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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux
Simone Veil
Ministre de la Santé (1974 - 1979)http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/interruption/1974-11-26-1.pdf
Discours du 26 novembre 1974 à l’Assemblée Nationale
Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme.
Je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame.
C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d’angoisse, si bien décrite et analysée par certaines des personnalités que votre commission spéciale a entendues au cours de l’automne 1973.
Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s’en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l’opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l’anonymat et l’angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection.
Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui au-delà de ce qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient grand besoin ? Je sais qu’il en existe et je me garderai de généraliser.
Je n’ignore pas l’action de ceux qui, profondément conscients de leurs responsabilités, font tout ce qui est à leur portée pour permettre à ces femmes d’assumer leur maternité. Nous aiderons leur entreprise ; nous ferons appel à eux pour nous aider à assurer les consultations sociales prévues par la loi. Mais la sollicitude et l’aide, lorsqu’elles existent, ne suffisent pas toujours à dissuader.
Certes, les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes sont parfois moins grave qu’elles ne les perçoivent. Certaines peuvent être dédramatisées et surmontées ; mais d’autres demeurent qui font que certaines femmes se sentent acculées à une situation sans autre issue que le suicide, la ruine de leur équilibre familial ou le malheur de leurs enfants. C’est là, hélas !, la plus fréquente des réalités, bien davantage que l’avortement dit « de convenance ».
S’il n’en était pas ainsi, croyez-vous que tous les pays, les uns après les autres, auraient été conduits à réformer leur législation en la matière et à admettre que ce qui était hier sévèrement réprimé soit désormais légal ? Ainsi, conscient d’une situation intolérable pour l’État et injuste aux yeux de la plupart, le gouvernement a renoncé à la voie de la facilité, celle qui aurait consisté à ne pas intervenir. C’eût été cela le laxisme. Assumant ses responsabilités, il vous soumet un projet de loi propre à apporter à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et juste.
Certains penseront sans doute que notre seule préoccupation a été l’intérêt de la femme, que c’est un texte qui a été élaboré dans cette seule perspective. Il n’y est guère question ni de la société ou plutôt de la nation, ni du père de l’enfant à naître et moins encore de cet enfant. Je me garde bien de croire qu’il s’agit d’une affaire individuelle ne concernant que la femme et que la nation n’est pas en cause. Ce problème la concerne au premier chef, mais sous des angles différents et qui ne requièrent pas nécessairement les mêmes solutions.
L’intérêt de la nation, c’est assurément que la France soit jeune, que sa population soit en pleine croissance. Un tel projet, adopté après une loi libéralisant la contraception, ne risque-t-il pas d’entraîner une chute importante de notre taux de natalité qui amorce déjà une baisse inquiétante ? Ce n’est là ni un fait nouveau, ni une évolution propre à la France : un mouvement de baisse assez régulier des taux de natalité et de fécondité est apparu depuis 1965 dans tous mes pays européens, quelle que soit leur législation en matière d’avortement ou même de contraception. Il serait hasardeux de chercher des causes simples à un phénomène aussi général.
[…] Enfin, et cette promesse de vie que porte en elle la femme ? Je me refuse à entrer dans les discussions scientifiques et philosophiques dont les auditions de la commission ont montré qu’elles posaient un problème insoluble. Plus personne ne conteste maintenant que, sur un plan strictement médical, l’embryon port en lui définitivement toutes les virtualités de l’être humain qu’il deviendra. Mais il n’est encore qu’un devenir, qui aura à surmonter bien des aléas avant de venir à terme, un fragile chaînon de la transmission de la vie. Faut-il rappeler que, selon les études de l’Organisation mondiale de la santé, sur 100 conceptions, 45 s’interrompent d’elles-mêmes au cours des deux premières semaines et que, sur 100 grossesses au début de la troisième semaine, un quart n’arrivent pas à terme, du seul fait de phénomènes naturels ?La seule certitude sur laquelle nous puissions nous appuyer, c’est le fait qu’une femme ne prend pleine conscience qu’elle porte un être vivant qui sera un jour son enfant que lorsqu’elle ressent en elle les premières manifestations de cette vie. Et c’est, sauf pour les femmes qu’anime une profonde conviction religieuse, ce décalage entre ce qui n’est qu’un devenir pour lequel la femme n’éprouve pas encore de sentiment profond et ce qu’est l’enfant dès l’instant de sa naissance qui explique que certaines, qui repousseraient avec horreur l’éventualité monstrueuse de l’infanticide, se résignent à envisager la perspective de l’avortement.
Je voudrais enfin vous dire ceci : au cours de la discussion, je défendrai ce texte, au nom du gouvernement, sans arrière-pensée, et avec toute ma conviction, mais il est vrai que personne ne peut éprouver une satisfaction profonde à défendre un tel texte : personne n’a jamais contesté, et le ministre de la Santé moins que quiconque, que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame.
Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les trois cent mille avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours.
L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays.
Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême.
La vie humaine exige respect et protection
Michel Debré
Député de la Réunionhttp://archives.assemblee-nationale.fr/5/cri/1974-1975-ordinaire1/073.pdf
Discours du 27 novembre 1974 à l’Assemblée Nationale
Lors du précédent débat, trois certitudes, me semble-t-il, s’étaient dégagées.
Premier point : la vie humaine exige respect et protection. Or elle existe dès qu’elle est conçue.
Second point : la maternité, dans notre société, a besoin, non seulement d’être soutenue, mais aussi encouragée.
