Bateau de pêche en mer

La pêche durable pourra-t-elle nourrir toute la planète ?

📋  Le contexte  📋

La population mondiale augmente : nous devrions atteindre les 10 milliards de personnes en 2050. Cette nouvelle démographie nous amène à repenser le problème de la sécurité alimentaire, c’est-à-dire la garantie pour tous les êtres humains d’accéder à une nourriture suffisante, saine et nutritive. La situation mondiale actuelle est inquiétante : un quart de la population se retrouve déjà dans une situation d’insécurité alimentaire. 

Pour répondre à ce problème, il nous faut encourager une répartition équitable des ressources et lutter contre le gaspillage : en 2011, 1,3 milliards de tonnes de nourriture n’a pas été consommée dans le monde, dont près de 260 millions de tonnes d’aliments provenant de la mer. 

Les poissons et les crustacés représentent un apport non négligeable de protéines animales pour les Hommes. Pour plus de 3,3 milliards de personnes, le poisson correspond à au moins 20% de leur apport quotidien en protéines animales. Pour certains pays, comme le Ghana, la Sierra Leone ou encore le Sri Lanka, la consommation de poisson est centrale dans l’alimentation : elle représente plus de 50% des protéines animales consommées (rapport Sofia 2020 de la FAO). Un certain nombre de communautés côtières dépendent du poisson pour leur sécurité alimentaire. 

La consommation mondiale de produits de la mer ne cesse de croître. Elle a connu une augmentation spectaculaire de 122% au cours des dernières années. La demande est telle que la surpêche menace durablement nos océans. 34,2% des stocks de poissons sont surexploités selon l’ONU. Cela signifie que des espèces sont menacées de disparaître et de gravement troubler les écosystèmes marins. 

La pêche durable vise à laisser suffisamment de poissons dans l’océan pour qu’ils puissent se renouveler et à garantir un impact environnemental minimisé sur les écosystèmes marins. Mais certains s’inquiètent quant à la capacité de la pêche durable à atteindre ces objectifs et à fournir suffisamment de poissons pour répondre aux nouvelles demandes alimentaires.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Christopher Costello
Professeur en Economie de l'environnement et des ressources naturelles à l'université USBS Bren School of Environmental Science and Management (Etats-Unis)
Oui, la pêche durable peut nourrir la planète

L’amélioration de la sécurité alimentaire mondiale jouera un rôle essentiel dans l’avenir de l’humanité. La population et les revenus augmentent, ce qui implique une forte hausse de la demande alimentaire. Pourtant, l’augmentation de la production sur Terre contribue de manière disproportionnée au changement climatique, à la pollution et à la perte de biodiversité. Cela soulève la question suivante : la pêche durable peut-elle jouer un rôle majeur dans l’alimentation de la planète ?  

Je pense que la réponse est oui. Depuis quand l’océan est-il devenu une source de nourriture durable ? Des documentaires récents comme Seaspiracy et les articles de presse sur la pêche illégale et les effondrements mondiaux suggèrent que nous devons extraire moins de la mer, pas plus. Mais il existe une alternative plausible : en gérant plus durablement les écosystèmes océaniques, peut-être seront-ils plus résilients et fourniront-ils plus de nourriture à l’avenir. 

Des preuves récentes suggèrent que c’est effectivement le cas. Une étude récente a examiné si les aliments issus de la mer – poissons sauvages et d’élevage – pourraient se développer durablement à l’avenir, afin de contribuer à la sécurité alimentaire mondiale. 

Comment les produits de la mer pourraient-ils se développer durablement ? La réponse viendra à la fois de la pêche sauvage et de la pisciculture. Pour la pêche sauvage, nous devons poursuivre notre tendance à l’amélioration de la gestion des pêches. En effet, bon nombre des grandes pêcheries du monde évaluent désormais régulièrement leurs stocks et ont mis en place des pratiques de gestion durable des pêcheries. L’extension de ces approches et l’amélioration de la gestion des pêches à petite échelle permettront d’accroître l’approvisionnement alimentaire mondial – peut-être jusqu’à 8 millions de tonnes métriques (MMT) de nourriture par an, soit environ cinq fois la consommation annuelle totale de fruits de mer en France.

Pour la pisciculture, il existe deux étapes importantes à suivre. Premièrement, les nouveaux aliments issus des déchets de transformation des produits de la mer, des microbes et des insectes réduisent notre dépendance à l’égard de la capture de poissons sauvages pour nourrir les poissons d’élevage. 

