, 2017, Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs : une promesse de différence, Paris, Presse des Mines
  • Margot Lyautey, Léna Humbert, Christophe Bonneuil (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2021, 365 p., ISBN : 978-2-7535-8088-6.
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  • POUR, 2019, Agriculture : des ruptures à la transition, n°234-235, GREP
  • François Rouillay, Sabine Becker, 2020, En route pour l’autonomie alimentaire. Guide pratique à l’usage des familles, villes et territoires.
  • Village Hors-Série n°3 : Du champ à l’assiette. Le renouveau de l’alimentation de proximité. Coordonné à l’INRA, octobre 2019
  • Bertrand Valiorgue, Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène, Lormont, Le Bord de l’eau, coll. « En anthropocène », 2020, 240 p., préf. Benjamin Coriat, postf. Nathanaël Wallenhorst, ISBN : 9782356877352.
  • Urban Food Future : https://urbanfoodfutures.com/
  • Réseau Mixte Technologique Alimentation Locale : https://www.rmt-alimentation-locale.org/
  • Festival Alimenterre : https://www.alimenterre.org/le-festival-alimenterre-0
  • Livre : Dormez tranquille jusqu’en 2100, de Jean-Marc Jancovici
  • Livre : Digital Transformation, Thomas Siebel
  • Livre : Michel Serres, Petite poucette
  • Livre : Ghost work,  How to Stop Silicon Valley from Building a New Global Underclass, Mary L. Gray et Siddharth Suri
  • Salon : Vivatech, à venir visiter
  • Livre : 2030, How Today’s Biggest Trends Will Collide and Reshape the Future of Everything, de Guillen
  • Livre : Gafanomics
  • Livre : Utopies réalistes, Bergman
  • Livre : la règle, pas de règle. Netflix et la culture de la réinvention, Reed Hastings (patron de Netflix)
  • Livre : La civilisation du poisson rouge: Petit traité sur le marché de l’attention, Bruno Patino

 

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