Troisième point : il y a des cas de détresse de la future mère qui peuvent justifier certaines autorisations du législateur, mais l’important, c’est la définition des cas de détresse et – de la
procédure d’autorisation.
L’histoire de notre civilisation est, en effet, celle d’une lutte constante pour sauvegarder la vie humaine. En des temps qui ne sont pas si lointains, la forte mortalité, notamment la forte
mortalité infantile, était considérée comme un fait normal et la vie des nouveau-nés ne comptait guère ; certains orateurs l’ont rappelé . Il y a quelques mois, à la télévision, un historien a pu
évoquer l’époque — voilà deux cents ans à peine — où, en France même, l’infanticide n’était pas systématiquement réprimé, et l’abandon d’enfant pas davantage.
L’effort conjugué de la science et de la philosophie moderne a abouti à renverser ce fatalisme devant la mort et cet état d’esprit méprisant de la vie du nouveau-né. Le respect de la vie humaine est le premier temps du respect de la liberté .
Or la vie ne commence pas à la naissance. Dès le moment où une nouvelle cellule est conçue, une vie existe. Cette affirmation est-elle un acte de foi? Oui, pour certains . Est-elle une règle de droit ? Oui, pour certains . Mais, pour tous, elle est une conclusion de la science. La cellule contient tous les éléments qui constituent l’être animé de demain. Elle est riche de tous les caractères qui formeront sa personne. Vous avez pu vous en rendre compte cette nuit, au cours de l’intervention du docteur Feït : le coeur d’un futur être humain bat très rapidement après la conception.
S’agissant de la vie humaine, le principe capital selon lequel tout être humain conçu a droit à la vie eût représenté une affirmation philosophique et politique se situant dans la droite ligne de notre plus noble législation et dont l’écho, dans notre monde troublé, eût largement débordé nos frontières.
Dans nos sociétés modernes, la conception est, avant tout, volontaire. C’est le résultat d’une évolution tout à fait justifiée des mentalités. C’est aussi le résultat des progrès de la médecine.
Nous ne sommes plus au temps où les femmes devaient mettre au monde un grand nombre d’enfants pour avoir la chance que quelques-uns résistent aux maladies ou aux épidémies.
Or, dans les sociétés modernes, cette conception volontaire rencontre des obstacles. Face à la satisfaction d’un instinct paternel et maternel profond, des forces agissent en sens inverse, qui
peuvent être puissantes. Il suffit, en particulier, d’une différence trop grande de niveau de vie entre les célibataires, les couples sans enfant et les couples avec enfants, et même, au-delà, d’une différence trop grande face aux satisfactions dans la vie, pour qu’on voie apparaître un sentiment de découragement et peur que l’instinct de la maternité soit contrarié.
Il faut, dans les sociétés modernes, rééquilibrer les situations, afin d’encourager conception et naissances . Il y va de l’intérêt de la famille, de l’intérêt de la nation, de l’intérêt de la femme.
Il y va de l’intérêt de la famille. […]
Après avoir proclamé le principe du respect de la vie humaine, après avoir profondément modernisé et renouvelé la politique en faveur de la maternité, le législateur dans un troisième
chapitre, aurait eu à trancher la question : y a-t-il des cas où la femme est dans une telle situation que la société puisse autoriser l’ interruption volontaire de la vie entre la conception et la naissance de l’être humain, et, dans l’affirmative, selon quelles procédures ?
Le mot « détresses a fait son chemin depuis qu’à l’occasion du précédent débat M. Sourdille l’avait mis en avant . Mais qu’appelle-t-on « détresse » et qui apprécie l’état de « détresse » ? […]
Qui alors appréciera la détresse, au seul sens que nous ayons le droit de lui donner ?
Certes, ce texte prévoit une consultation préalable, mais la liste des organismes établis est fort longue et de toute espèce. En fin de compte, la femme se décidera comme elle l’entendra.
Il lui suffira de trouver un médecin qui accepte de faire l’opération.
Dès lors que ce postulat est posé, il en découle les plus néfastes conséquences. D’abord, silence sur le respect de la vie. Comment en serait-il autrement puisque l’absence de contrainte pour les dix, onze, douze, quatorze premières semaines fait qu’on en revient en quelque sorte à la théologie médiévale qui établissait une différence entre un foetus de moins de quarante jours et un foetus de plus de quarante jours, puisque c’est seulement, disaient les théologiens du Moyen Age, au
quarantième jour que vient l’âme? Le seul modernisme que vous apportez, madame le ministre, c’est de supprimer la différence entre les deux sexes puisque, selon ces théologiens, pour le petit être féminin, l’âme ne venait qu’au bout de quatre-vingts jours. Mais, excepté cette distinction, c’est le Moyen Age qui revient.
Traitons-nous intelligemment de la conception volontaire ? Non. Nous généralisons et remboursons la contraception d’une manière exceptionnelle, dans le monde entier.
Aidons-nous la mère de famille? Nous préoccupons-nous de la maternité ? Non. On nous demande de voter une loi incitant à l’interruption de la grossesse.
Ce que je propose ? D’abord, affirmer le principe du respect de la vie humaine ; ensuite, accueillir, soutenir, protéger, promouvoir la maternité qui doit être le plus souvent une maternité volontaire mais féconde ; enfin, déterminer les procédures raisonnables mais exceptionnelles selon lesquelles, face à des détresses dramatiques, l’interruption de la grossesse peut être autorisée.
Voilà qui eût été du bon travail législatif, car n’eût été du bon travail social à la fois national et humain.