Deuxièmement, nous devons continuer à apprendre à exploiter la mer de manière durable. En amenant des pays comme les États-Unis et la Chine vers des pratiques plus durables, nous pouvons produire beaucoup de nourriture, tout en réduisant leur empreinte écologique. En prenant ces mesures, la pisciculture durable pourrait plus que doubler (de 10 MMT de nourriture aujourd’hui à bien plus de 25 MMT). 

Cette expansion substantielle de la production d’aliments d’origine marine est durable, économiquement viable, particulièrement nutritive (elle contient des acides gras essentiels, des vitamines et d’autres nutriments) et, dans de nombreux endroits, elle permet de soutenir les moyens de subsistance des membres les plus marginalisés de la société. Si le poisson ne peut à lui seul répondre à tous les besoins alimentaires de la planète, il peut se développer de manière significative et durable pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale future.

Le « Contre »
Lamya Essemlali
Présidente de Sea Shepherd France
Non, on ne peut pas nourrir la planète avec du poisson "durable"

Cette question revient à demander :  Peut-on nourrir plus de 7 milliards d’humains avec des poissons sans détruire la planète ? La réponse est sans équivoque NON. 

L’océan ne contient tout simplement pas assez de poissons pour cela. Si l’on devait suivre les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé qui préconise de consommer deux portions de poisson par semaine et qu’on l’appliquait à l’ensemble de la population humaine, on atteindrait déjà le double de ce que l’océan contient en poissons. Et c’est sans compter tous les prédateurs marins (dauphins, phoques, requins, thons, etc….) que l’on affamerait et l’ensemble de l’écosystème marin qui perdrait toute fonctionnalité.

Et l’aquaculture me direz-vous ? Et bien pour ce qui est des poissons carnassiers tels que le saumon, l’aquaculture est une aberration dans le sens où il faut environ 7kg de poissons sauvages pour « produire » 1 kilo de saumon d’élevage. Les poissons sont entassés dans de telles conditions qu’ils développent des maladies et doivent être gavés d’antibiotiques. Les dispositifs concentrationnaires des fermes d’engraissement causent également des problèmes graves de pollution et de destruction écologique des habitats naturels. L’élevage de poissons purement végétarien ne saurait répondre à la demande actuelle en poissons sans engendrer de graves dégradations environnementales. 

Quid des labels de pêche durable ? Aucun n’a su démontrer jusqu’ici qu’il s’agit d’autre chose que d’un outil marketing de bonne conscience. Certains des labels les plus connus comme MSC ( Marine Stewarship Council ou Dolphin Safe) labelisent des navires de pêche parmi les plus destructeurs comme les « super trawlers » à l’instar du Annie Hhillina, filmé par Sea Shepherd dans le Golfe de Gascogne, aves des milliers de poissons morts dans son sillage (labélisé MSC) ou des navires de pêche au thon censés épargner les dauphins et dont le label « Dolphin Safe » tout en apposant son nom s’avoue incapable de vérifier le caractère vraiment sélectif de la pêche en question. 

Le fait est que la consommation de poissons a doublé en 50 ans en France et à l’échelle mondiale. Aujourd’hui la première menace qui pèse sur l’océan est la pêche, devant la pollution plastique et le changement climatique.

Chaque jour, des millions de navires de pêche sillonnent l’océan et chaque jour sont posées des lignes de pêche qui pourraient faire plusieurs fois la distance de la terre à la lune. Malgré les moyens technologiques de plus en plus performants, il est de plus en plus difficile de capturer de moins en moins de poissons, toujours de plus en plus petits… Les signes avant-coureurs de l’effondrement sont déjà là. 

Le problème n’est pas tant que les humains mangent des poissons pour vivre. Il y a assez de poissons dans l’océan pour ceux qui en ont un besoin vital. Mais la pêche de subsistance représente moins de 10% de la pêche mondiale. Le reste est de la pêche commerciale et de la pêche illégale.

L’écrasante majorité des humains qui mangent des poissons pourraient tout à fait s’en passer. Ce renoncement est un mince effort comparé aux conséquences d’un effondrement de l’écosystème marin qui constitue le premier organe de régulation du climat et le plus gros producteur d’oxygène de la planète. Le seul poisson « durable » est celui qu’on laisse dans l’océan. 

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Pour prolonger le débat…
Retrouvez l’analyse de Margaux Favret, ingénieure halieutique et dirigeante du programme MSC France sur la pêche durable.

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